En France, la plupart des vignes mères de porte-greffes sont conduites en tête de saule, avec les rameaux qui courent librement sur le sol. Mais quelques pépiniéristes les palissent sur la table ou sur le fil, comme des vignes classiques. C'est le cas de Lilian Bérillon. Installé à Jonquières, dans le Vaucluse, il s'est lancé il y a dix ans. Aujourd'hui, 10 ha de ses vignes mères sont palissées sur table, soit 80 % de sa production. « Mon but est d'arriver à 15 ha », précise-t-il.
Première raison de ce choix : se passer d'herbicide et travailler les sols. Autre avantage : les traitements contre la cicadelle de la flavescence dorée sont facilités. « On intervient sans rouler sur les bois et les produits atteignent mieux leur cible », explique le pépiniériste.
Christophe Hébinger, des pépinières éponymes en Alsace s'est aussi lancé il y a dix ans. Désormais, il palisse toutes ses nouvelles vignes mères sur table et teste le palissage sur fil. « En palissant, exit le désherbage chimique. Et comme l'Alsace bénéficie du statut de zone protégée vis-à-vis de la flavescence dorée, nous sommes exemptés des traitements obligatoires contre la cicadelle vectrice de la maladie. Je peux donc produire des porte-greffes bio », explique-t-il. Une production qu'il est le seul à proposer en France.
Autre intérêt selon lui : le palissage limite les plaies de taille. Les souches sont dès lors moins atteintes par les maladies du bois.
Chez Mercier, à Vix, en Vendée, 40 ha de porte-greffes sont palissés sur un parc de 150 ha. « Nous avons opté pour cette technique d'abord pour des raisons sanitaires. On s'affranchit des contaminations par Agrobacterium tumefaciens, la bactérie du sol qui cause des broussins. Et on réduit aussi les contaminations via les champignons des maladies du bois », précise Olivier Zekri, responsable innovation et process.
En hiver, ce pépiniériste récolte des bois plus homogènes. « Lorsque la vigne est conduite en tête de saule, les rameaux du dessus cachent le soleil à ceux du dessous. Avec le palissage, cela n'arrive pas. On récolte plus de bois de bon diamètre. Il y a moins de déchets. » En outre, le personnel travaille debout alors qu'il doit se courber pour ramasser les bois des vignes conduites en tête de saule. « Dans les porte-greffes palissés sur fil, on coupe les bois et on les tire comme pour une vigne palissée. Sur table, on les débite directement dans la parcelle », détaille Olivier Zekri.
Mais ces palissages coûtent cher. « Il faut compter 15 000 €/ha de frais d'installation », estime Didier Viguier, de la chambre d'agriculture de l'Aude. Lilian Bérillon annonce un coût encore plus élevé : 30 000 €/ha. À ces dépenses s'ajoutent les frais de culture et d'entretien des palissages. « Au début, il faut monter les pieds à 1 m de hauteur. Lorsque les parcelles sont en production, on doit les ébourgeonner au printemps, puis réaliser un léger rognage et remettre la végétation trois fois sur la table durant l'été. Cela nécessite du personnel plus qualifié que nous rémunérons à l'heure et non à la tâche », indique Lilian Bérillon. Le pépiniériste vauclusien fait les comptes. Comparé à la conduite en tête de saule, il travaille 70 à 90 h/ha supplémentaires durant les deux premières années pour attacher et former les jeunes pieds, puis de 270 à 320 h/ha/an, selon les porte-greffes, pour ébourgeonner et guider la végétation sur le grillage. Chez Mercier, Olivier Zekri confirme : « Le coût de production est supérieur de 10 à 15 %. Au printemps, il faut ébourgeonner pour avoir des tiges d'un bon diamètre. Ensuite, les entre-coeurs des variétés qui buissonnent doivent être retirés. Et surtout, il ne faut pas attendre pour attacher les pousses afin qu'elles ne cassent pas. »
Au départ, il palissait sur table. Puis il a préféré le palissage sur fil, moins cher à l'installation et plus facile à réparer. « En plus, sur table, les variétés un peu buissonnantes ont tendance à s'emmêler », justifie Olivier Zekri.
Cette pratique encore marginale va-t-elle se développer ? L'avenir le dira. Dans le cadre du Plan national de lutte contre le dépérissement du vignoble, des recherches sur la qualité du matériel végétal viennent d'être lancées sur la qualité du greffage, les taux de reprise en pépinière, etc. « Si ce travail prouve que les porte-greffes palissés donnent de meilleurs bois, les lignes bougeront », indique Olivier Zekri.
Italie Une pratique plus répandue
Chez VCR (Vivai Cooperativi Rauscedo), 1er pépiniériste italien, 350 ha de vignes mères de porte-greffes sont palissés sur un parc de 1 500 ha. Le palissage se fait avant tout sur table. La première motivation des coopérateurs membres de cette entreprise, c'est de pouvoir travailler le sol. D'après Loïc Breton, directeur de VCR France, on récolte également 20 à 30 % de bois supplémentaire pour certaines variétés qui ont du sang de Vitis rupestris comme le 110 R, le 140 Ru ou le 1103 Paulsen. Pour obtenir ce résultat, les producteurs passent trois fois dans les parcelles en vue de retirer les entre-coeurs, ce qui favorise l'allongement des bois. Le palissage facilite aussi la récolte des bois. En revanche, selon le directeur de VCR France, il n'y a pas de différence de qualité de bois entre les porte-greffes palissés et ceux conduits au sol.
PIERRE-MARIE GUILLAUME, PÉPINIÈRES GUILLAUME, À CHARCENNE (HAUTE-SAÔNE) « Palisser n'évitera pas les maladies du bois »
« Le palissage des porte-greffes se pratique dans certains pays (le Tyrol en Autriche, en Roumanie...) où le climat est frais et humide. Dans ces situations, le palissage est indispensable pour avoir des bois dotés de réserves suffisantes. Mais sous le climat méditerranéen, on obtient des porte-greffes d'excellente qualité sans avoir besoin de les palisser. Si cette technique amenait vraiment un plus, elle se serait développée depuis longtemps. Dans notre pépinière, nous avons planté 2 ha de porte-greffes (41 B, Fercal, SO4, 3309) que nous avons palissés sur table il y a trois ans. Notre objectif : vérifier si cela amène effectivement un gain qualitatif. Premier bilan : les coûts d'installation et de production explosent sans que l'on ait des bois de meilleure qualité. Quant à l'argument que cela limite les maladies du bois, c'est une impasse. Même un plant indemne se contamine immédiatement au vignoble comme le montrent les travaux d'Agroscope Changins et plus récemment d'Olivier Yobregat, de l'IFVV. »