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VIGNE

Haies antidérive Des plantations à petits pas

COLETTE GOINÈRE - La vigne - n°303 - janvier 2017 - page 40

En Gironde, l'installation de haies pour limiter la dérive prend racine. En Champagne, la route est encore longue.
PLANTATION DE HAIES sur la commune de Fours (Gironde), en Blaye Côtes-de-Bordeaux, pour protéger l'école de la dérive de pesticides.  . © J. JAMET

PLANTATION DE HAIES sur la commune de Fours (Gironde), en Blaye Côtes-de-Bordeaux, pour protéger l'école de la dérive de pesticides. . © J. JAMET

C'était le 5 mai 2014. Ce jour-là, à Villeneuve-de-Blaye, en Gironde, les châteaux de Barbe et Castel la Rose traitent leurs vignes qui jouxtent l'école primaire du village. Des élèves sont intoxiqués. Ils sont pris en charge par les pompiers et leur instructrice est conduite aux urgences. La situation a-t-elle changé autour de l'école ? Pas vraiment. Aucune haie n'a été plantée pour la protéger des embruns de produits phyto. Il est question qu'une des parcelles soit rachetée pour l'agrandir. Pour l'autre, le bail prenait fin l'an dernier.

Le syndicat de Blaye Côtes-de-Bordeaux, lui, a pris le taureau par les cornes. « Cette affaire nous a motivés », explique Mickaël Rouyer, le directeur. Au cours de l'hiver 2015, il recense treize sites sensibles sur l'aire de son appellation concernant dix-sept propriétés viticoles sur trois communautés de communes.

Le syndicat demande alors à l'association Arbres et Paysages en Gironde d'évaluer le coût et les contraintes d'installation de haies le long de ces sites. C'est ainsi que, durant l'hiver 2016 et le printemps 2017, l'association plante 1 254 m linéaires de haies afin de protéger ces zones - moitié chez des viticulteurs, moitié sur des terrains communaux - pour un investissement de 20 000 € financé par le syndicat (27 %) et les collectivités (communes, départements et région).

Pour certains viticulteurs qui ont planté des haies sur leur vignoble la pilule passe mal. « Nous avons participé à ce programme parce que nous n'avions pas le choix. Nous nous sommes sentis obligés. Cela rassurait les riverains », indique Virginie Mège. Avec Claude, son époux, elle exploite le château Le Laga, 40 ha, à Anglade, situé à une soixantaine de kilomètres au nord de Bordeaux. Leurs vignes enserrent l'école du village voisin d'Eyrans.

Au printemps 2016, Arbres et Paysages en Gironde plante 219 arbres et arbustes d'une dizaine d'essences distinctes sur la parcelle jouxtant l'école pour former une haie de 219 m. En amont, le couple a dû arracher quelque 50 pieds de vigne. « Cela été un crève-coeur. Mais il fallait bien que le tracteur passe », confie Virginie. Coût de l'opération entre les fournitures et la pose des plants : 4 000 € entièrement subventionnés. Virginie observe ses haies : « Elles ne font que 30 cm. Il faudra attendre quatre ans pour qu'elles atteignent leur taille définitive. Mais sommes-nous sûrs qu'elles constitueront alors une barrière efficace contre les produits ? », s'interroge-t-elle.

Le syndicat viticole des Côtes-de-Bourg s'est engagé sur la même voie. Il a identifié 24 sites sensibles répartis sur les quinze communes de l'AOC. Depuis, Arbres et Paysages de Gironde a planté 1,1 km de haie pour protéger une douzaine de sites. Désormais, le syndicat réfléchit à la mutualisation du matériel d'élagage et de taille de ces haies.

En Champagne, l'interprofession a recensé dix-huit écoles, crèches et maisons de retraite contiguës à des vignes. Or, les haies antidérive ne fleurissent pas à tous les coins de parcelles. On n'en recense ainsi que deux : une à Vertus, l'autre au Mesnil-sur-Oger.

