« La mise en réserve, c'est le chaînon qui nous manquait pour bien piloter la nutrition », affirme Guillaume Desperrières, de SRDV, un laboratoire d'analyse et de conseil en oeno-agronomie installé à Narbonne, dans l'Aude. Bien que ce phénomène ne soit pas encore parfaitement compris, il est de plus en plus pris en compte. En effet, après les stress climatiques et les petites récoltes à répétition, il faut redonner de la vigueur aux parcelles affaiblies.
Pour savoir s'il faut intervenir en fin de cycle, viticulteurs et conseillers s'appuient sur des analyses de pétioles ou de sève et l'observation des vignes. Ils surveillent ainsi la charge, les éventuels blocages de croissance et l'état du feuillage. « Lorsque la charge est trop forte par rapport à la surface foliaire ou que des conditions stressantes - sécheresse, grosse chaleur, vent - freinent l'assimilation des nutriments, la vigne puise plus intensément dans ses réserves. Il faut alors l'aider à les reconstituer », précise Bernard Duzan, du laboratoire Galys, à Toulouse, en Haute-Garonne.
Pour cela, la photosynthèse doit rester active en fin de cycle. Les vignes accumulent alors plus de sucres, d'amidon et d'éléments minéraux. « Cela suppose de conserver un feuillage sain, en prolongeant si nécessaire la protection phytosanitaire. Un apport de cuivre post-vendanges allonge ainsi de trois à quatre semaines la durée de vie des feuilles », constate Stéphanie Prabonnaud, du laboratoire Natoli, dans l'Hérault.
De même, la vigne doit être suffisamment alimentée en eau. « En cas de fort stress hydrique, il est utile d'irriguer après les vendanges. Et dans les parcelles non irriguées, on peut, au minimum, travailler le sol pour limiter la concurrence de l'enherbement, ce qui facilite également l'infiltration des pluies automnales », conseille Gabriel Ruetsch, agronome au groupe Foncalieu, dans le Languedoc.
Parfois, c'est un nutriment qui fait défaut. Ainsi, une sécheresse estivale peut bloquer l'absorption de l'azote. Si l'analyse des moûts révèle des carences, Gabriel Ruetsch préconise d'apporter de l'azote après les vendanges. « En ferti-irrigation, cela fonctionne bien. La vigne reste verte plus longtemps. Au printemps suivant, le débourrement est meilleur et les rameaux sont plus fructifères », observe-t-il.
« On peut aussi apporter de l'azote au sol avec un stimulant d'absorption racinaire ou en pulvérisation foliaire », relève Régis Castan, responsable viti-oeno chez Frayssinet. Pour favoriser les mises en réserve, ce groupe a mis au point Actimus, un engrais organo-minéral qui comprend des oligo-éléments et des stimulants de la croissance racinaire.
À Vias, dans l'Hérault, le domaine de Preignes le Vieux réalise trois analyses de pétioles au cours du cycle pour piloter la nutrition de la vigne. « Lorsque cela est nécessaire, nous apportons en post-vendanges de l'azote par ferti-irrigation ou apport foliaire. Cela améliore le démarrage du cycle suivant et nous aide à atteindre le plafond du rendement autorisé en IGP Pays d'Oc », explique Raphaël Durand, le directeur technique de ce vignoble de 200 ha. Pour protéger le feuillage, il applique également du cuivre après les vendanges.
Dans d'autres cas, c'est la potasse qui manque. « Cet été, j'ai remarqué des carences inhabituelles, sans doute dues à la sécheresse qui a freiné l'absorption des minéraux. J'ai rapidement apporté de la potasse par pulvérisation foliaire. Le feuillage, qui a bien récupéré, a mieux assuré la maturation des grappes, puis la mise en réserve », note Jean-François Lefebvre, chef de culture au domaine Fournier, à Verdigny, dans le Cher, qui couvre 120 ha. Afin de protéger le feuillage, il a appliqué un traitement préventif à l'hydroxyde de cuivre fin août.
Stéphanie Prabonnaud observe que ces apports tardifs d'azote et de potasse sont bien valorisés. « En analysant les pétioles, nous avons constaté que la vigne continuait à accumuler ces éléments après les vendanges. Mais appliquer des engrais foliaires juste après la récolte, cela demande de l'organisation alors que les vinifications sont en cours », relève-t-elle.
