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AU COEUR DU MÉTIER

AU COEUR DU MÉTIER

La vigne - n°303 - janvier 2017 - page 28

DANS LE GERS, Jean-Marie Terraube s'est lancé dans la vigne en 2000. Sa femme le rejoint en 2007. Aujourd'hui à la tête de 44 ha, le couple écoule les trois quarts de sa production en vrac, mais adore vendre aux particuliers.
JEAN-MARIE, ici en discussion avec son employé Guy Nascimbene, a élargi en 2016 un cultivateur de 1,6 à 2 m pour agrandir au maximum la bande de travail du sol et limiter le désherbage sur le rang.

JEAN-MARIE, ici en discussion avec son employé Guy Nascimbene, a élargi en 2016 un cultivateur de 1,6 à 2 m pour agrandir au maximum la bande de travail du sol et limiter le désherbage sur le rang.

EN 2013, LE COUPLE A CONSTRUIT UN NOUVEAU CHAI particulièrement fonctionnel qui abrite 4 800 hectolitres de cuverie. Ici, Jean-Marie est en compagnie de Muriel Dublange, maître de chai embauchée cet été lors des vinifications du millésime 2017. . PHOTOS : F. BAL

EN 2013, LE COUPLE A CONSTRUIT UN NOUVEAU CHAI particulièrement fonctionnel qui abrite 4 800 hectolitres de cuverie. Ici, Jean-Marie est en compagnie de Muriel Dublange, maître de chai embauchée cet été lors des vinifications du millésime 2017. . PHOTOS : F. BAL

APRÈS LES VENDANGES, Jean-Marie inspecte la machine à vendanger New Holland 9040.

APRÈS LES VENDANGES, Jean-Marie inspecte la machine à vendanger New Holland 9040.

«Jamais je n'aurais pensé partager mon métier avec ma femme Cécile, ni construire un domaine aussi grand », relate Jean-Marie Terraube, à la tête du domaine de Magnaut, à Fourcès, dans le Gers. Au lendemain de sa dix-huitième vendange, il résume son parcours : parti de rien, il est à la tête d'une exploitation de 44 ha de vigne qui vend en direct 100 000 cols et le reste en vrac au négoce. « J'ai eu la chance de pouvoir m'agrandir rapidement, souligne-t-il. En dix-sept ans, j'ai restructuré ou planté 34 ha de vigne. J'ai régulièrement investi dans le matériel de chai et développé les ventes directes. Au départ, je ne produisais qu'un colombard en IGP Côtes de Gascogne. Aujourd'hui, avec ma femme, nous produisons 11 vins, 2 flocs de Gascogne et 10 armagnacs. »

Après son BTS viti-oeno, Jean-Marie travaille comme salarié pendant huit ans dans le Médoc, puis à Cahors, au Clos Triguedina. Il y rencontre Cécile qui prépare un BTS tourisme en alternance. Ils se marieront en 2009.

En 2000, ils reviennent à Fourcès, le village natal de Jean-Marie. Cécile trouve un emploi à l'extérieur et lui s'installe à son nom sur 12 ha. Il crée son domaine en marge de l'exploitation de polyculture et d'élevage de son père dont il reprendra les 6 ha de vigne en 2004. Sans attendre, il veut démarrer la vente directe aux particuliers. Il embouteille 2 000 cols de son premier millésime et réserve une pièce de leur maison pour l'accueil des clients.

En 2004, ils participent à leurs premiers salons des Vignerons indépendants de France, à Bordeaux et Paris. Bordeaux est un échec. « Le salon démarrait. La fréquentation était faible et les côtes-de-gascogne inconnus. Mais on a persévéré », dit-il. À cette époque, Cécile travaille toujours à l'extérieur, mais l'accompagne sur les salons. « On a appris à travailler ensemble. On a vu que ce n'était pas mission impossible, puis on s'est lancés. »

En 2007, Cécile quitte son emploi et rejoint son époux comme salariée. Mais elle pose des conditions : elle veut qu'il élargisse sa gamme avec du floc de Gascogne car les clients en demandent. Il en crée deux : un blanc et un rosé. Elle souhaite aussi un vin léger en alcool, doux et féminin « pour remplacer les rosés piscine lors de réunions entre femmes ». Ce sera Esprit Bagatelle : un côtes-de-gascogne en blanc et en rosé à 9° et 35 g/l de sucres, tiré dans une bouteille blanche capsulée à vis.

