Fin mars, le téléphone de Bruno Farthouat, conseiller en prévention à la MSA de Charente, a chauffé. Le syndicat des vignerons de Cognac (UGVC) venait de communiquer à tous ses adhérents une liste d'une centaine de produits phytosanitaires dont les étiquettes imposent le port d'EPI pour ceux qui travaillent dans les vignes après le délai de rentrée. Parmi cette liste : des produits cupriques comme la bouillie bordelaise RSR Disperss.
« Cela me surprend. Pour moi, le cuivre n'est pas dangereux. Je n'ai jamais observé de cas d'intoxication ou d'allergie chez mes employés après leur intervention dans des vignes traitées au cuivre », s'étonne un entrepreneur de travaux de la région de Cognac.
« Comment fait-on ? », ont demandé les vignerons à Bruno Farthouat. Car, si la réglementation semble claire, elle est inapplicable. Faire porter des EPI (parfois des combinaisons type Tyvek sont imposées) à des ouvriers quand il fait 30 °C est une mission impossible. « Nous incitons les viticulteurs à protéger leur personnel le plus possible, notamment la peau en raison du risque chimique mais aussi du risque solaire. Nous leur recommandons le port de gants, d'un tee-shirt respirant à manches longues, d'un pantalon léger et d'une casquette qui protège la nuque (protections testées l'an dernier en Charente). Cette année, nous faisons tester les nouvelles combinaisons de travail avant de les préconiser. Il faut que les vêtements soient portables et que les travailleurs conservent leur dextérité », insiste Bruno Farthouat. Le préventeur conseille aussi d'intervenir en dehors des périodes les plus chaudes de la journée et de respecter les délais de rentrée, bien sûr.
Concrètement, comment s'organisent les viticulteurs ? Peu acceptent de s'exprimer sur le sujet. Mais certains refusent d'appliquer cette réglementation. « Je me range à l'avis de l'ODG de Bordeaux et Bordeaux supérieur. Je respecte les délais de rentrée, mais pas question de porter des EPI. Si vraiment une matière active est dangereuse, il faut l'interdire. Les EPI sont des équipements très inconfortables en période estivale. Avec la moindre combinaison, les ouvriers qui font des travaux en vert auront trop chaud. Ils risquent le malaise. Je suis plutôt pour un allongement des délais de rentrée », expose un viticulteur bordelais.
D'autres vignerons tentent de faire passer des consignes raisonnables. Comme Frédéric Bonnaffous, le directeur des Vignobles Dourthe, en Gironde. Son entreprise emploie 80 salariés dont une quarantaine intervient en rentrée. « Chaque année, nous leur fournissons un kit EPI adapté à leur mission. Pour les travaux en vert, ce kit comprend trois paires de gants d'épamprage, cinq pantalons, des tee-shirts à manches longues, un vêtement de pluie, une veste et une paire de lunettes de protection. Cela représente 100 à 150 € par salarié à notre charge. Mais pas question de leur imposer une combinaison en Tyvek. Il faut des vêtements portables. Les firmes phyto doivent travailler là-dessus. »
Un temps, Frédéric Bonnaffous pensait avoir trouvé un vêtement adapté. « Pendant deux ans, nos salariés ont testé une veste en coton déperlant ouverte dans le dos. Ils en étaient très contents et nous voulions équiper tout le personnel cette année. Malheureusement, le fabricant a fait faillite. En attendant de trouver une autre solution, nous avons opté pour des tee-shirts à manches longues. »
D'autres vignerons optent pour la prestation de services. Mais ils ne font que reporter le problème sur ces entrepreneurs qui se trouvent à leur tour dans l'embarras. « Je vais proposer des gants à mes salariés, mais vont-ils les garder six heures d'affilée ? », explique un prestataire de Cognac. Ultime solution : la mécanisation des travaux en vert, voire leur suppression. À Cognac, « de plus en plus de vignerons privilégient la conduite en arcure haute », note le prestataire. Avec ce mode de conduite, fini le relevage !
Contamination en rentrée : encore beaucoup d'inconnues
C'est l'Anses qui décide s'il faut porter des EPI au-delà du délai de rentrée et lesquels.
Pour cela, l'agence prend en compte la toxicité des produits concernés et l'exposition des travailleurs lors de l'entretien des vignes. Pour calculer cette exposition, elle se sert d'un modèle dont elle reconnaît elle-même qu'il repose sur un faible nombre de données et sur des incertitudes statistiques. Quelles sont les tâches au cours desquelles les travailleurs se contaminent le plus ? Et pendant combien de temps après le traitement ? Quelle est la durée de vie d'un produit sur les vignes ? À ce jour, l'Anses n'a pas les réponses. Tout juste est-elle certaine que les contaminations en rentrée se produisent par le contact de la peau avec la végétation traitée, et non par inhalation. « La rentrée est un sujet sur lequel nous allons devoir progresser d'ici peu. Nous n'avons pas de données scientifiques suffisamment fiables », a reconnu Michel Gomez, le sous-directeur du travail et de la protection sociale au ministère de l'Agriculture, le 2 mars, au Sima. L'Anses va donc enrichir ses connaissances. L'idée est de définir les phases les plus exposantes (comme le relevage) pour lesquelles le port des EPI s'avère nécessaire.
Le Point de vue de
ALAIN GARRIGOU, PROFESSEUR D'ERGONOMIE À L'UNIVERSITÉ DE BORDEAUX (GIRONDE)
« Les délais de rentrée ne sont pas suffisants »
« Oui, il y a des risques de contamination par les produits phytosanitaires lorsqu'on rentre dans les parcelles traitées. Les niveaux de contaminations sont variables selon les conditions météo et les opérations réalisées. Après une pluie, les produits sont lessivés. Mais s'il ne pleut pas, ils restent sur le feuillage. Dans ce cas, les travailleurs se contaminent dès qu'ils manipulent le feuillage traité. Les mesures que nous avons effectuées avec Isabelle Baldi, de l'équipe Épicène du centre Inserm 1219 montrent que les plus hauts niveaux de contamination en rentrée correspondent aux plus faibles niveaux de contamination durant les traitements. Les délais de rentrée ne sont pas suffisants. Ils ont été mis en place pour prévenir les intoxications aiguës mais ils ne prennent pas en compte les effets à long terme. En rentrée, la durée cumulée d'exposition est beaucoup plus longue que durant les traitements mais avec un niveau plus faible. Et les travailleurs sont exposés à une diversité de produits et pas uniquement au dernier appliqué. Au bout du compte, leur exposition est conséquente. Les tâches les plus exposantes sont le relevage et l'épamprage. Mais même pendant les vendanges, la contamination est notable, les coupeurs étant plus exposés que les porteurs. La protection du corps est un enjeu important, car 90 à 95 % des contaminations sont cutanées. Le port des EPI est un élément de protection mais qui se heurte à un problème de confort. Je suis plutôt réservé sur les nouveaux EPI qui ressemblent à des vêtements de travail. Ils devraient être bien acceptés mais ne seront plus considérés comme des protections vis-à-vis du risque chimique. Dans ces conditions, les résidus de produits phyto vont s'accumuler dessus et ils risquent de migrer sur d'autres supports (siège de voiture, sphère domestique...). Il faut donc les retirer après leur utilisation, les stocker et les laver à part des autres vêtements. Une chose est sûre : le port d'EPI n'est pas la seule réponse. Il faut l'accompagner d'autres mesures : planification des travaux, adaptation des horaires pour intervenir en dehors des périodes les plus chaudes de la journée... »