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AXEL ALLAIS, viticulteur bio de la cave de Vauvert, dans le Gard, constate les dégâts provoqués par la flavescence dorée dans une de ses parcelles. © P. PARROT
Ce n'est pas une surprise. Mais les résultats sont sans appel. Le Pyrévert - seul insecticide autorisé en bio pour lutter contre la cicadelle de la flavescence dorée - présente une efficacité très aléatoire. Dans le cadre d'un projet financé par FranceAgriMer, l'IFV Sud-Ouest a piloté une batterie d'essais en 2015-2016. Plusieurs organismes (1) ont testé des stratégies à un, deux ou trois traitements à base de Pyrévert. Ils les ont réalisés à différentes dates et cadences. Leurs conclusions ? Que l'on fasse deux ou trois traitements, l'efficacité du Pyrévert est identique, s'élevant entre 80 et 85 %, en moyenne. Ses performances sont toujours inférieures à celles des références chimiques que sont le Karaté Zéon et Décis Protech (95 à 100 % d'efficacité). Dans le meilleur des cas, le Pyrévert réduit de 90 % les populations de cicadelles. Dans le pire, il ne dépasse pas 20 %. Quant aux stratégies à un seul traitement, elles n'apportent en moyenne que 60 % d'efficacité.
Les acteurs du projet ont enquêté auprès de plus de 70 viticulteurs en parallèle de leurs essais. L'objectif : mesurer l'efficacité des traitements au Pyrévert sur le terrain et comprendre les causes de leur réussite ou échec. Là encore, les observations relèvent des résultats aléatoires, du même ordre que ceux constatés lors des essais. Mais aucune explication n'a pu être avancée. Les viticulteurs ont été interrogés sur la présence de pampres lors du traitement, les conditions météo, l'heure du traitement et le volume de bouillie appliqué. Aucun de ces facteurs n'est apparu comme déterminant. Un bémol toutefois : la qualité de la pulvérisation n'a pas été mesurée.
« Devant ces résultats, on ne peut que conseiller aux viticulteurs bio contraints à la lutte obligatoire de compter les larves après un traitement pour en vérifier l'efficacité et le renouveler si nécessaire », rapporte Audrey Petit, de l'IFV Sud-Ouest. Un constat que partage Antoine Verpy, animateur au GDON du Libournais.
Dans les secteurs touchés par la flavescence dorée, cette irrégularité est un vrai handicap. Ainsi, dans le Gard, les conséquences sont dramatiques. La flavescence dorée y connaît une progression exponentielle. Les viticulteurs bio sont désarmés. L'an passé, un gros foyer a été découvert sur les communes d'Aimargues et du Cailar, une zone où 80 % des viticulteurs sont en bio. « On a découvert 13 000 pieds infectés. Quatre hectares ont dû être arrachés. Et, on s'attend à en trouver beaucoup plus cette année », déplore Thomas Tribillac, le président du GDON des Costières du Vidourle qui regroupe cinq communes.
Les vignerons bio concernés tentent d'enrayer la propagation de la maladie. En vain. « L'an passé, on a dénombré huit pieds de marselan contaminés dans une de mes parcelles, relate Axel Allais, viticulteur à Aimargues, dans le Gard. Cette année, il y en a vingt-six. Mais on en a trouvé aussi dans d'autres parcelles. Au total, je vais devoir arracher une centaine de souches. Pourtant, j'ai appliqué le Pyrévert dans de bonnes conditions. En réalité, on ne peut pas se contenter de traiter. Il faut prospecter tout son vignoble sans attendre que la FDON le fasse. Chacun doit prendre ses responsabilités, quitte à embaucher du personnel si l'on a des surfaces conséquentes. Et, si on découvre des pieds contaminés, il faut les arracher sans attendre. »
Ce viticulteur va même plus loin. Il recommande de repasser en lutte conventionnelle les parcelles dont plus de 10 % des pieds sont contaminés. « À titre personnel, je le ferai. Sinon, on court à la catastrophe. » En contrepartie, il souhaite conserver la certification bio pour le reste de son vignoble qu'il continuera à traiter en bio. « Mais l'Inao bloque », regrette-t-il.
L'irrégularité du Pyrévert et ses conséquences sur l'épidémie de la flavescence dorée semblent se cantonner au Sud-Est et à la région Midi-Pyrénées. Dans le Bordelais, « la maladie n'évolue pas davantage dans les zones en bio qu'en conventionnel. Néanmoins, les châteaux qui travaillent en bio doivent se montrer vigilants en s'investissant plus dans la prospection des vignes et le comptage des cicadelles », assure Antoine Verpy.
Face à la situation, SudVinBio a alerté Valagro, la société qui distribue le Pyrévert en France. Contacté par La Vigne, Valagro reconnaît que l'« efficacité du Pyrévert tourne autour de 80 à 85 % ». Cédric Fortoul, responsable technique Europe, insiste surtout sur les conditions d'emploi : « La matière active est stable en milieu acide. Le pH de la solution doit être compris entre 4,5 et 5,5 pour que l'efficacité soit optimale. » Selon lui, faute de respecter cette condition, les principes actifs risquent d'être dénaturés. L'entreprise recommande également d'appliquer le produit seul et en fin de journée car il est photosensible. Et elle insiste sur la qualité de la pulvérisation : le Pyrévert doit être en contact avec les cicadelles pour agir. Il faut donc bien cibler le feuillage.
