Vous ne devinerez jamais ce qui se trouve sur les toits végétalisés de la Mairie de Paris. Des raisins de Limoux ! Enfin, plus précisément du compost de marc fabriqué par la distillerie coopérative Cavale, sise à Limoux, dans l'Aude. Baptisé Onze300, le nom de ce produit évoque non seulement le code postal de Limoux (11300) mais aussi les onze personnes qui ont participé à sa conception et le slogan de la coopérative : « 100 % végétal, 100 % local et 100 % Cavale ».
« Onze300 stimule l'activité biologique des sols. Il remet à la disposition des plantes des éléments déjà présents mais souvent non utilisables, souligne Claire Salvat, chargée du projet pour Cavale. Il s'agit d'un amendement et non d'un engrais. Notre produit est faiblement dosé en NPK. »
Le compost s'utilise en fumure d'entretien à raison de 1,5 à 2 tonnes par hectare et par an. Cette dose compense les pertes dues à la minéralisation naturelle de l'humus dans les vignes où les bois de taille sont restitués au sol. Pour redresser le taux de matière organique du sol, les doses doivent être bien plus élevées : 10 t/ha pour augmenter de 0,1 % le taux de matière organique. Avant plantation, on apporte 5 à 7 t/ha, en fonction de l'analyse du sol.
Depuis l'automne 2016, Cavale a confié la mise en place d'un essai à la société Datagri pour comparer Onze300 à une fertilisation organo-minérale classique. Les observations portent sur de nombreux critères : le taux de matière organique des sols, la composition minérale de la vigne, la qualité et la quantité récoltée. Ces essais permettront aussi de tester différents épandeurs. Ils compléteront les résultats de précédentes études, Germiflor et Sieur d'Arques ayant déjà montré l'intérêt du compost de marc pour la fertilisation des vignes.
« Nous voulons valoriser le marc et lutter contre l'appauvrissement des sols. Notre réponse : mettre à la disposition de nos adhérents un amendement organique issu à 100 % du marc de raisin de leur coopérative », explique Claire Salvat. Et cela fonctionne : en 2016-2017, 800 hectares de vignoble ont reçu le produit, facturé en vrac aux coopérateurs à 80 €/t ou à 90 €/t en « big bag » de 1 tonne. Pour l'épandre, Cavale met trois épandeurs à la disposition des viticulteurs qui le souhaitent.
La coopérative produit 6 000 t de marc épuisé et épépiné par an. Dès l'an prochain, une moitié sera compostée, l'autre servant de biocombustible pour alimenter le séchoir à pépins.
Le compostage est réalisé par Fuméco-Lèze, à Artigat (Ariège). Cette entreprise broie le marc qu'elle réceptionne et le répartit en andains afin que la fermentation démarre. Durant cette phase, le marc doit atteindre 55 °C minimum afin qu'il soit pasteurisé et que les rares graines d'adventice qu'il héberge soient détruites. Après neuf mois, durant lesquels il sera retourné trois à quatre fois avant d'être émietté, trié puis tamisé, il retournera enfin dans les vignes.
Onze300 Un compost stable
Le compost Onze300 contient environ 35 % de matière organique par tonne de produit brut et 12,4 kg/t d'azote organique, 4 kg/t de phosphore, 10,7 kg/t de potasse et 1,1 kg/t de magnésium. Avec son ISMO (Indice de stabilité de la matière organique) élevé (85 % en moyenne), il apporte entre 270 et 300 kg d'humus stable par tonne de produit brut, selon les lots. Contrairement au marc frais, il ne risque pas de provoquer une faim d'azote car il possède un rapport C/N relativement faible, de l'ordre de 12 ou 13 (selon les lots).
Une demande croissante
Le marché des composts de marc représente environ 200 000 t par an. Les adhérents de l'Union nationale des groupements de distillateurs d'alcool (UNGDA) en produisent chaque année près de 150 000 t. Ceux de la Fédération nationale des distilleries coopératives viticoles (FNDCV) en ont produit 52 000 t en 2016-2017. « Ce sont des produits de qualité très variable qui vont du simple marc désalcoolisé au compost retourné plusieurs fois », souligne Franck Jolibert, chef de projet à l'UNGDA. Les simples marcs sont cédés gratuitement quand les composts retournés plusieurs fois se vendent entre 15 et 20 €/t. La demande pour ces derniers augmente. « Les viticulteurs veulent améliorer la teneur en matière organique de leurs sols. Ils apprécient l'origine viticole du compost et le fait de participer à l'économie circulaire. Mais, les volumes récoltés cette année ne permettront pas de répondre à la demande », indique Franck Jolibert, qui perçoit des tensions dans les régions à la fois céréalières et viticoles.