Cela fait vingt ans que le traitement des effluents vinicoles est obligatoire. Et cela fait presque autant d'années que les vignerons girondins peuvent se faire accompagner techniquement et financièrement pour mettre leur exploitation aux normes. « Malgré ça, nous estimons que 35 % des volumes d'effluents sont encore rejetés dans la nature sans aucun traitement, se désole Maud-Isabeau Furet, de la chambre d'agriculture de la Gironde. En 2010, 57 % des volumes étaient traités. Nous n'avons progressé que de 8 % en huit ans, c'est trop lent. »
Toutes les grosses caves sont aux normes. Elles n'ont d'ailleurs pas d'autres choix quand elles souhaitent obtenir un permis de construire ou des aides France-AgriMer. Mais celles qui produisent moins de 500 hl font de la résistance. Elles ne sont pas soumises à la réglementation sur les installations classées pour l'environnement. Elles passent donc plus facilement au travers des mailles du filet. Les stations individuelles de traitement ne leur conviennent pas. Elles coûtent près de 50 000 € et ne sont vraiment valables qu'à partir de 50 ha. Mais d'autres solutions s'offrent à elles. À commencer par l'épandage.
« Les caves ont la possibilité d'épandre leurs effluents elles-mêmes. Pour cela, elles doivent être équipées d'une cuve capable de les stocker au moins cinq jours. Dans l'idéal, il faudrait des cuves qui puissent contenir 40 % des effluents annuels. Les vignerons peuvent aussi faire appel à l'une des douze Cuma du territoire, ou au prestataire CTMV qui collecte les effluents dans tout le département. Plus rarement, il arrive qu'ils aient l'autorisation de se raccorder à la station d'épuration communale », détaille Maud-Isabeau Furet.
Depuis novembre 2013, unaccord-cadre porté par l'Agence de l'eau Adour-Garonne leur permet également de se faire aider à hauteur de 60 % du montant de leur investissement (voir encadré). Cet accord prend fin en novembre 2018 et vu qu'il ne donne pas les résultats escomptés, personne ne mise sur sa reconduction.
Chargée du dossier, la chambre d'agriculture de la Gironde incite les viticulteurs à sauter le pas. « Mais comme on ne touche pas directement à l'outil de production, nous avons du mal à nous faire entendre. D'ailleurs, les gens ne viennent aux journées d'information que si nous inscrivons d'autres thématiques à l'ordre du jour », regrette Maud-Isabeau Furet.
Comme la chambre d'agriculture, l'ODG des bordeaux et bordeaux supérieurs et la Fédération des grands vins de Bordeaux veulent que tous les vignerons se mettent en règle. Ces organisations dénoncent une concurrence déloyale des retardataires envers ceux qui ont fait le nécessaire pour ne plus polluer les cours d'eau, et souhaitent que les contrôles soient renforcés. Mais les pouvoirs publics ne semblent pas en avoir les moyens. « La police de l'eau (DDTM) n'a pas l'équivalent d'un salarié à temps plein dans le département, témoigne Maud-Isabeau Furet. Elle réalise des contrôles aléatoires de commune en commune, plus fréquents dans les zones où l'état de l'eau est dégradé ou à risque. »
Une vingtaine de personnes regroupées au sein d'une mission de l'eau et de la nature effectuent aussi des tournées pendant les vendanges. Mais, à moins d'être directement témoin d'une pollution, elles ne pénètrent pas dans les exploitations. « Lorsqu'un viticulteur est pris sur le fait, il écope rarement d'une amende. On lui octroie un délai de deux mois pour entamer sa mise aux normes. Dans ce cas, il ne tarde pas à nous appeler, car il sait qu'il sera de nouveau visité l'année suivante et que, cette fois, il risquera gros. »
Si les Girondins sont les plus indisciplinés, certains Languedociens ne sont pas en reste. Ainsi, à la chambre d'agriculture de l'Aude, Stéphanie Rubio réalise encore une bonne vingtaine de plans d'épandage chaque année pour des exploitations qui n'en avaient aucun. Comme en Gironde, les dernières mises aux normes concernent les caves qui produisent moins de 500 hl par an.
Plusieurs campagnes incitatives ont été menées dans la région. Par exemple, dans l'Aude, de 2006 à 2010, l'Agence de l'eau et la Fédération des vignerons indépendants ont signé un partenariat. « Nous avons contrôlé nos 400 adhérents en leur demandant de nous présenter leurs bons de livraison à une distillerie ou leur cahier d'épandage », relateCarole Thiriot, de la Fédération des vignerons indépendants. « Le cas échéant, nous avons incité les vignerons à profiter des aides allouées par l'Agence de l'eau pour se mettre aux normes. » En 2010, ces actions ont poussé 80 % des adhérents à se mettre en règle. Un programme similaire a été dévoloppé dans l'Hérault.
L'Agence de l'eau n'a pas pu nous communiquer de chiffres précis mais, selon Dominique Colin, directeur de la délégation de Montpellier, « les viticulteurs ne sont plus aussi négligents que par le passé. Il est de plus en plus rare que nous constations des pollutions organiques d'origine vinicole dans les cours d'eau. Aujourd'hui, nous sommes davantage préoccupés par les pollutions liées aux pesticidesviticoles. »
Dix mois pour rentrer dans le rang
En 2013, les organisations professionnelles de Gironde ont signé un accord-cadre porté par l'Agence de l'eau Adour-Garonne fixant comme objectif de traiter 75 % des volumes d'effluents aux prochaines vendanges 2018. Sauf miracle, cet objectif ne sera pas atteint et l'accord prendra fin en novembre prochain. À partir de cette date, rien ne garantit que les vignerons pourront encore prétendre à une quelconque aide financière. La chambre d'agriculture de la Gironde les invite à la consulter rapidement, d'autant que les délais d'instruction des dossiers peuvent être longs. Pour les très petites entreprises - la majorité des exploitations viticoles -, les taux d'aide varient de 50 à 60 % de l'investissement. Sont par exemple concernés l'achat de dégrilleurs, celui d'une cuve de stockage ou la construction d'une station autonome.
Une affaire pliée... ailleurs
Hors Gironde et Languedoc, tout le monde est désormais aux normes. En Côte-d'Or et en Saône-et-Loire, 95 % des volumes d'effluents étaient traités il y a deux ans. Dans ces régions, comme en Alsace, beaucoup de vignerons ont la chance de pouvoir se raccorder à des stations d'épuration communales. « Elles sont dimensionnées en fonction des volumes générés par les caves lors de leur pic d'activité, de septembre à novembre », témoigne aussi Frédéric Schwaerzler, conseiller à la chambre d'agriculture d'Alsace. En Champagne, la pratique est également très fréquente, mais la majorité des vignerons épandent leurs effluents. Dans le Beaujolais, un gros programme d'accompagnement a été mis en place dans les années 2000. Les institutions ont sensibilisé tout le monde, habitants comme viticulteurs. « Des aides étaient proposées à toutes les structures, explique Delphine Engel, de la chambre d'agriculture. La plupart des caves ont choisi l'épandage. Nous n'avons plus de pollution organique. »
C'est le Maine-et-Loire qui ressort meilleur élève de ce petit tour de France : d'après Guillaume Gastaldi, de la chambre d'agriculture, 100 % des viticulteurs y traitent leurs effluents depuis trente ans.