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VIN

Contrôle des moûts Levures, êtes-vous là ?

CHRISTELLE STEF - La vigne - n°300 - septembre 2017 - page 50

Plusieurs laboratoires proposent de contrôler la flore levurienne des moûts. Les applications sont nombreuses et les usages en hausse.
COMPTAGE DE LEVURES en laboratoire. Cette opération permet de s'assurer qu'une souche s'est bien implantée. ©  L. LECARPENTIER

COMPTAGE DE LEVURES en laboratoire. Cette opération permet de s'assurer qu'une souche s'est bien implantée. © L. LECARPENTIER

Vincent Gerbaux, de l'IFV pôle Bourgogne-Beaujolais, n'y va pas par quatre chemins. « Le contrôle microbiologique est le parent pauvre de l'oenologie », assure-t-il. Selon lui, ce type d'analyse ne s'est pas démocratisé pour les vins, ni à plus forte raison pour les moûts. Anne Buchet, oenologue au laboratoire départemental de la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher, confirme : « Nous n'avons pas de demande d'analyse microbiologique des moûts. »

Il n'empêche, plusieurs experts estiment qu'il serait utile d'en faire car la naissance d'un vin est avant tout microbiologique. D'ailleurs, certains laboratoires misent sur ce créneau.

C'est le cas d'Œnosciences. Cette nouvelle société, basée à Libourne, a été créée il y a quelques mois par Marie-Laure Badet-Murat, Thomas Duclos et Stéphane Toutoundji. Son objectif : proposer des analyses fines chimiques et microbiologiques. Pour cela, elle a recruté un docteur en microbiologie de l'université de Bourgogne, Cédric Longin.

« Pour nous, l'analyse de la flore levurienne des moûts a quatre applications : le contrôle des pieds de cuve - pour les vignerons qui en emploient -, l'élucidation de problèmes fermentaires récurrents, la sélection de souches de levures autochtones pour des propriétés et le contrôle de l'implantation de souches sélectionnées », détaille Marie-Laure Badet-Murat.

Pour réaliser ces analyses, Œnosciences dispose de tout un arsenal : la cytométrie en flux qui permet de quantifier et de mesurer la viabilité de la population levurienne totale, l'étude des profils ADN et la culture en milieu gélosé spécifique pour identifier les espèces présentes. Ce laboratoire propose aussi une analyse par cytométrie spécifiquement dédiée à la détection des Brettanomyces.

Le coût ? « Il faut compter moins de 30 € pour connaître la population levurienne totale d'un moût par la cytométrie en flux. Même ordre de grandeur pour la recherche de levures non-Saccharomyces sur boîte de Petri. Pour le contrôle de l'implantation d'une souche de levure, comptez moins de 80 € », chiffre Marie-Laure Badet-Murat. Les temps de réponse ? Une semaine pour la culture sur milieu gélosé, le jour même pour la cytométrie en flux.

Le laboratoire Microflora - une cellule de l'université de Bordeaux basée à l'ISVV - propose des prestations similaires. « On peut réaliser des analyses de la diversité microbienne afin de déterminer les populations de levures présentes dans une cuve en début, milieu et fin de fermentation. Nous estimons la proportion de S. cerevisiæ au sein d'une population totale de levures ainsi que le nombre de souches S. cerevisiæ présentes dans un moût. Concernant les non-Saccharomyces, nous pouvons identifier - pour les plus connues - Brettanomyces, Torulaspora delbrueckii et Metschnikowia pulcherrima. Nous faisons aussi des contrôles d'implantation des LSA », explique Amélie Vallet-Courbin, chargée de la R&D chez Microflora.

Excell, un autre laboratoire bordelais, peut réaliser des diagnostics précoces de contamination par Brettanomyces, Hansenula, Candida ou Zygosaccharomyces. « Hansenula ou Candida peuvent entrer en concurrence avec S. cerevisiæ, si cette levure n'est pas inoculée en quantité suffisante, et bloquer la fin de la fermentation alcoolique. Zygosaccharomyces peut perturber le mutage et la stabilité des vins liquoreux », précise Pascal Chatonnet, le directeur du laboratoire. Il peut aussi mesurer les populations de levures et leur viabilité dans le cadre du contrôle d'implantation.

Concrètement, toutes ces analyses trouvent deux applications. « Un nombre croissant de châteaux fait faire des études écologiques sur plusieurs années », observe Amélie Vallet-Courbin. Leur but : sélectionner des souches autochtones de S. cerevisiæ ou avoir une idée de la diversité des populations levuriennes présentes dans leurs cuves. Mais de telles prestations ont un coût élevé qui se chiffre au cas par cas. Pascal Chatonnet souligne que ces levains leur sont livrés sous forme congelée ou en crème réfrigérée. « Leur viabilité n'est pas forcément garantie du premier au dernier jour des vinifications. Elle mériterait d'être vérifiée », explique-t-il.

Seconde application : le contrôle des pieds de cuve. « L'intérêt est de vérifier que l'on a bien affaire à des Saccharomyces et qu'elles sont en quantité suffisante pour assurer la fermentation », indique Anne Buchet. Pascal Chatonnet, du laboratoire Excell, confirme. « Un pied de cuve, ça s'épuise. Sa capacité fermentaire diminue rapidement entre le premier et le dernier repiquage. Elle est optimale entre le deuxième et le quatrième jour après son départ en fermentation alcoolique. L'idéal serait de contrôler les levures présentes dans un levain et leur viabilité à chaque fois qu'on l'utilise », explique-t-il.

En revanche, selon les spécialistes, peu de vinificateurs font des contrôles d'implantation de LSA. « Généralement, s'ils utilisent bien les LSA, elles s'implantent correctement et la fermentation se passe bien », observe Caroline Fleur, de l'Œnocentre de Soussac (Gironde). Amélie Vallet-Courbin précise toutefois que cette analyse peut être demandée par les caves qui testent plusieurs souches de LSA. « Cela permet de vérifier que c'est bien la souche ajoutée au moût qui assure la fermentation. » Un tel contrôle peut aussi être utile à des caves qui rencontrent des problèmes fermentaires.

Un intérêt en bioprotection

Selon Microflora, les contrôles d'implantation sont amenés à se développer avec la bioprotection (voir p. 16). Là encore, le but est de vérifier que l'espèce que l'on a inoculée s'est bien implantée. Toutefois, de telles analyses restent relativement onéreuses. Aujourd'hui, elles reposent sur la biologie moléculaire. Dans le cadre d'un projet de recherche porté par Isabelle Masneuf-Pomarède, de l'ISVV de Bordeaux, Microflora va participer au développement d'un nouvel outil reposant sur une autre méthode, pour analyser davantage d'échantillons en moins de temps et réduire ainsi les coûts.

Contrôles en Champagne

En Champagne, des maisons contrôlent la population levurienne des moûts que leur livrent les centres de pressurage. Elles vérifient ainsi que les moûts ne sont pas trop chargés en levures indigènes. « Elles veulent s'assurer que les levures sélectionnées qu'elles emploient réaliseront la fermentation. S'il y a trop de levures indigènes, elles écartent les moûts et les vinifient à part. Cette analyse sert aussi à sensibiliser les pressoirs aux bonnes pratiques », explique une oenologue de la région.

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