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COMPÉTITIVITÉ La filièrea tout faux

M. I., M. B. ET B. C. - La vigne - n°304 - janvier 2018 - page 6

Selon un institut militant pour le libéralisme économique, le recul de la viticulture françaiseà l'exportation résulte de son enfermementdans la réglementation qu'elle a réclamée.
LAURENT PAHPY,  auteurdu rapport de l'Iref, veutprévenir les agriculteurs des effets perversdes réglementationset des rentes. C. FAMAILI/GFA

LAURENT PAHPY, auteurdu rapport de l'Iref, veutprévenir les agriculteurs des effets perversdes réglementationset des rentes. C. FAMAILI/GFA

Vignerons attachés à l'organisation de votre filière, blouclez vos ceintures ! Le rapport de l'Institut de recherches économiques et fiscales (Iref), un «think tank» libéral, va vous faire bondir. À 25 ans, Laurent Pahpy, son auteur, diplômé de l'École centrale de Lyon et titulaire d'une licence d'économie, expose calmement ses idées, presqu'avec candeur. À tel point qu'on se demande s'il sait qu'elles sont diamétralement opposées à celles qui régissent notre filière.

Sa réflexion part d'une question : comment expliquer la perte de parts de marché des vins français à l'export ? Laurent Pahpy rappelle qu'entre 2000 et 2015 « les vins français ont perdu un quart de leurs parts de marché en valeur à l'export et que leur part dans les exportations mondiales en volume est passée de 25 à 14 % ». Pour lui, la viticulture française étouffe dans un carcan réglementaire et un corporatisme qui l'empêchent d'innover. Elle se trompe lorsqu'elle demande aux pouvoirs publics de contrôler ou de réduire l'offre. En effet, ces restrictions desservent les plus entreprenants et profitent aux pays où les viticulteurs sont libres de planter et de produire. « La politique de limitation de la production en Europe est un échec total puisque la baisse de production qui s'en est suivie a été compensée par la hausse dans le Nouveau Monde », soutient-il.

Cette politique visait à répondre à la chute de la consommation de vin en France et dans les autres pays traditionnellement consommateurs. Y avait-il une autre solution ? Oui : laisser faire le marché. Laurent Pahpy le dit, mais prudemment : « Face à une baisse de la demande, il faut réduire l'offre. Le fait-on en imposant une baisse collective de la production ou en laissant les producteurs les moins compétitifs - dont les vins ne s'achètent pas - faire faillite ? Dans le premier cas, on maintient à flot des gens qui ne sont pas compétitifs et qui s'en mordent les doigts après coup. »

Le rapporteur rue dans les brancards du contrôle des plantations nouvelles. Il écrit que « le système, particulièrement complexe à respecter, est devenu encore plus ubuesque » depuis la réforme de 2008. Il demande la libéralisation des plantations de vigne. Il cite Montesquieu selon qui « le propriétaire sait beaucoup mieux que le ministre si les vignes lui sont à charge ou non ».

« Toutes formes de contrôle des prix par le contrôle de l'offre, telles que les subventions à la distillation, les droits ou les autorisations de plantation doivent être supprimées et n'être réintroduites sous aucun prétexte », insiste-t-il.

Laurent Pahpy concède que l'argent autrefois destiné à l'arrachage ou à la distillation sert désormais à l'investissement et à la promotion dans les pays tiers. Mais il n'y voit pas de grand progrès. Selon lui, ces aides « risquent de profiter aux acteurs qui connaissent le mieux les démarches administratives ou qui ont des compétences réservées aux grandes entreprises ». À l'appui de son analyse, il note que pour 2014-2015, les Grands Chais de France ont reçu 1,3 M€ de subventions, le Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux, 3,3 M€, et l'Union des grands crus de Bordeaux, 700 000 €.

« Les aides à l'investissement peuvent maintenir à flot des entreprises non compétitives », ajoute-t-il. Et le temps que les viticulteurs passent à les demander, ils ne le consacrent pas à cultiver leurs vignes ni à prospecter des marchés. « Les aides publiques à l'investissement et à la promotion devraient être abolies », suggère-t-il.

Au chapitre du carcan réglementaire, tout y passe. On va de surprise en surprise. L'auteur critique le strict encadrement de la chaptalisation et l'interdiction de produire du rosé en coupant un vin blanc et un vin rouge. Ces réglementations sont une « protection de rentes et d'acteurs déjà en place », affirme-t-il. À l'écouter, c'est au marché et aux consommateurs de faire le tri dans les pratiques acceptables, pas aux producteurs. Les consommateurs sont-ils suffisamment avertis pour cela ? La question mérite d'être posée. Autre question sans réponse : quelle limite à la libéralisation des pratiques ?

On le suit davantage dans ses critiques de la réglementation sur l'irrigation. « L'administration prétend mieux savoir que les viticulteurs quand la plante a besoin d'eau. Résultat, 4 % du vignoble est irrigué en France, 21 % en Espagne, 26 % en Italie et plus de 80 % dans tous les pays du Nouveau Monde. Ce retard a fait perdre des années de recherche et développement sur la fertirrigation qui permet de combiner rendement et qualité », écrit-il.

