On le sait, les dérivés de levures contribuent au bon déroulement des fermentations. Ils apportent de l'azote organique, détoxifient le moût et le préservent de l'oxydation. Mais ce n'est pas tout. Les chercheurs sont en train de découvrir le potentiel aromatique de ces produits oenologiques.
« Nous avons réalisé à quel point la nutrition de la levure influence son métabolisme aromatique », explique Anne Ortiz-Julien, en charge de la recherche et du développement chez Lallemand. D'après de récents essais, les autolysats et les levures inactivées semblent aider la levure à révéler les précurseurs de thiols et à produire des esters fermentaires qui participent à l'arôme fruité des vins. De futurs travaux expliqueront certainement par quel mécanisme. Mais Lallemand et Lamothe Abiet ont pris les devants. Pour cette campagne, ils proposent six produits, dont cinq nouveaux, qui stimulent la production d'arômes dans les trois couleurs.
Lallemand lance quatre autolysats de levures. O'Tropic et Stimula Sauvignon, respectivement distribués par l'ICV et l'IOC, augmentent la teneur en thiols des vins blancs et rosés. Stimula Chardonnay favorise, quant à lui, la production d'esters dans les blancs et O'Berry augmente leur concentration dans les rouges et les rosés. Ces produits sont riches en vitamines (thiamine, acide pantothénique ou biotine), en ergostérols, minéraux et acides aminés. Lallemand a financé deux doctorants détachés à l'Inra de Montpellier, Stéphanie Rollero et Camille Duc, pour leur mise au point. « Ils ont étudié l'activité de différentes levures dans des moûts plus ou moins enrichis en azote, stérols et vitamines. Ils ont confirmé que l'azote - minéral ou organique - est loin d'être le seul élément indispensable. Les levures ont besoin de vitamines et de stérols. Ces lipides empêchent la membrane des levures de se déstructurer en présence d'éthanol et ils sont la clé d'une bonne pénétration des précurseurs de thiols au sein des levures. En fait, l'azote peut même être nocif à la levure lorsqu'elle manque de vitamines ou de stérols », relate Anne Ortiz-Julien.
Normalement, le raisin fournit tous ces nutriments. Mais, « ils sont souvent rapidement consommés par des flores indésirables», prévient la chercheuse. D'où l'idée de les apporter au moyen de produits oenologiques. Les ergostérols d'origine levurienne viennent alors remplacer ou compléter les phytostérols du raisin. De même pour d'autres nutriments.
Lamothe Abiet a mis au point OptiThiols (en 2016) et OptiEsters, deux levures inactivées. À la différence de Lallemand, cette société n'a pas eu besoin de nouvelle thèse. « Nous nous sommes basés sur les travaux de Claude Bayanove qui avait montré, en 1998, que les levures produisaient plus de thiols et d'esters lorsqu'elles avaient suffisamment d'ergostérols à leur disposition », indique Laurent Chancholle, le directeur technique.
Autre différence avec Lallemand : les produits de Lamothe Abiet ne sont pas particulièrement riches en vitamines, seulement en ergostérols et en acides aminés. « Durant nos essais, les levures n'ont pas synthétisé davantage d'arômes lorsque nous avons enrichi les moûts en vitamines », ajoute Laurent Chancholle.
Enfin, les produits de Lallemand sont des autolysats alors que ceux de Lamothe Abiet sont des levures inactivées. Or, les autolysats sont plus riches en azote assimilable que les levures inactivées. De ce fait, avec les produits de Lallemand, il n'est pas nécessaire de complémenter en azote les moûts affichant au moins 120 mg/l d'azote assimilable. Alors qu'avec les produits de Lamothe Abiet, il ne faut pas modifier le protocole habituel de nutrition azotée.
