La notion d'usufruit est-elle bien connue ?
Me Gohier : Hélas, non, même si le démembrement de propriété est une démarche très courante en viticulture, et même si l'usufruit est une notion ancienne qui date du droit romain. L'usufruit, c'est le droit d'usage d'un bien, le droit d'en récupérer les fruits (loyers, fermages, etc.). La pleine propriété d'un bien comprend l'usufruit et la nue-propriété. On peut séparer les deux. On appelle cela le démembrement de propriété. On peut ensuite conserver l'usufruit et donner la nue-propriété. Dans ce dernier cas, seule la nue-propriété est taxée de droits de succession. Et, à votre décès, votre donataire récupère la pleine propriété du bien sans rien avoir à payer, ni aucun acte notarié à faire.
Quels sont les pouvoirs du nu-propriétaire ?
Me Gohier : Ils sont assez faibles par rapport à ceux de l'usufruitier. L'usufruitier est celui qui décide de tout : montant du loyer, du vote... et qui jouit du bien. Mais le démembrement de propriété peut être ajusté car il n'est pas d'ordre public. Dans l'acte de donation, le propriétaire du bien peut donc fixer les prérogatives de chacun comme il l'entend. En tant que nu-propriétaire, il peut conserver des droits de vote aux parts qu'il détient d'une société. S'il donne l'usufruit d'une vigne ou d'un bâtiment d'exploitation, il peut stipuler que son entretien est à la charge de l'usufruitier...
Que disent les textes ?
Me Gohier : Ils sont assez contradictoires. Le code civil précise que le nu-propriétaire est responsable du clos et du couvert. Cela signifie qu'il doit assumer les travaux d'entretien du bien. Or, la jurisprudence précise que l'usufruitier ne peut contraindre le nu-propriétaire à réaliser les travaux !
Et en ce qui concerne les baux ruraux ?
Me Gohier : Le code rural précise que l'usufruitier ne peut louer une parcelle qu'avec l'accord du nu-propriétaire, sinon le bail peut être annulé. Il est assez fréquent que pour les baux de neuf ans, qui n'ont pas l'obligation d'être signés chez un notaire, l'usufruitier soit le seul signataire du bail !
Quel est l'intérêt d'une donation de nue-propriété ?
Me Gohier : C'est un levier fiscal très important. Plus on donne jeune, moins on est taxé car la valeur de la nue-propriété - ce que l'on donne en fait - dépend de l'âge du donateur. Quand celui-ci a entre 41 et 50 ans, la nue-propriété vaut 40 % du bien et l'usufruit 60 %. Entre 51 et 60 ans, la nue-propriété et l'usufruit valent tous deux 50 % du bien. Et ainsi de suite. Prenons l'exemple d'un bien qui vaut 200 000 €. Vous avez 82 ans, vous donnez la nue-propriété et gardez l'usufruit. La nue-propriété vaudra 80 % de 200 000 €, soit 160 000 € ; l'usufruit 20 %. C'est sur ces 160 000 € que seront calculés les droits de succession. Si vous avez 50 ans, la nue-propriété vaudra alors 40 % du bien, soit 80 000 €. Les droits de successions seront nettement plus faibles. Pour les exploitations, il est important d'anticiper.
À quel âge faut-il envisager une donation ?
Me Gohier : Il faut être prudent car une fois que l'on a donné la nue-propriété d'un bien, on ne peut plus la reprendre ! Je conseille de réfléchir à une donation avant 51 ans pour les biens dont on est certain qu'ils resteront dans la famille, comme les vignes par exemple. À 50 ans, la nue-propriété vaut 40 % du bien. Le jour de vos 51 ans, elle vaut 50 %. Selon les sommes en jeu, il peut être intéressant de donner jeune. Mais il ne faut pas y réfléchir dix jours avant vos 51 ans ou 61 ans ! Cela nécessite de l'anticipation. Il faut aussi intégrer qu'il y a un délai de quinze ans pour bénéficier d'un abattement entre deux donations. À 50 ans, les opportunités de donner tous les quinze ans ne sont plus si nombreuses...
Est-ce indiqué pour transmettre un domaine ?
Me Gohier : Oui, car donner la nue-propriété diminue les coûts de la transmission. Je conseille aux vignerons de s'intéresser au Pacte Dutreil, qui permet de donner une entreprise soit en nue-propriété, soit en pleine propriété, sous réserve de respecter plusieurs conditions dont celle que l'un des héritiers poursuive l'activité de l'entreprise à titre principal pendant quelques années. L'abattement est de 75 %, ce qui permet de transmettre avec des droits très accessibles.
La donation d'usufruit temporaire est-elle intéressante ?
Me Gohier : La donation d'usufruit temporaire peut être intéressante pour assurer un revenu à un enfant pendant ses études, par exemple. Mais il faut rester très prudent car le Fisc peut mettre en avant l'abus de droit. La donation temporaire ne doit pas avoir pour seul but de faire baisser le montant des droits de succession. Il faut veiller à ce qu'il y ait un aspect patrimonial de transmission dans le but, entre autres, d'éviter l'indivision.