Avec les AOC, le carcan réglementaire se double d'un « monopole intellectuel ». Par monopole, Laurent Pahpy entend que seuls les producteurs respectant le cahier des charges d'une appellation ont le droit de la revendiquer. Un système trop restrictif et trop figé selon lui. Il imagine que tous les producteurs d'une région puissent mentionner le nom de leur région sur leurs étiquettes, alors que seuls ceux respectant le cahier des charges de l'AOC pourraient ajouter ce sigle. Là encore, ce serait au marché de faire le tri entre les vins d'Anjou AOC et les autres, labellisés ou non, selon d'autres règles et par d'autres organismes que l'Inao.

La dernière pilule à avaler pour retrouver de la compétitivité est pour l'Inao, les ODG et les interprofessions. Ces organismes « devraient être privatisés, basés uniquement sur un financement et une adhésion volontaires. Leur légitimité doit reposer sur l'utilité qu'elles procurent et non le monopole légal. »

Laurent Pahpy sait bien que son programme n'a aucune chance d'être adopté. Ses objectifs sont plus modestes : « À l'Iref, nous voulons prévenir les acteurs de la viticulture que les réglementations et les rentes qu'ils réclament ont des effets pervers qui se retournent contre les viticulteurs entrepreneurs. »

Une analyse mal accueillie

Pour Jean-Louis Piton, président du comité permanent de l'Inao, le rapport de l'Iref, c'est « du gloubi-boulga ultralibéral que l'on a déjà vu cinquante mille fois ! » Selon lui, la libéralisation prônée par l'Iref aboutirait à « un modèle latifundiaire dont on ne veut pas ». Il soutient qu'on ne peut pas dissocier une indication géographique de son cahier des charges sauf à « faire exploser le système. L'espace de liberté existe : c'est le vin sans IG. »

Bernard Farges, président de la Cnaoc, se demande si l'auteur a rencontré des viticulteurs. Il admet que la France a perdu des parts de marché en entrée de gamme, mais « on ne va pas pleurer pour cela, car il n'y a pas de candidat à une production de misère. Et malgré ce recul, peu de secteurs font mieux que la viticulture à l'export. » Concernant le carcan des AOC, il rappelle « qu'en faire, c'est volontaire. Personne n'est obligé. »

Christian Paly n'est pas plus tendre. « Ce rapport, c'est de l'économie sur un bout de papier !, s'agace le président du comité national des vins AOC de l'Inao. Dire que la viticulture française est protectionniste, c'est une vraie ânerie. Dire que tout ira mieux lorsqu'on pourra adopter les pratiques culturales et oenologiques que l'on veut, c'est se foutredu monde. » Il admet toutefois que la filière doit développer une offre moins atomisée.

Le Point de vue de

FRANÇOIS POUIZIN, VITICULTEUR-COOPÉRATEUR SUR 50 HA, EN BIO,À SAINTE-CÉCILE-LES-VIGNES (VAUCLUSE)

ÊTES-VOUS D'ACCORD AVEC LES PRÉCONISATIONS DE L'IREF ?

« Non. Un plombier à son compte n'a pas moins de contraintes »

Les aides ne sont pas réservées aux gros. Les dossiers peuvent être compliqués à monter mais les techniciens des coops, les ODG et même les comptables nous aident. On se plaint de la lourdeur de l'administratif mais c'est aussi cela être chef d'entreprise. Un plombier à son compte n'a pas moins de contraintes.

Il faut réguler les plantations faute de quoi on assisterait à des campagnes massives de plantations puis d'arrachages, et de gros investisseurs s'installeraient au détriment des petits. L'Inao est également indispensable. Mais il devrait réagir plus rapidement lorsqu'il s'agit d'adapter les cahiers des charges au changement climatique ou d'y introduire les cépages résistants.

Le Point de vue de

SÉBASTIEN WIEDMANN, DOMAINE LE BEL ENDROIT, 2 HA DE VIGNES, À TAIN-L'HERMITAGE (DRÔME).

ÊTES-VOUS D'ACCORD AVEC LES PRÉCONISATIONS DE L'IREF ?

« Oui. L'administratif est bien trop lourd pour les petits »

Je me suis installé en 2010. Au départ, j'ai produit du saint-joseph, mais j'ai vite déchanté. Je suis en bio et je laisse pousser l'herbe jusqu'en juin pour la diversité de la flore. Dès 2011, l'Inao m'a menacé de me retirer l'AOC si je ne gérais pas mieux mon herbe. L'année suivante, rebelote. Cette fois-ci, mon vin contenait trop de CO2 ! J'ai claqué la porte. Désormais, je produis du vin de France. Une de mes cuvées part à 30 €, je n'ai pas besoin de l'AOC. Par la suite, j'ai reçu un courrier qui m'indiquait que pour éviter le déclassement de mes terres, il fallait déclarer mes volumes en AOC puis les replier en vin sans IG quelques mois après. Ridicule. L'administratif est beaucoup trop lourd pour les petites structures. Pourquoi ai-je les mêmes contraintes qu'un négociant qui vend des millions de bouteilleset peut se reposersur 150 salariés ?

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