D'autres minéraux doivent être apportés à plusieurs moments du cycle pour que leur teneur remonte. C'est le cas du fer. « Si une parcelle souffre régulièrement de chlorose ferrique, on peut lui donner du fer après la véraison pour améliorer ses réserves, puis en apport foliaire au stade 5 ou 6 feuilles étalées au printemps suivant. Avec ces deux apports, la correction sera plus efficace », note Stéphanie Prabonnaud.
Pour autant, les réserves ne déterminent pas toute la nutrition. « Tout au long de la saison, d'autres facteurs, conditions météo en tête, interviennent », rappelle Alexis Goutelle, chef de marché chez CR Distribution. Cette entreprise a formulé une gamme d'engrais destinés à favoriser la mise en réserve. Elle a lancé un programme d'essais dans cinquante parcelles réparties dans toute la France, avec le laboratoire Auréa, des distributeurs et des viticulteurs. « Nous voulons mieux comprendre ce qui influe sur les mises en réserve et cerner l'impact de meilleures réserves sur le rendement, la qualité ou encore la résistance aux stress des ceps », précise Alexis Goutelle.
Réserves : des hauts et des bas
La vigne stocke dans son tronc, ses sarments et ses racines des sucres, de l'amidon, des acides aminés et des éléments minéraux. Elle mobilise ces réserves avant même le débourrement pour élaborer de nouvelles racines qui absorberont l'eau et les nutriments du sol durant son nouveau cycle végétatif, les vieilles racines en étant incapables. Elle s'en sert ensuite pour la pousse de ses premières feuilles. Puis, la photosynthèse prend le relais. « La vigne commence à reconstituer ses réserves dès la véraison, à condition qu'elle produise plus d'énergie qu'il n'en faut pour alimenter les grappes », explique Bernard Duzan, du laboratoire Galys. Le phénomène s'achève quand le feuillage se dessèche. La part de réserves constituée après les vendanges est variable. « Le feuillage fonctionne encore deux mois après une récolte précoce et seulement un mois après une récolte tardive », note Guillaume Desperrières, de la SRDV. Pour évaluer les réserves, on mesure la teneur en amidon et en éléments minéraux des sarments. Mais ces analyses n'en donnent qu'une idée imparfaite, l'essentiel étant stocké dans les racines.
Plus fortes pour résister au gel
Les vignes dotées de bonnes réserves résistent mieux au gel. « Elles redémarrent plus vite et donnent de nouvelles pousses mieux accrochées aux ceps que dans les vignes affaiblies où, plus fragiles, elles ont tendance à tomber », observe Pauline Gilbert, de Vitagri, une filiale du groupe Isidore basée à Crézancy-en-Sancerre, dans le Cher. Après le gel de ce printemps, elle a recommandé que l'ébourgeonnage soit pratiqué en pensant à la taille future et en n'hésitant pas à garder des gourmands, plus vigoureux. Cet automne, pour renforcer l'aoûtement, elle conseille des apports de phosphore et potasse. « Après un gel, mais aussi une grêle ou de la sécheresse, un apport d'oligo-éléments est utile pour la mise en réserve », souligne de son côté Thierry Favier, de la CAPL. Même si la récolte est petite, il conseille de bien protéger des maladies le feuillage des vignes gelées afin d'améliorer la mise en réserve et les sorties de grappe l'année prochaine.
Un produit pour booster les réserves à l'essai
CR Distribution, basée à Bouliac, en Gironde, a mis au point Newcop, un engrais foliaire destiné à soutenir les mises en réserve. « Il contient du cuivre, manganèse, zinc et bore, qui favorisent le maintien du feuillage en fin de cycle, ainsi qu'un acide aminé - la glycine bétaïne - qui améliore la biodisponibilité de ces oligo-éléments », décrit Alexis Goutelle, chef de marché. L'entreprise conduit depuis 2015 des essais en Charente, qui montrent une progression des réserves dans les vignes traitées avec Newcop. En 2015, le gain par rapport à un témoin non traité était de 17 % en azote, 14 % en amidon et 23 % en sucre. En 2016, sur ces mêmes ceps, il y a eu 15 % de grappes en plus. L'effet d'un apport de Newcop varie d'une année à l'autre. « Il est plus marqué quand la météo de la campagne n'a pas été favorable à la constitution de réserves », relève-t-il. La CAPL a testé ce produit chez deux viticulteurs de la vallée du Rhône : « En 2016, ils ont réalisé deux applications autour des vendanges. En 2017, le débourrement était plus homogène dans les vignes qui avaient reçu ce produit », note Thierry Favier, de la CAPL.