MALGRÉ LE MANQUE DE MAIN-D'UVRE, les vendanges des vignes de Hokkaido Wine sont faites à la main pour préserver les sols. © HOKKAIDO WINE
Pour les vignerons d'Hokkaïdo, le réchauffement climatique est une réalité tangible et bénéfique. « Avant, nous ne pouvions cultiver que des cépages allemands. Aujourd'hui, les variétés françaises réussissent également », affirment Kiichiro Oichi et sa femme Masami qui ont fondé la winery Occi Gabi, en 2013, près de Yoichi, à 60 kilomètres à l'ouest de Sapporo.
Ce domaine compte 6 ha de pinot noir et gris, de gewurztraminer, de muscadet et six hybrides de cabernet-sauvignon plantés à 3 000 pieds/ha. Le couple vend ses vins dans un petit magasin très design et tient un restaurant gastronomique avec vue panoramique sur le vignoble. Le but : attirer les nombreux touristes à visiter cet arrière-pays montagneux. « La région a tout pour devenir la Nappa Valley japonaise », assurent-ils.
« Il y a quarante ans, quand nous avons créé notre vignoble Tsurunuma, au nord-est de Sapporo, nous n'avons planté que des cépages allemands : kerner, le plus commun sur l'île, müller-thurgau, zweigelt... Maintenant, nous avons aussi du sauvignon blanc, du chardonnay, du pinot blanc, gris et noir », ajoute Kimihiro Shimamura, président d'Hokkaido Wine.
Ayant son siège, sa cuverie et son magasin de vente près d'Otaru, 20 km avant Yoichi, Hokkaido Wine est l'une des plus anciennes wineries de l'île et la plus importante. Elle produit la moitié des vins d'Hokkaïdo, avec 2,5 millions de bouteilles par an et près de 100 cuvées ! 70 % d'entre elles sont issues de Vitis labrusca, le reste de Vitis vinifera. Le raisin provient pour 20 % des 100 ha de vignes de Tsurunuma où les rendements atteignent 4 t/ha. L'entreprise achète tout le reste à 300 viticulteurs de la région de Yoichi, entre 0,80 €/kg pour les Vitis labrusca et 4,60 € le kg pour les cépages français.
Conséquence du réchauffement, la part des blancs y est tombée à 60 %, celle des rouges et des rosés a progressé. Ces derniers sont encore peu courants sur l'île alors que les effervescents sont en plein essor. Notamment à la winery Yamazaki, fondée en 1998 au nord-est de Sapporo par Taichi Yamazaki, un ancien professeur, « par passion ainsi que pour contribuer au développement de ma région, déclare-t-il. Depuis, plusieurs voisins ont suivi mon exemple. »
Ses 11 ha de vignes plantées sur de petites collines ne comptent que des cépages français. Il a réservé les coteaux exposés au sud au merlot et au sauvignon blanc, afin qu'ils mûrissent bien. Chardonnay et pinot noir, eux, s'avèrent plus robustes. « Ils donnent bien partout », observe Taichi Yamazaki qui va planter du bacchus pour sa précocité « car le principal risque est une chute de neige en octobre, avant la fin des vendanges ».
Par contre, pas de problème de grêle ni de gel, bien que les températures descendent jusqu'à -20 °C en hiver. À cette saison, un manteau neigeux de 1 à 2 m d'épaisseur couvre la vigne que les cultivateurs ont dépalissée après la taille et qu'ils repalisseront fin avril. « Cette manipulation protège les ceps du gel, mais réduit leur longévité à une vingtaine d'années », révèle Yuki Kasai, l'oenologue d'Hokkaido Wine.
Les hivers sont plus rigoureux à Hokkaïdo que dans le reste du Japon, mais l'île bénéficie d'un avantage de poids : une pluviosité bien moindre en été. « Contre l'oïdium et le mildiou, cinq à sept traitements suffisent généralement. C'est moitié moins qu'à Honshu, la principale île du Japon », constate Kiichiro Oichi qui y était installé auparavant.
Côté ravageurs, peu de problèmes si ce n'est des mammifères, parfois. « Nous devons protéger les jeunes plants des daims et à deux reprises des ours ont causé de gros dégâts dans nos vignes », note Kimihiro Shimamura.
Autre souci pour les vignerons d'Hokkaïdo, la main-d'oeuvre. « Nos employés doivent parfois aller aider les fermiers qui nous fournissent des raisins car les jeunes ne prisent pas le travail dans les champs », déplore Yuki Kasai. Malgré cela, les vendanges sont manuelles en raison de l'exiguïté des parcelles ou pour préserver les sols. « Nous avons arrêté la récolte mécanique car le poids de la machine compactait le sol et endommageait les racines. »
Chez Occi Gabi et Yamazaki, les raisins sont récoltés dans des petites cagettes, passent sur des tables de tri vibrantes, puis sont transférés par gravité comme les jus. Caves climatisées, cuves thermorégulées et passages en fûts français sont de règle. C'est le cas pour les meilleurs vins d'Hokkaido Wine qui a modernisé ses installations il y a trois ans. Les bouteilles sont également françaises. « Les verriers japonais s'entendent sur les prix et surfacturent quand on demande des modèles différents de ceux du saké », souligne Kiichiro Oichi.
Tous ces vins sont vendus entre 10 et 30 € le col, à peu près à parts égales dans l'île et dans le reste du Japon. Même tarif chez Occi Gabi et Yamazaki qui écoulent 60 % et 80 % de leur production directement sur place ou par expédition. « Des clients viennent d'Honshu pour goûter mes vins », révèle Tachai Yamazaki. « J'ai créé un club de sponsors dont les membres reçoivent une bouteille gratuite chaque année mais ils doivent venir la chercher chez nous, pour les inciter à acheter », explique Kiichiro Oichi. Seul Hokkaido Wine exporte un peu en Asie.
Ruée sur une île bon marché
La réussite des producteurs locaux suscite des vocations. « Au contact de Taichi Yamazaki, j'ai vu qu'on pouvait produire de bons vins ; ce qui m'a décidé à me lancer », affirme Hirofumi Hamada, universitaire à la retraite qui a planté 2 ha l'an dernier. Par ailleurs, la nouvelle donne climatique et le prix du foncier attirent les vignerons d'autres régions, tel Kiichiro Oichi. « Les vins issus de cépages français se vendent plus cher et il est facile de trouver des terres à un prix abordable car de nombreux fermiers n'ont pas de successeur », détaille-t-il. En six ans, le nombre de wineries est ainsi passé de 16 à 33. Et ce n'est pas fini. Les gros acteurs du secteur japonais des boissons, tels Suntory, Kirin et Asahi, cherchent des terres pour y fonder des domaines. Vigneron à Puligny-Montrachet, Étienne de Montille va lui aussi y créer un vignoble, en 2019, avec un partenaire japonais. « Nous allons planter des cépages bourguignons près d'Hakodate, à la pointe sud de l'île, où la neige est moins abondante et moins précoce. »