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VIGNE

En bio, ne partez pas seul

CHRISTELLE STEF - La vigne - n°302 - novembre 2017 - page 54

Durant la période de conversion au bio, les parasites et les adventices réservent de mauvaises surprises aux vignerons.

La conversion à la viticulture biologique est un moment délicat. Beaucoup de viticulteurs rencontrent des difficultés à contrôler certains parasites ou adventices. À quel point ? C'est ce qu'a voulu savoir Anne Mérot, de l'Inra de Montpellier. Jusqu'en 2016, elle a suivi 48 parcelles de grenache dans l'Hérault, le Gard, le Vaucluse et la Drôme. Huit étaient en conventionnel, les autres en conversion : douze en première année, quinze en deuxième année et douze en troisième année. « Il y a significativement plus de baies malades au moment des vendanges dans les parcelles en conversion que dans les conventionnelles », observe-t-elle. Le taux de baies infectées atteint 30 % en première année de conversion et 35 % en deuxième année contre 20 % en moyenne en conventionnel. Il diminue en troisième année. Ces baies sont touchées par le mildiou ou les vers de la grappe. « La lutte contre ces parasites nécessite une phase d'apprentissage. Puis, les difficultés s'estompent », note Anne Mérot. En revanche, les vignerons en conversion contrôlent aussi bien, voire mieux, l'oïdium que les conventionnels.

La première inquiétude des viticulteurs qui veulent se convertir au bio, c'est le mildiou, constate Étienne Laveau, de la chambre d'agriculture de Gironde. Le cuivre étant strictement préventif, il doit être appliqué juste avant les pluies contaminatrices. « Pour éviter de se faire déborder, il faut pouvoir traiter tout son vignoble en moins de 24 heures. Cela suppose d'avoir un pulvérisateur pour 15 à 20 ha », recommande le technicien. La réussite passe également par la maîtrise des travaux en vert. Il ne faut pas tarder à relever les vignes, pour éviter que les rameaux ne traînent au sol et servent « d'échelle » au mildiou. « Mieux vaut prendre du personnel pour relever à temps, plutôt que de courir après la maladie », note le technicien.

Le contrôle du black-rot est une autre difficulté, très liée à la pression du parasite. « La première année d'apparition de la maladie, les taux d'attaque restent maîtrisés en conventionnel, alors que dans les parcelles en conversion au bio, ils peuvent atteindre 60 % quelle que soit l'année de conversion », souligne Anne Mérot. Contrairement à ce que l'on observe avec le mildiou et les vers de la grappe, l'expérience acquise par les viticulteurs ne semble pas les aider dans la lutte contre le black-rot. Et pour cause : le mélange cuivre + soufre employé contre cette maladie est insuffisant en cas de forte pression.

La vraie difficulté reste la lutte contre la cicadelle de la flavescence dorée, pour Cyril Cassarini, de la chambre d'agriculture du Gard. « L'efficacité du pyrèthre naturel est insuffisante et aléatoire même lorsqu'on respecte à la lettre les conditions d'emploi », assure-t-il. Ce que confirme Nicolas Constant, de SudVinBio. « Cela fait hésiter certains viticulteurs à se convertir », regrette-t-il (lire p. 52).

Les adventices posent, elles aussi, un problème. « Passer des herbicides avec les interceps est compliqué. Avant de franchir le pas, il faut maîtriser les herbes les plus problématiques que sont le chiendent, le sorgho d'Alep et la ronce de vigne en désherbage mécanique. Sinon, le travail ne sera pas gérable », prévient Cyril Cassarini.

Une chose est sûre : que ce soit pour la lutte contre les parasites ou les adventices, les difficultés seront d'autant plus grandes que la conversion n'aura pas été anti-cipée. « Avant de passer en bio, il faut déjà s'essayer aux traitements à base de cuivre et de soufre et au travail du sol », recommande Étienne Laveau. Mieux vaut se convertir progressivement, en commençant par la couleur minoritaire sur le domaine. Et surtout, il ne faut pas se lancer seul. L'idéal est de se faire accompagner par un technicien ou un confrère aguerri. « Un suivi technique, ça rassure », conclut un viticulteur de Dordogne.

MARINE ET FLORENT JUSTO, CHÂTEAU LA BIENVEILLANCE, À SAINTE-RADEGONDE (GIRONDE), 1, 5 HA DONT 7,5 EN PRODUCTION « Nous sommes bien conseillés »

« Nous avons repris la propriété viticole en 2016 et sommes passés au bio dans la foulée. Nous sommes donc actuellement en deuxième année de conversion. Nous avons la chance d'être bien accompagnés par AgroBio Périgord et nous suivons les conseils du technicien à la lettre. En conséquence, nous ne rencontrons pas de problèmes particuliers. L'an passé, nous n'avons pas eu de pertes de récolte. Cette année, nous en avons eu mais elles sont liées au gel, pas à la conversion. Nous sommes très rigoureux dans la gestion des traitements. Il nous faut une grosse demi-journée pour intervenir sur l'ensemble de nos parcelles. Cela nous permet de positionner les traitements contre le mildiou au plus près des pluies. Le choix du pulvérisateur est important mais au-delà ce sont les réglages qui sont prépondérants. À chaque campagne, nous vérifions la qualité de la pulvérisation et ajustons les réglages à la pousse de la vigne. Il faut également bien faire attention de ne pas se faire déborder au niveau des relevages. Côté ravageurs, nous suivons les vers de la grappe de très près grâce à des pièges que nous relevons trois fois par semaine et à l'observation des pointes une fois par semaine. Cette année, nous avons appliqué de l'argile. Ce traitement blanchit les grappes, ce qui perturbe le dépôt des oeufs. »

FRANÇOIS CAVALLINO, VITICULTEUR À LAUDUN (GARD), 13 HA DE VIGNES « La conversion est un électrochoc pour la vigne »

« J'ai converti mon vignoble au bio en deux étapes. J'ai commencé en 2014 sur 4,5 ha. Ces vignes sont certifiées bio depuis cette année. Le reste de mon parcellaire est en deuxième année de conversion. Je ne suis pas parti de zéro car, pour lutter contre le mildiou et l'oïdium, je n'utilisais auparavant que du cuivre et du soufre. Pour l'entretien des sols, je travaillais déjà les interrangs. Je ne désherbais que la ligne des souches avec un passage de glyphosate en sortie d'hiver. Au moment de la conversion, je suis passé au désherbage mécanique avec des interceps. L'opération est délicate car certaines de mes vignes sont âgées d'une soixantaine d'années et ont beaucoup de racines superficielles. Dans ces parcelles, j'envisage de semer de la fétuque sous les rangs que je faucherai en saison pour faire un paillage.

En matière de maladies, le plus difficile pour moi a été de contrôler le black-rot. En 2015, j'ai dû faire face à une très forte pression de la maladie. Cette année-là, j'ai accusé 30 % de perte de récolte dont 20 % uniquement à cause du black-rot. J'impute les 10 % restants à la conversion elle-même car changer les pratiques est un électrochoc pour la vigne. En 2015, j'ai également observé un peu d'oïdium. Je n'étais pas assez rigoureux au niveau des cadences et ne passais qu'un rang sur trois avec mon pulvérisateur. Depuis, j'interviens un rang sur deux. Cela représente un tiers de temps de travail supplémentaire mais la qualité de pulvérisation est meilleure car j'interviens en face par face. »

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