Les deux entreprises se rejoignent sur le moment de l'apport de ces dérivés. Ceux destinés à la révélation des thiols (OptiThiols, O'Tropic et Stimula Sauvignon) s'emploient dès l'encuvage, à raison de 40 g/hl. « À chaqueessai, l'ajout d'OptiThiols est allé de pair avec une augmentation des teneurs du vin en thiols, de 50 % en moyenne », assure Laurent Chancholle. Au contraire, pour aider la levure à synthétiser des esters, les dérivés doivent être apportés au tiers de la fermentation alcoolique, « lorsque la levure passe d'un métabolisme de croissance à un métabolisme aromatique, responsable de la biosynthèse d'esters. Ajouter Stimula Chardonnay ou O'Berry à ce moment précis favorise la synthèse d'esters volatils jusqu'à la fin de la fermentation. Dans ces conditions, nous avons mesuré jusqu'à cinq fois plus de certains esters », détaille Anne Ortiz-Julien.
OLIVIER CHAPT, DIRECTEUR DU LABORATOIRE GENSAC NOLOGIE, À GENSAC-LA-PALLUE (CHARENTE) « Avec OptiEsters, plus besoin de distiller les lies »
« Certaines maisons de Cognac cherchent des eaux-de-vie jeunes et déjà fruitées. Pour répondre à leurs besoins, nous distillons des lies. Mais, lorsque la distillation est mal maîtrisée, les lies apportent de la lourdeur.
J'ai voulu savoir si l'on pouvait obtenir ces eaux-de-vie fruitées avec des dérivés de levures. Ayant l'habitude de travailler avec Lamothe Abiet, j'ai testé OptiEsters en 2016, chez un vigneron de Grande Champagne. Nous avons vinifié deux cuves de 100 hl d'un même lot d'ugni blanc. Comme à notre habitude, nous les avons levurées avec la FC9, sélectionnée par le BNIC. Nous leur avons aussi apporté du Vitaferment et de l'azote (DAP). Nous les avons vinifiées de manière identique mais, dans l'une d'elles, nous avons ajouté 30 g/hl d'OptiEsters après la perte de 30 points de densité.
À la fin de la fermentation, j'ai réalisé des microdistillations que j'ai dégustées et analysées. Le distillat du moût ayant reçu de l'OptiEsters était beaucoup plus fruité. Les analyses l'ont confirmé : ce lot contenait 70 à 120 % d'esters aromatiques en plus, en particulier le caprate d'éthyle, le caprylate d'éthyle et le laurate d'éthyle. J'ai vinifié une troisième cuve du même moût avec une autre levure, neutre du point de vue aromatique, et de l'OptiEsters. J'ai obtenu d'aussi bons résultats. Je recommande OptiEsters pour ces vendanges. Je le distribue au prix de 25 euros le kilo. »
Attention à la turbidité
À l'Inra de Montpellier, Stéphanie Rollero a ensemencé une levure productrice d'esters dans plusieurs moûts, en faisant évoluer leurs teneurs en azote assimilable (70, 200 et 330 mg/l) et en phytostérols, les stérols naturellement présents dans les bourbes (2, 5 ou 8 mg/l). Sans surprise, la levure a produit davantage d'esters fruités dans les moûts les plus complémentés en azote. Mais, quand elle avait en plus beaucoup de phytostérols à sa disposition, elle a synthétisé 60 % d'esters en moins et davantage d'alcools supérieurs, aux arômes souvent déplaisants. Une observation qui justifie le débourbage. « Il ne s'agit pas pour autant de débourber trop sévèrement car les phytostérols jouent sur la cinétique fermentaire des levures », commente Anne Ortiz-Julien, de Lallemand.
Ces résultats rejoignent ceux du Centre du Rosé, qui avait déjà montré sur différents cépages que les vins obtenus à partir de moûts débourbés intensément (20 NTU) sont plus fruités et plus fleuris que les échantillons peu débourbés (250 NTU). Cependant, pour le bon déroulement des fermentations, la plage optimale de débourbage se situe entre 100 et 200 NTU.