À Vertus, c'est Hervé Sanchez, maire adjoint et président de la section locale du Syndicat général des vignerons (SVG), qui a porté le projet. « Nous avons un site particulièrement vulnérable : la crèche. Un seul viticulteur est concerné. Ce dernier était déjà dans une démarche de prévention. Il traite en dehors des horaires scolaires », explique-t-il.

Malgré tout, au printemps dernier, quarante plants ont été installés le long de la crèche sur un terrain de la commune. Des photinias, viornes tin et charmilles qui devraient atteindre 1,50 à 2 m d'ici quatre ans. L'investissement de 800 € est pris en charge par la commune mais l'interprofession devrait en subventionner 80 %. Le viticulteur n'a rien payé. La commune, elle, entretient les haies.

Au Mesnil-sur-Oger, Vincent Bauchet, président de la section locale du SVG, explique : « Depuis dix ans, les vignerons proches de l'école maternelle (une dizaine) traitent en dehors du temps scolaire. » En 2010, la commune a planté une haie de lauriers de 80 m entourant la cour d'école qu'elle a complétée par une nouvelle haie de 30 m en 2014.

Reste de fortes tensions dans cette région où l'on emploie beaucoup de pesticides en raison de la lourde pression parasitaire. « Le sujet des traitements et des mesures de protection est sensible », reconnaît Sébastien Debuisson, responsable du service vigne au Comité Champagne, l'interprofession.

Un viticulteur sous anonymat pointe du doigt la « frilosité » du Comité : « Tant qu'il n'y a pas de scandales, on laisse les choses aller car les enjeux économiques sont conséquents. »

Dans le village de Saulchery, l'ambiance est électrique. Liliane Devillers, à la tête de l'association Sauvegarder son patrimoine en région agro-viticole (SPRA) mène le combat. « Ici, les viticulteurs se croient tout permis. Nous respirons les produits phytosanitaires de mars à septembre. C'est intenable », affirme-t-elle.

En mars 2012, le maire de la commune a interdit les traitements aux abords de l'école durant le temps scolaire. Une mesure insuffisante pour Liliane Devillers qui constate, analyses « accablantes » à l'appui, que les maisons sont elles aussi touchées par les produits phyto.

Pour mettre un terme à une situation qu'elle juge « intolérable », son association réclame l'interdiction des traitements à proximité de l'école et des habitations de Saulchery. Faute d'avoir eu une réponse du préfet de l'Aisne, elle a engagé un bras de fer devant le tribunal administratif. Pas sûr que des haies apaisent les choses.

Des essences profitables

« Les espèces locales n'abritant pas de ravageurs de la vigne et n'étant pas dangereuses pour les enfants sont à privilégier », recommande Sébastien Debuisson. Parmi les essences conseillées dont le feuillage empêche la dérive, on trouve la charmille, le troène sauvage, la viorne tin et le photinia. L'association Arbres et Paysages en Gironde préconise l'utilisation d'une trentaine d'espèces locales, comme le cornouiller sanguin, le laurier tin (ou viorne tin) et le prunelier.

Une association à la manoeuvre

L'association Arbres et Paysages en Gironde ne chôme pas : elle plante 28 000 arbres et arbustes par an dont 6 000 pour former des haies devant limiter la dérive des produits phyto. Ses prestations incluent le conseil à la création des haies, la fourniture des plants et leur suivi pendant trois ans. Comptez au moins 15 € HT du mètre linéaire, fourniture et pose comprises, hors subventions. Un coût que l'association parvient à obtenir car elle bénéficie d'aides du conseil régional. Néanmoins, la facture grimpe s'il faut poser des filets autour des arbres pour les protéger contre les chevreuils ou les lapins. Quant à ses clients, ils peuvent compter sur le conseil départemental de la Gironde qui accorde jusqu'à 40 % de subvention à condition que le revenu de l'exploitant ne dépasse pas 30 000 € et qu'il soit aux normes pour le traitement de ses effluents viticoles.

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