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AU COEUR DU MÉTIER

À BERLOU, DANS L'HÉRAULT, Didier Rieux a participé au sauvetage de sa coopérative : « Je suis autant à la coop que dans mes vignes »

FRÉDÉRIQUE EHRHARD - La vigne - n°300 - septembre 2017 - page 26

À BERLOU, DANS L'HÉRAULT, Didier Rieux a participé au sauvetage de sa coop en 2008. Depuis, son métier n'est plus du tout le même. Il s'investit autant dans la gestion de la coopérative que dans son exploitation. Avec bonheur !
LE TABLEAU DE BORD DE SON EXPLOITATION

LE TABLEAU DE BORD DE SON EXPLOITATION

DIDIER RIEUX (à gauche) déguste des cuvées de sa coop avec d'autres adhérents. Le caveau a été rénové en 2016 avec des couleurs claires, un bon éclairage et une meilleure présentation des bouteilles. PHOTOS : P. PARROT P. PARROT

DIDIER RIEUX (à gauche) déguste des cuvées de sa coop avec d'autres adhérents. Le caveau a été rénové en 2016 avec des couleurs claires, un bon éclairage et une meilleure présentation des bouteilles. PHOTOS : P. PARROT P. PARROT

DANS LES PARCELLES NON MÉCANISABLES, Didier Rieux continue d'écimer à la main. P. PARROT

DANS LES PARCELLES NON MÉCANISABLES, Didier Rieux continue d'écimer à la main. P. PARROT

DANS LES PARCELLES PLANTÉES À 1,60 M PAR 1,60 M, Didier Rieux a arraché un rang sur dix pour pouvoir passer avec le tracteur et le pulvérisateur.  P. PARROT

DANS LES PARCELLES PLANTÉES À 1,60 M PAR 1,60 M, Didier Rieux a arraché un rang sur dix pour pouvoir passer avec le tracteur et le pulvérisateur. P. PARROT

À LA COOP, entre deux clients du caveau, Didier Rieux donne un coup de main pour la préparation des commandes. P. PARROT

À LA COOP, entre deux clients du caveau, Didier Rieux donne un coup de main pour la préparation des commandes. P. PARROT

Didier Rieux a connu deux vies de coopérateur : avant et après 2008. Ce viticulteur s'est installé en 1983 à Berlou, dans l'Hérault, devenant adhérent des Coteaux de Berlou, la coopérative du village. « Je ne me voyais pas produire des raisins, vinifier et vendre. Dans nos coteaux, la pente est forte. Le travail à la vigne est très physique et nous y passons beaucoup de temps », note le vigneron. Pour démarrer, il a donc repris en fermage 8 ha engagés dans la coopérative, à côté de son père qui n'avait pas encore l'âge de transmettre ses vignes.

Aujourd'hui, il est toujours coopérateur, mais ce mot ne recouvre plus du tout la même réalité. « De viticulteur, je suis devenu vigneron. Auparavant, une fois mes raisins livrés, je ne me préoccupais plus de leur devenir. Depuis 2008, ce n'est plus le cas. Pour sauver notre coopérative, nous avons dû licencier tout le personnel, sauf le caviste, et réaliser nous-mêmes le travail », raconte Didier Rieux. Il a dû s'impliquer dans les assemblages, l'accueil au caveau, les livraisons et la gestion. Un changement qu'il ne regrette pas du tout, neuf ans après. « Je ne reviendrais pas en arrière, affirme-t-il. Cela m'a permis de m'épanouir dans mon métier ! »

En 2008, pourtant, la situation était critique. Cette année-là, Didier Rieux a fait face à une très petite récolte et à son divorce, qui l'a obligé à partager son exploitation avec sa femme. « Avec des achats successifs et les 6 ha que j'ai hérités de mon père, nous avions porté la surface à 20 ha. J'ai dû redémarrer seul avec 10,7 ha à un moment où la situation économique de l'exploitation devenait très tendue », raconte-t-il.

À l'époque, les acomptes diminuaient depuis 2004. « Nous avons même eu des soldes négatifs pendant trois ans. Nous devions rendre de l'argent à la coopérative », se souvient-il. Heureusement, Didier avait peu d'emprunts à rembourser. Il avait aussi un revenu complémentaire : « J'avais aménagé des gîtes dans un ancien bâtiment de mon père car j'avais envie d'accueillir des gens au village. Cela m'a aidé à tenir le coup. »

Mais les années passent et la coopérative n'arrive pas à redresser la barre. « Nous avions peu de marge de manoeuvre pour revaloriser nos vins car nous étions engagés en apport total dans le groupement Val d'Orbieu », souligne Didier. Des adhérents proches de la retraite ont choisi de profiter des primes d'arrachage. D'autres, plus jeunes, ont dû cesser leur activité bien plus tôt que prévu. Les volumes sont tombés de 30 000 à 15 000 hl, et les frais à l'hectolitre ont grimpé. Malgré les difficultés, un noyau d'adhérents s'est accroché pour sauver la coopérative qui portait l'identité du village et du terroir de Berlou bien au-delà de ses frontières.

« En 2008, pour éviter la disparition de la cave, nous avons pris des décisions radicales. Nous n'avons pas licencié de gaieté de coeur, mais cela nous a permis d'économiser 360 000 € par an et de ramener les comptes à l'équilibre », précise Didier Rieux.

Quelques adhérents ont préféré rejoindre une cave voisine. Didier et dix autres coopérateurs se sont engagés dans le sauvetage des Coteaux de Berlou. « Du jour au lendemain, nous avons dû tout reprendre en main. Nous ne connaissions pas grand-chose au fonctionnement d'une coopérative, mais nous avons vite appris », note-t-il.

Chacun a pris en charge une partie des tâches selon ses goûts. Didier, qui aime l'accueil, s'est porté volontaire pour tenir le caveau. « Berlou, c'est un peu le bout du monde. Nous avons fait le choix d'ouvrir tous les jours, même l'hiver. Ainsi, les gens qui font l'effort de venir jusqu'ici ne trouvent pas porte close », souligne-t-il. Au début, il a préparé des petites fiches pour chaque vin afin de bien les présenter. « Nous tenions le caveau à deux pour nous entraider. Nous avons découvert ce rôle ensemble », relate-t-il. Aujourd'hui, chacun le fait seul. Tous les jeudis, et quelques week-ends par an, c'est le tour de Didier. « J'ai découvert que c'est un plaisir de présenter les vins aux gens, de les faire déguster et de parvenir à vendre. » Cependant, cela prend du temps. Pour ces jours où il ne peut pas travailler sur son exploitation, Didier touche une indemnité de la coopérative, comme les autres adhérents.

Durant les vinifications, il échange souvent avec Pascal, le caviste, et Frédéric, le coopérateur qui assiste ce dernier au chai. « Le soir, ils nous proposent de venir goûter telle ou telle cuve. Ils nous expliquent les choix qu'ils ont faits. De mon côté, je leur fais part des retours des clients », explique le vigneron, très à l'écoute des commentaires entendus au caveau.

Les adhérents valident ensemble les assemblages. De même, ils élaborent de nouvelles cuvées pour élargir la gamme. « Nous avons par exemple créé Murmure, un rosé constitué uniquement de jus de goutte, et Collector, une cuvée emblématique de chaque millésime élaborée avec les derniers raisins rouges que nous récoltons. C'est un travail créatif où nous pouvons exprimer notre terroir », apprécie Didier.

Quand il tient le caveau, entre deux clients, il aide à préparer des commandes. Et deux jours par mois, il fait une grande tournée de livraison avec deux autres adhérents. « Nous avons développé une clientèle de cavistes et de grossistes dans les départements voisins du Tarn, de l'Aveyron et de la Lozère, que nous livrons régulièrement en direct. Cela représente un quart de nos ventes », précise-t-il.

Après avoir quitté Val d'Orbieu, en 2011, la cave a noué en 2012 avec Jeanjean un partenariat qui porte sur un tiers de ses volumes. « Cela nous a sécurisés. Ce négociant s'est engagé sur un prix de 250 €/hl pour les vins en AOP Saint-Chinian-Berlou », souligne Didier. De quoi revaloriser cette appellation, obtenue en 2004, qui fait la fierté du village.

Au caveau, les ventes représentent aujourd'hui un quart des volumes. « Notre objectif est de progresser encore car c'est là que nous avons la meilleure marge », souligne-t-il. Pour y parvenir, la cave a consacré 35 000 € à la rénovation du caveau, en 2016, et investi 10 000 € en 2017 dans une campagne de communication à la radio et dans les journaux. « Pour améliorer la rémunération, nous devons vendre plus de vins en appellation Saint-Chinian-Berlou. Ils se valorisent à un meilleur prix que les saint-chinian mais ne représentent, pour l'heure, qu'un quart de notre production », note-t-il.

Dans ces sols de schiste, avec une pluviométrie très aléatoire, les rendements varient entre 30 et 45 hl/ha. Malgré cela, Didier arrive à dégager de quoi investir à nouveau car, grâce aux efforts entrepris, la rémunération a bien progressé : « Depuis trois ans, je touche de bons soldes, comme jamais auparavant ! »

En 2012, il achète une parcelle de syrah de 0,80 ha et prend en fermage 1,5 ha de marsanne car il n'avait plus de cépages blancs après le partage avec sa femme. Côté matériel, Didier a commencé à investir en 1993, quand sa surface a augmenté de six hectares à la succession de son père. « Cette année-là, j'ai acheté un tracteur à quatre roues motrices de 55 ch et un pulvérisateur à canon. J'ai arraché un rang sur dix dans les vignes plantées à 1,60 m x 1,60 m afin d'avoir un passage de 3 m pour le pulvérisateur. Avant, j'utilisais une brouette à sulfater, et quand j'avais fini d'un côté, je recommençais de l'autre ! Comme je récolte à la main, ces passages me servent aussi à circuler avec une benne durant les vendanges. Cela allège le travail des saisonniers. »

Cette année, Didier a pu acheter son deuxième tracteur à quatre roues motrices de 75 ch ainsi que sa première écimeuse. Jusque-là, il utilisait celle d'un voisin. Cependant, dans quelques parcelles qui ne sont pas mécanisables, il continue d'écimer à la cisaille et de désherber avec un pulvérisateur à dos.

Le vigneron a également renouvelé 25 ares de grenache. Et depuis deux ans, il remplace à nouveau les manquants pour préserver son potentiel de production. Il cherche aussi à rationaliser son parcellaire. « J'ai déjà deux grandes parcelles de 2,5 ha. Mais 5,3 ha se répartissent en une vingtaine de lots dispersés. Si j'ai l'occasion d'acheter des vignes à côté de ces parcelles, je la saisirai pour continuer à restructurer tout en m'agrandissant un peu », affirme-t-il.

À 55 ans, après avoir sauvé la coopérative, son prochain défi est de transmettre son exploitation. « Mon fils travaille à Béziers, mais vient volontiers m'aider à la vigne. Il apprécie la vie en milieu rural. S'il se décidait à reprendre, je veux avoir tout préparé pour qu'il démarre sur de bonnes bases. »

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ

Didier n'a pas cherché à s'agrandir trop vite. Il a patienté en attendant de reprendre la moitié des vignes de son père. Il a été prudent dans ses achats de vignes ou de matériel. « Quand la rémunération s'est dégradée, j'ai pu tenir car j'avais peu de prêts en cours. »

Il a saisi le moment où il y avait des aides à la rénovation pour aménager, en 2000 et 2004, deux gîtes dans un bâtiment hérité de son père. Il a ainsi bénéficié d'un revenu complémentaire de 5 000 € par an durant la période difficile.

Didier est ravi de s'être investi dans le fonctionnement et la gestion de la coopérative. « Je passe moins de temps dans les vignes, et plus à d'autres tâches. Mon travail est varié, cela me plaît. »

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'IL NE REFERA PLUS

En 2004, il a fait planter un hectare de grenache par un prestataire pour gagner du temps. C'était une mauvaise idée car le travail a été bâclé. Une bonne partie des plants a mal démarré, et leur production reste faible. La bordure réalisée par Didier, au contraire, a très bien poussé. Depuis, il plante tout lui-même.

UNE COOP TRÈS PARTICULIÈRE « Nous fonctionnons comme un domaine, mais en équipe »

- Les Coteaux de Berlou vinifient de 8 000 à 10 000 hl par an. La coopérative n'emploie qu'un caviste à temps plein et une secrétaire à mi-temps. Elle tourne grâce à ses adhérents.

- Une réunion quotidienne. Tous les jours, en fin de journée, les adhérents font le point et s'informent sur les commandes à préparer. « Cela se fait spontanément. Nous fonctionnons comme une cave particulière, mais en équipe. Cela nous permet de partager les décisions et de nous relayer, c'est moins stressant », note Didier Rieux.

- De bonnes relations. Les adhérents ne sont que onze et se connaissent bien. « Nous avons des caractères différents, parfois le débat est vif ! Mais nous avons un objectif commun : défendre ce que nos parents nous ont légué, et préserver l'identité de notre village, de notre terroir », lance Frédéric, un des coopérateurs.

- Un lieu de vie. À Berlou, il y a deux endroits ouverts tous les jours : le restaurant et le caveau de la coopérative. Chaque année, la coopérative organise la Rando de Bacchus. Le village entier se mobilise pour organiser l'événement.

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L'exploitation

- Main-d'oeuvre : Didier, aidé ponctuellement par son fils, et des saisonniers pour les vendanges.

- Surface : 13 ha.

- Appellations : Saint-Chinian et Saint-Chinian-Berlou.

- Production : 442 hl en 2016.

- Cépages : syrah, grenache, carignan, mourvèdre, cinsault et marsanne.

- Densité : 4 000 pieds/hectare.

- Taille : gobelet et cordon de Royat pour la marsanne et les syrahs.

- Rendement moyen : 30 à 45 hl/ha.

L'essentiel de l'offre

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