Retour

imprimer l'article Imprimer

VIN

Minéralité Une affaire de soufre

MARION BAZIREAU - La vigne - n°298 - juin 2017 - page 46

Pour la première fois, les chercheurs donnent une explication convaincante de la minéralité. Les notes iodées ou de pierre à fusil seraient dues, non pas au sol, mais à des composés soufrés.
LA MINÉRALITÉ des vins n'aurait pas de lien direct avec la nature des sols.  ©  S. OUZOUNOFF/PHOTONONSTOP

LA MINÉRALITÉ des vins n'aurait pas de lien direct avec la nature des sols. © S. OUZOUNOFF/PHOTONONSTOP

Nombre de consommateurs et de vignerons pensent que la minéralité du vin provient des minéraux qu'il renferme, puisés par la vigne dans le sol. Cette théorie a la vie dure, alors qu'elle a souvent été réfutée. Directeur de recherche à l'Inra, René Morlat expliquait déjà en 2010 qu'en dehors des situations de carences de la vigne, les éléments chimiques des sols n'ont aucun rôle significatif dans l'effet terroir. « Certaines idées selon lesquelles le goût du vin proviendrait des éléments minéraux et oligoéléments absorbés par les racines sont à mettre en doute », concluait-il.

Alex Maltman est allé dans son sens en 2013. Ce professeur à l'Institut de géographie et des sciences de la Terre d'Aberystwyth, au Pays de Galles, a montré que les racines absorbent les nutriments de manière très aléatoire et que l'on dose peu de minéraux dans les moûts (K+, Ca++, Mg++...). Il a aussi rappelé que ces derniers n'ont, pour la plupart, aucun goût. Pour couronner le tout, il a ajouté que la vinification chamboule leurs concentrations.

Reprenant ces conclusions lors de la Matinée des oenologues de Bordeaux, le 14 avril dernier, Jordi Ballester, de l'Université de Bourgogne, a rappelé à l'auditoire que « tout laisse penser que les minéraux du sol ne sont pas ou très peu responsables de la minéralité perçue dans le vin ». Puis il a avancé une nouvelle hypothèse : la minéralité serait une histoire de composés soufrés. Christian Starkenmann, docteur en chimie organique chez Firmenich - le numéro 1 mondial en création de parfums et d'arômes -, est venu appuyer cette idée.

Deux nouvelles molécules

Loin du monde viticole, ce chercheur vient d'identifier du disulfane et du trisulfane d'hydrogène (H2S2 et H2S3), en faisant le tour du monde des toilettes pour lutter contre les mauvaises odeurs. Ces deux molécules ont une odeur de pierre à fusil et de craquage d'allumette. Le disulfane sent dix fois plus fort que l'H2S, à l'odeur d'oeuf pourri. Le scientifique l'a aussi identifiée en entrechoquant deux silex. « C'est la première fois que nous associons une molécule à l'odeur qui se dégage lors du choc de pierres », a expliqué Christian Starkenmann.

Puis, avec l'aide de l'École d'ingénieurs de Changins, en Suisse, il a analysé différents chasselas, les uns jugés très minéraux, les autres non. Il n'a retrouvé le disulfane et le trisulfane que dans les premiers. « Ces deux molécules sont très instables. Mais maintenant qu'on les connaît, il va être possible de les suivre pour comprendre leur origine. Dans les vins, elles viennent certainement des ajouts de sulfites », suppose le chercheur. Il a également remarqué que les vins décrits comme minéraux présentent des teneurs en acide malique plus élevées : « Il est possible que l'acide malique forme un tampon redox qui stabilise les di et trisulfanes. »

Davantage de SO2 dans les vins minéraux

Durant son intervention à la Matinée des oenologues, Jordi Ballester a fait part de travaux qu'il a réalisés avec Wendy Parr, de l'Université de Lincoln, en Nouvelle-Zélande. En 2015, les deux chercheurs ont fait déguster seize sauvignons blancs français et néo-zélandais à 63 professionnels. Ils ont d'abord constaté que les Français ont tendance à ressentir la minéralité au nez, quand les Néo-Zélandais la perçoivent en bouche. Puis, ils ont analysé les vins. Dans les vins français jugés minéraux, ils ont trouvé plus de SO2 libre, d'acétate d'isoamyle, et une acidité totale plus élevée. Dans les néo-zélandais, ils ont dosé plus de SO2 total, de 3MH, d'acide hexanoïque et d'acide malique. « Tous les résultats vont dans le sens d'une origine de la minéralité qui serait liée à la chimie du soufre plutôt qu'aux minéraux », résume Jordi Ballester.

En 2013, Alex Maltman faisait déjà le lien entre minéralité et composés soufrés. Il avait remarqué que la minéralité des vins est le plus souvent associée aux sols pauvres. Dans ces sols, les racines plongent en profondeur pour aller puiser de l'eau. « Or, plus on va en profondeur et moins le sol est riche en matière organique nécessaire à la solubilisation des éléments minéraux », réfutant une fois de plus le lien entre éléments minéraux et minéralité. Pour le professeur, s'il y a un lien entre la minéralité et les sols pauvres, c'est parce que les moûts manquant d'azote, les levures synthétisent davantage de composés soufrés.

Dans leurs analyses, Jordi Ballester et Wendy Parr ont toutefois retrouvé du calcium et du sodium dans les vins néo-zélandais minéraux. « Il n'est pas impossible que ces deux ions donnent une certaine salinité ou une densité et de la richesse aux vins », explique Jordi Ballester.

L'influence des minéraux sur les fermentations ? Négligeable !

« On sait que l'azote est indispensable au bon déroulement des fermentations, mais quid des magnésium, calcium et fer ? », s'est interrogée Joana Coulon, responsable R & D pour BioLaffort. Avec l'ISVV, la chercheuse a étudié l'impact de ces minéraux et de différents composés organiques (acides aminés, vitamines et lipides) sur des moûts carencés de sauvignon. Elle a reconstitué des autolysats de levures synthétiques, en omettant à chaque fois un ou plusieurs composés afin d'observer leur contribution aux performances fermentaires. « Le magnésium n'a pas eu d'impact », conclut Joana Coulon. En revanche, les levures se sont mieux multipliées lorsqu'elles disposaient de calcium. À l'inverse, le fer a ralenti les fermentations. « Il pourrait poser un problème, mais les autolysats de levure n'en contiennent pas. Au final, les minéraux semblent jouer un rôle très mineur. » La chercheuse doit désormais étudier leur impact sur la production d'arômes ou de composés soufrés. Pour Alain Kleiber, référent technique chez Auréa AgroSciences, seul l'azote conditionne le déroulement des fermentations. Il est essentiel à la croissance et au métabolisme des levures. Les autres éléments ne font que renforcer son efficacité, « en particulier le magnésium, soufre, fer, bore, molybdène et zinc ».

Des idées à contre-courant

Si les minéraux n'ont pas d'odeur, ils sont fortement perçus par la langue, comme le sel. C'est ce qu'avancent les chercheurs Lydia et Claude Bourguignon, également présents à la XVe Matinée des oenologues de Bordeaux. Ils expliquent aussi que les molécules organiques et minérales interagissaient entre elles. « Les sucres, les tanins, les arômes et l'alcool sont synthétisés par des enzymes, c'est-à-dire des protéines à cofacteurs métalliques. Chaque roche a des teneurs en oligoéléments métalliques qui lui sont propres. Chaque lieu va donc permettre la synthèse de tel ou tel arôme ou tanin. » Ils citent l'exemple de l'Italie, où l'on trouve beaucoup de magnésium dans les sols, conférant une amertume agréable aux vins.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :