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VIGNE

Prêts à tailler les vignes qui ont gelé ?

iALEXANDRE ABELLAN - La vigne - n°303 - janvier 2017 - page 38

La taille des parcelles gelées va demander plus de temps. Mi-novembre, à Bordeaux, les maîtres tailleurs de Simonit & Sirch ont dispensé leurs conseils pour aider les viticulteurs à s'y retrouver.
TOUS LES BOURGEONS ONT GELÉ. Aucune repousse ne peut donnerde bois de taille.  . PHOTOS : SIMONIT & SIRCH

TOUS LES BOURGEONS ONT GELÉ. Aucune repousse ne peut donnerde bois de taille. . PHOTOS : SIMONIT & SIRCH

CHANGEMENT DE PIED. La meilleure solution est de tailler temporairement en cordon.

CHANGEMENT DE PIED. La meilleure solution est de tailler temporairement en cordon.

SEULS LES APEX ONT GELÉ. Le bois primaire de l'année paraît sain.

SEULS LES APEX ONT GELÉ. Le bois primaire de l'année paraît sain.

MÉFIANCE.       Dans ce cas, les bois       sont souvent profondément      nécrosés.       Il faut tailler bas.

MÉFIANCE. Dans ce cas, les bois sont souvent profondément nécrosés. Il faut tailler bas.

Cette année, « chaque cep est un cas particulier. Avec l'hétérogénéité du gel, on ne s'y retrouve plus ! », affirme Massimo Giudici, ce 16 novembre, au Château Dassault (Saint-Émilion)devant une quarantaine de vignerons bordelais réunis par Laurence Ters de la Verrie (agence Idée Tchin) et Thierry Audier (Cap Qualité). Ces auditeurs sont d'autant plus attentifs au constat du maître tailleur de Simonit & Sirch qu'ils ont tous été touchés par le gel printanier. Et à l'heure de commencer la taille, ils se retrouvent face à des sarments buissonnants très inhabituels. « Pour tailler, il n'y a pas de règle, mais différentes options... jamais complètement satisfaisantes », prévient Massimo Giudici.

Prévoir une stratégie de taille

Pour appréhender l'hétérogénéité des parcelles, son collègue Tommaso Martignon conseille de réaliser d'abord un état des lieux en parcourant le vignoble. Ce diagnostic permettra d'arrêter une stratégie adéquate, qui dépend essentiellement de l'intensité du gel.

Dans le cas de faibles dégâts, les souches sont globalement proches de la normale et ne nécessitent pas d'adaptations notables. Après une forte gelée ayant détruit toutes les pousses, soit « il n'y a plus rien à faire » car les ceps n'ont pas survécu, soit ils ont repoussé et il faut tâcher de prendre une baguette et un courson à partir des gourmands sortis sur le vieux bois.

La taille est plus complexe dans le cas de dégâts moyens, où seul l'apex a gelé, le bas des pousses ayant survécu. Les souches ont alors émis beaucoup de branches, très buissonnantes et de trop petit diamètre pour constituer des bois de taille satisfaisants. Beaucoup de vignerons se sentent alors désemparés. Les réactions et témoignages dans la salle l'ont bien montré.

Trois sortes de situations

Les maîtres tailleurs distinguent globalement trois cas. Si plusieurs entre-coeurs se sont développés sur un bois bien placé pour devenir une baguette ou un courson de rappel, ils préconisent de tailler au-dessus du plus bas d'entre eux qui deviendra baguette ou courson, selon les cas.

« L'observation nous montre que l'apex gelé cause le dessèchement du rameau jusqu'au premier entre-noeud. Pour préserver le flux de sève, il faut conserver le sarment le plus bas en gardant un chicot le plus long possible au-dessus de lui pour éviter un cône de dessiccation », résume Tommaso Martignon.

Si des sarments convenables se trouvent au coeur de la souche, « c'est là qu'il faut sélectionner le bois fructifère (la baguette) même si celui-ci est loin du bras qui porte l'ancienne baguette. C'est ce bois qui assurera le rendement de l'année prochaine. Ensuite, il faut travailler la tête et y conserver un courson pour préserver le flux de sève », explique Massimo Giudici. Et s'il n'y a pas le moindre bois convenable pour former une baguette, le technicien conseille de tenter une sorte de cordon de Royat. « On laisse en place la baguette de l'année dernière sur laquelle on taille quelques coursons tout en chargeant moins les souches. Si habituellement, on conserve six yeux sur la baguette, on peut ne garder que deux coursons à deux yeux. Cela fatigue moins le pied. »

Autre conseil, « ne coupez pas les bras qui n'ont pas donné de pousse et qui semblent morts. Ils peuvent repartir. Il faut les garder pour tirer la sève et ne pas créer d'importantes plaies de taille », alerte Tommaso Martignon pour qui l'enjeu reste de respecter les flux de sève, même dans le cas très particulier de la taille de vignes gelées.

