Les capteurs piétons de suivi du rendement et de la maturité des raisins, « il en existe qui marchent ! », s'enthousiasment les chercheurs. « Ça ne fonctionne pas », rétorquent les industriels. Ces derniers semblent bien avoir raison, aucun de ces capteurs n'étant commercialisé pour le moment.
Pourtant, les chercheurs planchent sur le sujet depuis plusieurs années. La communication bat son plein autour de ces outils. Et « il y a une attente de la profession », observe Christophe Guizard, ingénieur à l'Irstea. « Le protocole de prélèvement des 200 baies mis au point par l'IFV pour suivre la maturité des raisins est fastidieux. Les viticulteurs attendent des méthodes plus simples, plus rapides et non destructives », ajoute Éric Serrano, directeur régional de l'IFV Sud-Ouest. Or, des outils semblent quasiment prêts, mais aucun n'a vu le jour. Tour d'horizon de ces capteurs en attente de commercialisation.
SmartGrappe
Une application à développer
Le SmartGrappe repose sur l'analyse de photos prises avec un smartphone positionné sur une petite boîte noire. L'idée paraît simple et pratique. Testé en 2013 par l'IFV, l'outil a fait ses preuves pour estimer le diamètre des baies, leur couleur et le rapport marc sur jus d'une grappe. « Ces mesures doivent aider, entre autres, à prédire la couleur du vin », explique Éric Serrano. Elles devraient aussi permettre d'estimer le rendement, même s'il reste encore des progrès à faire de ce côté-là. « Le dispositif est presque au point. Nous n'attendons plus qu'un industriel pour prendre le relais », explique Christophe Guizard, chef du projet SmartGrappe.
Mais chez Fruition Sciences, société chargée d'élaborer l'application destinée à analyser les images prises par le SmartGrappe, on reste prudent. « Même si cette application fonctionne pour les scientifiques, elle reste complexe. Il faut la rendre accessible aux vignerons. Il va encore nous falloir du temps pour cela », insiste Sébastien Payen, cofondateur de la société.
Qualiris Grappe
Des rendements pas toujours justes
À l'IFV aussi, on reste sur sa faim : « Nous avons mis au point le capteur 3D et le logiciel Qualiris Grappe avec plusieurs partenaires. Cette application s'est montrée très efficace pour évaluer le rendement à la vigne, explique Éric Serrano, mais il n'y a pas eu de suite. »
C'est Sodimel qui devait se charger de commercialiser le capteur. Pour cette entreprise, il n'était tout simplement pas opérationnel. « Sur la dernière campagne de tests, il y a eu quelques erreurs de prédictions du rendement, explique Thomas Limondin, de Sodimel. Nous ne pouvons pas commercialiser un outil qui ne donne pas toujours la bonne valeur. »
Autre argument mis en avant par cette entreprise : Qualiris Grappe ne peut pas se placer sur un tracteur pour effectuer ses analyses. On est obligé de le tenir à la main et de parcourir les vignes à pied pour obtenir des images en 3D des grappes. « C'était long de prendre les mesures. En outre, il fallait établir un plan d'échantillonnage avant de se rendre sur la parcelle et le suivre, poursuit Thomas Limondin. Aujourd'hui, les vignerons recherchent un outil qui donne directement un résultat lorsqu'ils appuient sur un bouton. » Qualiris Grappe reste donc dans les tiroirs de l'IFV.
Spectron
Trop de temps pour faire les mesures
Chez Pellenc, on envisageait de commercialiser le Spectron dès 2016. Ce capteur piéton devait être capable de mesurer les taux de sucres, d'anthocyanes et le titre alcoométrique potentiel (TAP) des grappes par un simple « flash » . Mais il n'a jamais vu le jour. « En 2015, à l'issue d'une année de tests dans plusieurs domaines répartis un peu partout en France, nous avons renoncé à le commercialiser », indique Stéphane Cottenceau, responsable marketing produit et communication chez Pera-Pellenc. Et de se défendre : « Les viticulteurs n'étaient pas prêts à l'utiliser car le capteur ne répondait pas à leurs attentes. Pour effectuer un suivi précis de la maturité avec le Spectron, il faut effectuer au moins 150 flashs par parcelle. » Un temps de mesure trop long pour les viticulteurs qui, pour la plupart, ne prélèvent pas les 200 baies requises pour un bon suivi de la maturité.
« Les vignerons suivent la maturité de manière empirique », remarque Stéphane Cottenceau. Mais pour le Comité Champagne, qui a testé le Spectron en 2015, il n'était pas encore opérationnel. « Nous l'avons essayé sur du meunier, pinot noir et chardonnay. Les résultats affichés par le capteur différaient de ceux donnés par les analyses chimiques », explique Julie Perry, chef de projet physiologie vigne au Comité Champagne.
À ce jour, les capteurs de maturité piétons ne sont pas près d'apparaître dans les exploitations. « À part le Multiplex de Force A (voir encadré), il n'existe encore aucun capteur embarqué ou piéton pour le suivi de la maturité », regrette Éric Serrano. Même si la recherche progresse, ces outils sont destinés à un marché de niche qui ne semble satisfaire que les grands domaines ou la recherche. « C'est pour cela qu'aucun industriel ne s'y intéresse », conclut Christophe Guizard.
Le Multiplex, l'unique capteur de maturité piéton en France
À ce jour, le Multiplex est le seul capteur de maturité piéton disponible en France. Fondé sur une analyse par fluorescence, le Multiplex indique la teneur en anthocyanes des cépages rouges. « On peut suivre la maturité phénolique entre la véraison et les vendanges pour déterminer la date optimum de récolte », explique Paul Gougis, responsable marketing chez Force A, la société qui a conçu l'appareil. Celle-ci ne le vend pas, mais le loue, en proposant deux offres : « Les viticulteurs peuvent collecter eux-mêmes leurs données ou nous le faisons, précise Paul Gougis. Dans tous les deux cas, c'est nous qui analysons les données. » Ainsi, un viticulteur qui collecte ses données devra compter entre 50 et 150 €/ha selon la surface à analyser. Actuellement, seuls les grands domaines et le monde de la recherche utilisent ce capteur. « Mais nous cherchons à réduire la taille du Multiplex, qui pèse environ 1,5 kg, et à le démocratiser pour qu'il soit ouvert à un plus grand nombre d'exploitations », indique Paul Gougis.