L'arrivée de Cécile est une bouffée d'oxygène. Elle instaure des horaires fixes d'ouverture du caveau et prend en mains l'administratif, le fichier clients de 12 000 noms aujourd'hui et la préparation des sept salons des Vifs auxquels ils participent tous les ans et qui représentent le tiers de leurs ventes aux particuliers. Deux ans plus tard, elle supervise l'ouverture du site internet et de la boutique en ligne.

En 2013, le couple investit 250 000 € pour construire un beau bâtiment de 1 200 m2 qui abrite une salle de stockage, les bureaux et un chai isolé et pensé dans ses moindres détails pour faciliter le travail : de plain-pied avec des cuves équipées de colonnes fixes pour le remontage et de larges passerelles pour circuler à leur sommet, des points d'eau et d'électricité répartis dans tout le bâtiment... Les 4 800 hl de cuves en Inox thermorégulées et achetées année après année sont désormais à l'abri.

En 2015, ils y ajoutent une boutique de 100 m2 (100 000 €) conçue comme un parcours de visite, avec un coin cosy à l'entrée, un espace famille, un lieu pour exposer les vins des deux vignerons partenaires du domaine, un espace de dégustation et le comptoir de paiement, installé discrètement à la toute fin du circuit. La boutique est aménagée autour de cinq meubles de dégustation sur roulettes qu'on sépare ou accole en fonction de la taille des groupes accueillis. Astucieux !

C'est là qu'ils organisent leurs événements. L'été, ce sont les mardis oenologiques avec des animations pour les enfants et les jeudis gourmands avec un chef où, pour 8 €, ils présentent trois de leurs vins accompagnés chacun de deux tapas. Ils refusent du monde au-delà de 25 personnes. L'hiver, ils planifient un week-end portes ouvertes avec deux vignerons d'autres régions et un repas gascon lors de la Flamme de l'Armagnac, la journée de découverte de la distillation. Toutes ces manifestations sont appréciées de la clientèle, comme les panneaux explicatifs disposés dans les vignes et le chai. « Nous avons tout mis en place petit à petit en suivant les suggestions des clients », témoignent-ils.

S'ils misent beaucoup sur la vente aux particuliers, c'est en vrac qu'ils écoulent les trois quarts de leurs volumes. « Depuis dix ans, nous travaillons en partenariat tacite avec un négociant. Il achète 60 % de notre production, en vin de France. Il paye tout au tarif de l'IGP Côtes de Gascogne car nous vinifions tous nos vins comme des côtes-de-gascogne. Nous nous faisons confiance. Nous discutons les prix tous les ans », raconte Jean-Marie.

Cet acheteur vient au domaine plusieurs fois par an. « Quand je l'ai rencontré, il cherchait des vins enrichis en moûts concentrés rectiés plutôt qu'en sucre, ce que je pratiquais, mais qui est rare dans la région. Il voulait aussi des colombards et des sauvignons très thiolés. Je faisais tout pour en avoir, notamment deux pulvérisations d'azofol au moment de la véraison à dix jours d'intervalle. On a évolué ensemble. Il est assuré d'une qualité régulière et fiable. Et j'ai un débouché. »

Les enlèvements se font en six fois, d'avril à novembre. « Ces ventes assurent notre trésorerie. Mais nous aimons le contact avec les gens. Nous avons de bonnes relations avec nos clients », explique Cécile. « Développer l'oenotourisme et les ventes au caveau nous permet de chercher de la plus-value », ajoute Jean-Marie.

Depuis le départ, ils élaborent des vins monocépages : Colombard pur et Équilibre de manseng. Le premier est leur « best-seller ». Ils en vendent 30 000 cols par an. Le second est un moelleux (38 g/l) dont ils produisent 25 000 cols/an. En 2009, Jean-Marie enrichit leur offre de trois vins haut de gamme : un manseng sec, un second moelleux et un tannat élevé un an en fûts. Des vins vendus de 30 à 100 % plus chers que les autres.

À la vigne, en 2008, Jean-Marie arrête tout apport d'engrais chimique et supprime l'enherbement total. Il travaille les sols un interrang sur deux, entretient la flore spontanée sur l'autre interrang et alterne ces opérations tous les ans. Depuis quatre ans, sur l'interrang travaillé, il sème des mélanges de graminées et légumineuses à l'automne qu'il broie au printemps. « Le sol vit davantage. La vigne est aussi vigoureuse sinon plus qu'avant : on voit qu'il y a un bénéfice », note-t-il.

