À L'EST DE VIENNE, copinant avec les éoliennes, le vignoble couvre moins de mille hectares répartis dans plusieurs villages, non loin de la frontière hongroise. PHOTO : M. HULOT
JOHANNES TRAPL possède quelques hectares dans le Spitzerberg, un cru unique à la frontière hongroise où le cépage blaufränkisch s'exprime particulièrement bien. PHOTO : M. HULOT
GERHARD MARKOWITSCH, le géant de l'appellation, cultive différents cépages sur ses 90 ha. Mais il voue une passion au pinot noir. PHOTO : M. HULOT
PHILIPP GRASSL, installé a Göttlesbrunn, est très content de sa récolte de zweigelt. PHOTO : M. HULOT
Il faut quitter Vienne et prendre l'autoroute vers l'est, direction la Hongrie. À une vingtaine de minutes de la capitale autrichienne, une forêt d'éoliennes domine le petit vignoble de Carnuntum. L'endroit doit son nom aux Romains. En leur temps, ils y ont édifié une base militaire qui a compté jusqu'à 70 000 soldats.
Aujourd'hui, seuls 300 habitants et un parc archéologique occupent le village de Petronell-Carnuntum. Le vignoble, lui, s'étend en petits îlots autour des communes de Höflein, Göttlesbrunn-Arbesthal et Prellenkirchen, totalisant 910 hectares. Tout est parfaitement entretenu : pas un lopin n'est à l'abandon, pas un rang ne flanche. Les propriétaires tiennent à leurs vignes. Il est devenu difficile pour les producteurs de s'agrandir. « Au mieux, il faut attendre qu'un vieux parte », expliquent-ils. Alors, pour produire plus, ils achètent du raisin. Comme ailleurs en Autriche, les grands-parents des producteurs actuels possédaient déjà quelques vignes. Mais ils cultivaient aussi des céréales et élevaient du bétail. Leurs enfants se sont spécialisés dans la viticulture dans les années 1980.
Pendant longtemps, Carnuntum produit des blancs pour les Heuriger (tavernes) et les restaurants de la capitale. Puis le vent a tourné. Des blancs, l'appellation est passée aux rouges. Elle produit des vins de zweigelt essentiellement car ce cépage se sent bien dans ce coin de l'Autriche où il donne des rouges épicés, aux notes de framboise et de cerise, aux tannins fermes. Le blaufränkisch est aussi présent. C'est le cépage du Burgenland, la région voisine située juste au sud. Plus rare et plus difficile à cultiver, le saint-laurent donne des rouges magnifiques. Et en blanc, les vignerons cultivent le grüner veltliner, cépage à succès autrichien, le chardonnay, le sauvignon blanc et le riesling.
L'intérêt pour les vins ayant progressé, le prix des vignes a grimpé. En 2000, un mètre carré planté coûtait 1,50 € quand il vaut aujourd'hui entre 6 et 8 €. Cette création de valeur, la région le doit à plusieurs facteurs : une bonne entente entre les vignerons, des entreprises familiales fortes où les générations marchent main dans la main pour tirer l'appellation vers le haut et un marché prospère tout proche : Vienne. Les habitants de la capitale séjournent dans le vignoble pour se ressourcer, bien boire et bien manger, grâce à l'excellente communication menée par l'agence viennoise Wine & Partners de Dorli Muhr, productrice dans le Spitzerberg.
Ce cercle vertueux a amené les producteurs à s'enrichir, à s'agrandir, à s'équiper en cave. Pas un seul qui ne possède des fûts français neufs, des foudres et des cuves dernier cri. Et pas moins de cinq ont acquis un trieur optique de la vendange Delta Vistalys qu'ils vénèrent comme le messie.
Dans les rues de Göttlesbrunn, les caves s'enchaînent. On y entre par un grand porche qui donne sur une cour intérieure desservant autrefois des écuries, des étables et des hangars. Puis, dans les années 2000, les vignerons ont tout transformé en caves modernes. Aujourd'hui, ceux qui sont aux manettes ont entre 30 et 50 ans. Franz Netzl et ses filles, Philipp Grassel et les Artner sont les noms les plus connus.
Gerhard Markowitsch, 47 ans, est leur figure de proue. Il est respecté, constructif. Sa famille est passée de 8 000 à 800 000 bouteilles en vingt ans. Grand sourire aux lèvres, il gère 90 hectares dont la moitié sous contrat. Ce qui fait de lui le géant de l'appellation.
Gerhard Markowitsch vend les deux tiers de ses vins en Autriche et le reste à l'export dans 22 pays dont l'Allemagne, la Suisse et le Danemark. Il emploie 18 personnes à plein temps. Il a fait ses études à Klosterneuburg (Autriche). Il a voyagé mais n'a pas vendangé ni vinifié à l'étranger.
« Dans les années quatre-vingt-dix, Bordeaux et la Californie étaient notre modèle. Aujourd'hui, on aimerait avoir une image de rouges structurés mais élégants, de zweigelt, blaufränkisch et merlot », explique-t-il. Sa fierté : son cru Rosenberg, un assemblage de zweigelt, merlot, blaufränkisch et pinot noir. Il se passionne aussi pour ce dernier cépage. Il en a huit hectares. Son premier millésime date de 1993. Il en produit deux cuvées : une classique et un Single Vineyard Reserve, une cuvée parcellaire.
Chaque producteur propose des entrées de gamme entre 6 et 7 €/col, du Rubin Carnuntum, le fer de lance de l'appellation, vendu entre 10 et 12 €/col et des crus sur lesquels ils fondent leur image. Allant de 20 à 40 €, ces vins sont produits sur des coteaux bien exposés comme le Steinacker, le Hagelsberg, l'Altenberg et le Rosenberg. Ainsi que le Spitzerberg. Excentré, situé à la frontière hongroise, ce coteau long de plusieurs kilomètres, adossé aux derniers contreforts des Carpates, donne des vins denses et volumineux : le blaufränkisch s'y sent particulièrement bien.
Johannes Trapl est installé dans le village voisin de Stixneusiedl, avec sa famille. Il a acheté une vieille maison qu'il a entièrement retapée et il a monté lui-même son vignoble. Ses vins se veulent proches du style bourguignon et sont tous en bouteille bourguignonne. Le jeune homme voit une limite à la prospérité de la région : « Les caves grossissent trop. Il y a vingt ans, elles n'exploitaient qu'une dizaine d'hectares, c'était assez facile. Faire du vin, c'est comme faire la cuisine, c'est très plaisant. Mais le plus dur reste de le vendre. »
Rubin Carnuntum, une belle carte de visite
En 1992, 25 producteurs de l'appellation Carnuntum ont fondé l'association et la marque Rubin Carnuntum, au cahier des charges précis. Pour en bénéficier, les vins doivent être issus à 100 % du cépage zweigelt et titrer au minimum 12,5 % d'alcool à la récolte. Au mois de juin suivant les vendanges, ils sont soumis à une dégustation d'agrément. Ce sont des rouges fruités, vendus un an après la récolte. Le cahier des charges précise aussi qu'ils doivent rester accessibles. De ce fait, ils sont vendus entre 10 et 12 € la bouteille de 75 cl. Aujourd'hui, ils se retrouvent au coeur de la gamme de Carnuntum et représentent 10 à 15 % des volumes de l'appellation. Pour adhérer à l'association, les producteurs paient 1 800 € par an, sans compter les frais de participation aux différentes opérations commerciales et promotionnelles de l'association. « Le Rubin Carnuntum est une vraie locomotive, souligne Johannes Trapl. Nous sommes tous solidaires. »