« Il faut du courage après le gel »

« Après un gel, la vigne se bloque. Et quand elle repart, c'est très fort ! Si on ne fait rien, elle devient un buisson sans aucun bois intéressant pour la taille », explique Massimo Giudici, de Simonit & Sirch. Fort de son expérience en Bourgogne en 2016 et à Bordeauxen 2017, il a prodigué ses conseils pour éviter une telle situation.Après des dégâts importants, il distingue deux options :

- soit on supprime toutes les pousses pour obtenir des contre-bourgeons, ce qui laisse espérer quelques grappes pour le millésime en cours ;

- soit on retaille les baguettes à 10-15 cm pour favoriser le départ de gourmands sur la tête du cep.

Dans le cas de dégâts de gel moyens auxquels des ébauches de grappe ont survécu, il conseille de tailler les jeunes pousses pour ne conserver que l'entre-coeur situé directement au-dessus de la grappe. Ces travaux en vert demandent « du courage », a admis le consultant. Mais la salle est restée perplexe. « Les coûts de main-d'oeuvre sont importants pour des résultats discutables », a souligné un directeur technique de Saint-Émilion.

Le Point de vue de

« On tire le meilleur de ce qu'on trouve »

ANDRÉ FAUGÈRE, VITICULTEUR À ARBIS (GIRONDE), 37 HECTARES DANS L'ENTRE-DEUX-MERS

«J'ai été touché par le gel sur 33 ha. En rouge, j'ai récolté moins de 15 hl/ha et en blanc environ 25 hl/ha. Comme j'ai moins de travail au chai, je peux commencer la taille en avance. C'est au moins ça ! Mais si on se casse trop la tête à tailler un pied, on perd beaucoup de temps. On y passe au moins 20 % de temps en plus. D'habitude, je suis très rigoureux avec la taille. Mais cette année, si on voit un joli bois, on en fait une baguette même si elle n'est pas bien positionnée sur le pied. Dans la mesure où c'est un calibre de 10 mm, ce sera un bois à fruits. Des cuves sont vides, il faut des volumes ! Les vignes partiellement gelées sont les plus difficiles à tailler. La végétation est repartie en buisson. Sur les pieds peu vigoureux, il est très difficile de trouver des bois de diamètre convenable... Et quand on en trouve un, il peut y avoir des nécroses ! L'extérieur paraît bon, mais le bois est creux et risque de casser ou d'être incapable d'alimenter des rameaux. Sur des cabernets-sauvignons et des sauvignons blancs, aucun bourgeon n'est ressorti des baguettes. Sur un côté de ces pieds, rien n'a repoussé. Je ne coupe pas, au cas où cela ressorte... Dans les vignes totalement gelées, c'est finalement plus facile : il n'y a que des bois de deuxième génération. J'espère ne pas avoir besoin de main-d'oeuvre supplémentaire pour tailler mon vignoble. Mais je n'hésiterais pas à embaucher des saisonniers s'il le faut. On ne peut pas faire l'économie de la taille. »

Le Point de vue de

« On ne peut pas être aussi exigeant que d'habitude »

CHRISTOPHE MINARD, RESPONSABLE DES TRAVAUX MANUELS CHEZ BANTON LAURET, À SAINT-ÉMILION

«Face à la complexité de la taille, cette année, les viticulteurs attendent beaucoup de nous. Ils ne pourront pas tout tailler avec leurs équipes habituelles. D'après ce que je vois, la hausse du temps de travail est plus forte dans les vignes partiellement gelées. C'est 20 % de plus la première journée. Puis un rythme s'instaure avec de nouveaux réflexes. Par exemple, cette année, tailler sur pampres sera fréquent. Malgré les difficultés, notre priorité reste de fournir un travail soigné. Dans ce but, nos tailleurs ont suivi des stages de perfectionnement et sont allés observer les parcelles gelées. Mais les enjeux de taille douce sont clairement dépassés par la demande de productivité de nos clients. On doit rester pragmatiques. On ne peut pas être aussi exigeant que d'habitude. Quant au coût de nos services, nous verrons au cas par cas sachant qu'en année classique, la taille en Guyot coûte en moyenne 20 centimes par cep. »

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