En 2016, il agrandit lui-même son cultivateur de 1,6 à 2 m pour élargir l'interrang travaillé. Pour réduire à 50 cm de large la bande qu'il désherbe avec du Roundup, le long des rangs, il change les buses de sa rampe de désherbage, passant de 110° à 80 ou 90. La même année, il s'équipe d'un appareil avec panneaux récupérateurs Dhugues pour le début de campagne. « Compte tenu des économies en produits phyto, il sera amorti dès l'an prochain », relève-t-il. Ce nouvel appareil complète le pneumatique face par face acquis en 2001.

En 2017, il teste avec succès la confusion sexuelle sur 12 ha. C'est un pas de plus sur la voie d'une viticulture plus verte. Car, depuis le départ, Jean-Marie conserve les arbres, enherbe les tournières, entretient les fossés. Résultat de tous ces efforts, en août 2017, il obtient la certification HVE sans difficultés. « Nous faisons de la vente directe. C'est important de montrer que nous préservons l'environnement », avance le couple.

À respectivement 46 et 45 ans, Jean-Marie et Cécile se surprennent eux-mêmes lorsqu'ils se retournent sur leur parcours : « On en a construit des choses ! », observent-ils. Et ils ont le plaisir de l'avoir fait ensemble. Désormais, ils entendent s'agrandir à 50 ha et porter les ventes en bouteilles à 120 000 cols par an. Ce sera peut-être le maximum.

« Malgré une très bonne fidélisation des particuliers, les volumes ne s'écoulent pas vite. On arrive à un plafond », constatent-ils. 80 % de la production sera donc vendue en vrac au négoce. Mais ils continueront d'aller de l'avant. Dès 2018, ils comptent agrandir le chai de 300 m2 supplémentaires pour mieux conserver les vins en cuve et acheter un pressoir pneumatique en remplacement de leur vieux pressoir continu. Toujours pour améliorer la qualité de leurs vins.FLORENCE BAL

L'exploitation

l Main-d'oeuvre : Jean-Marie, son épouse, trois salariés, un ETP en saisonniers ;

l Surface : 44,3 ha en IGP Côtes de Gascogne, vins sans IG, armagnac et floc de Gascogne ;

l Cépages : colombard, ugni blanc, gros et petit manseng, sauvignon blanc et gris, merlot, cabernet-sauvignon, tannat, syrah et baco ;

l Plantation : de 3 600 à 4 000 pieds/ha ;

l Taille : guyot simple ;

l Production : 3 100 hl en 2017 ; 3 700 hl en 2016.

CE QUI A BIEN MARCHÉ

Ils ont fidélisé leurs acheteurs assurant ainsi le financement de base du domaine.

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Ils ont développé la vente directe, restructuré régulièrement des vignes, investi dans un nouveau chai et un nouveau caveau d'accueil.

<25B2_10><25B2_11>

Ils ont trois salariés sur lesquels ils peuvent compter.

Ils ne parviennent pas à recruter un employé pour développer l'oenotourisme.

La vente aux particuliers via le site

CE QU'ILS NE REFERONT PLUS

Vignerons indépendants n'est pas rentable pour eux.

tt

Faute de temps, ils n'ont pas assez développé l'export.

tt

Entre 2003 et 2005, ils n'ont pas assez distillé d'armagnac. Ces millésimes vont leur manquer.

UNE FORMATION FRUCTUEUSE « Nous avons appris à vendre, à argumenter »

« Nous avons appris à vendre, à argumenter »

Au début, sur les salons, on n'osait pas se mettre en avant, nous ou notre côtes-de-gascogne, une IGP alors méconnue. On restait en retrait, presque sur la défensive. Nous avons suivi une formation à la vente d'Emmanuelle Rouzet (ERF Conseil). Elle nous a beaucoup aidés.

>> Être actif. Nous avons gagné en assurance dans notre présentation, nos intonations. Avant, on ne faisait goûter que notre colombard et on attendait, passifs, le verdict des clients. Aujourd'hui, on enchaîne sur la dégustation d'un deuxième vin en leur demandant lequel ils préfèrent : la vente est alors quasi faite.

>> Être à l'écoute. Au lieu de les faire déguster bêtement, on leur demande ce qu'ils aiment avant de les servir pour connaître leurs attentes.

>> Être direct. S'ils prennent trois bouteilles, on demande : « Vous ne préférez pas un carton ? » Nous avons appris à argumenter, à répondre aux remarques ou à les prendre avec du recul.

>> Être positif. Nous évitons aussi de nous plaindre et tenons un discours jovial et rassurant. Appliquer tous ces conseils a eu un effet rapide : on a doublé notre chiffre d'affaires.

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