Pour Antoine Verpy, la cause de l'irrégularité du Pyrévert est difficile à cerner et reste multifactorielle. Mais, d'après lui, deux éléments majeurs pourraient expliquer les échecs : une mauvaise qualité de pulvérisation et l'épamprage. À la chambre d'agriculture du Gard, Cyril Cassarini ne partage pas son avis. « Les viticulteurs qui respectent à la lettre les conditions d'emploi connaissent malgré tout des difficultés », observe-t-il.
Des cicadelles seraient-elles résistantes à l'insecticide, comme le pensent certains viticulteurs ? Selon Valagro, c'est peu probable, car le Pyrévert est un mélange de six substances naturelles extraites d'une plante. Les problèmes seraient-ils liés aux conditions de production de ces plantes ? Impossible de le savoir. « Le Pyrévert est extrait des fleurs de Chrysanthemum cinerariæfolium. Cette plante est cultivée au Kenya et en Australie. Ces deux pays producteurs alimentent aussi le marché amateur. Or, la demande augmente. La qualité de leurs productions a-t-elle baissé ? Nous n'avons pas les moyens de le savoir », reconnaît Cédric Fortoul.
En attendant, les viticulteurs bio restent démunis. « On essaye de trouver des solutions complémentaires au Pyrévert mais, aujourd'hui, nous n'avons rien de probant à un coût acceptable », déplore Nicolas Constant, de SudVinBio.
(1) Avec le BIVB, des chambres d'agriculture, Bio Bourgogne, Fredon Paca, Grab, SudVinBio, Vinipole et Vitinnov.
MICHEL SAUMADE, VIGNERON SUR 110 HA DANS LE GARD ET L'HÉRAULT « Une dérogation devrait autoriser les insecticides conventionnels en bio »
« Je suis à la tête de deux exploitations de 55 ha chacune. La première, située au Grau-du-Roi (Gard), est en bio depuis dix ans. Je devais convertir la deuxième basée à Mudaison (Hérault) cette année. Mais j'y ai renoncé à cause de la flavescence dorée. Depuis trois ans, je lutte contre un foyer qui est apparu dans une de mes vignes du Gard. Au début, seuls trois à quatre pieds étaient infectés et je les ai arrachés aussitôt. L'année suivante, j'en avais 500, et cette année, j'en compte 1 200 à 1 300. À terme, je vais devoir arracher l'ensemble de la parcelle. Pourtant, j'applique les trois traitements au Pyrévert pour lutter contre la cicadelle en respectant scrupuleusement les conditions d'emploi. Et malgré tout cela, la lutte ne fonctionne pas. La chambre d'agriculture du Gard a fait des comptages de cicadelles chez d'autres viticulteurs avant et après des applications de Pyrévert. Les résultats montrent que l'efficacité des deux premiers traitements oscille entre 50 et 60 % et celle du troisième entre 15 et 20 %. C'est dérisoire. Pour moi, le préjudice financier est conséquent car non seulement je dois arracher les pieds flavescents mais en plus le traitement au Pyrévert me coûte entre 8 000 et 10 000 € par an pour trois passages sur 55 ha. Aujourd'hui, je n'ai aucun moyen d'enrayer la maladie qui s'étend d'année en année. C'est pourquoi je souhaiterais que l'on puisse bénéficier d'une dérogation pour pouvoir utiliser des insecticides conventionnels sans perdre la certification bio. C'est une question d'intérêt général. Il faut penser à nos voisins conventionnels que l'on risque d'infecter. Soit on nous l'autorise, soit il n'y aura plus de viticulture bio en France. »
Onéreux, mais ça va mieux
Valagro annonce le Pyrévert à 41 €/l, soit 61,50 €/ha. Un coût bien plus élevé que les insecticides conventionnels, ce que déplorent les bios. L'entreprise en est consciente. « C'est le seul produit AB, homologué, et le plus cher du marché. Ce n'est pas une situation confortable pour nous », indique Cédric Fortoul, responsable technique Europe. Le Pyrévert est un insecticide d'origine naturelle. Ses principes actifs sont extraits de fleurs de pyrèthre, selon un procédé assez coûteux. « Certains coûts sont incompressibles, mais nous faisons au mieux. Depuis 2008, le prix a baissé, nous étions alors à 50 €/l », rappelle le manager.
Bourgogne Un beau taux de réussite
BioBourgogne a participé aux essais sur le Pyrévert dans le cadre du projet FranceAgriMer. « Nous avons obtenu des efficacités supérieures à 90 % lors de nos essais en microparcelles et n'avons pas observé d'échec chez les viticulteurs », rapporte Agnès Boisson, responsable de la viticulture. Avant de préciser que la qualité de la pulvérisation et de l'épamprage est un gage de réussite : « Des descentes dans le rang sont nécessaires pour atteindre le feuillage sur l'ensemble du plan de palissage. Et il ne doit pas y avoir de pampres au moment de l'application, sinon les cicadelles qui s'y trouvent échappent au traitement. » Xavier Moissenet, viticulteur à Bouzeron certifié bio depuis cette année, confirme : « J'avais des vignes en zone de lutte obligatoire de 2014 à 2016. Selon les années, j'ai fait entre un et trois traitements. Les comptages effectués par BioBourgogne ont montré qu'après les traitements, les populations de cicadelles étaient quasiment inexistantes. »
