DANS CETTE PARCELLE DE 4 HA DE GAMAY, plantée en 2014 à 5 500 pieds par hectare, Henri et son fils montrent leur palissage actuel avec simplement un fil fixe en bas et deux fois deux releveurs. Ils vont devoir y ajouter des fils fixes.
HENRI (EN ROUGE), BERNARD ET THIBAUT GIRIN conditionnent, depuis 2016, 30 000 bouteilles dont 10 000 de beaujolais nouveau qu'ils vendent en partie dans leur caveau. P PHOTOS : F. BAL
UN PRESTATAIRE RÉALISE LES MISES EN BOUTEILLES deux fois par an, en tiré bouché. Puis, les viticulteurs étiquettent au fur et à mesureavec une machine Enos, comme ici 240 cols de la cuvée L'Ancestrale.
«On s'adapte en permanence à l'évolution des marchés et aux exigences environnementales. » Telle est la ligne de conduite de la famille Girin, à Saint-Vérand, dans le sud du Beaujolais, au pays des Pierres Dorées. Le domaine compte 38 ha de vignes dont 33 en production. Il vend 80 % de sa récolte en vrac au négoce et 30 000 bouteilles en direct.
Dans une région en difficulté où les reprises sont rares, l'arrivée de Thibaut, en 2016, lui donne un nouvel élan. À 25 ans, titulaire d'un BTS viti-oeno, il rejoint son père Henri, 59 ans, et son oncle Bernard, 50 ans. Mais le défi est de taille. En effet, le domaine Girin ne produit que du beaujolais et un peu de crémant de Bourgogne. Il n'a aucun cru à sa gamme, un handicap pour la vente directe.
« Les professionnels nous disent souvent : "Il est bon votre vin, mais c'est du beaujolais, c'est difficile à vendre", témoignent-ils. On a beau avoir amélioré la qualité et élaborer de bons vins, l'image de notre appellation nous pèse. » Il est loin le temps où « tout baignait dans le meilleur des mondes ».
Le bon temps, c'était il y a quarante ans. En 1977, lorsqu'Henri s'installe sur 6 ha, à côté de son père Jean, il vend très bien ses vins en vrac, essentiellement des beaujolais nouveaux. Malgré cela, il se lance dans la bouteille et trouve des clients. En 1982, il vend 3 000 cols. « J'avais envie de produire d'un bout à l'autre de la chaîne », confie-t-il.
En 1990, Jean part à la retraite. Bernard, son fils qui travaillait avec lui comme aide familial, s'installe et s'associe à Henri, son frère, au sein d'un Gaec qui exploite 12 ha, vend 10 000 bouteilles en direct et le solde au négoce. Peu à peu, malgré la désaffection pour le beaujolais, Henri augmente les ventes directes à 20 000 cols par an.
En 2013, le domaine Girin compte 24 hectares de vignes. Pour préparer l'arrivée de Thibaut, il demande un audit prévisionnel à CerFrance Rhône. Cette étude présente deux options aux Girin dans l'optique de dégager un revenu pour trois associés : soit ils conservent leurs 24 ha de vigne et vendent davantage en direct, soit ils s'agrandissent pour intéresser des opérateurs qui cherchent des volumes.
« On n'avait pas la clientèle pour valoriser très rapidement nos vins en bouteilles », témoignent Bernard et Thibaut. Surtout, ni l'oncle ni le neveu ne sont très motivés par le commerce. Ils n'envisagent pas de s'y investir autant qu'Henri. Comme ce dernier doit partir à la retraite en 2019 ou 2020, ils choisissent donc de s'agrandir, d'autant que des voisins en fin de carrière libèrent des vignes.
En quatre ans, ils reprennent 14 ha en fermage. Dans le même temps, ils commencent la restructuration de leur vignoble « pour mécaniser le travail et diminuer les coûts de production ». Depuis 2014, ils ont arraché 11,5 ha qui étaient plantés à 8 900 pieds/ha, pour les replanter à 5 500 pieds/ha, avec un palissage à cinq fils et 2 x 2 releveurs. Ils ont aussi arraché un rang sur trois sur deux hectares. Un chantier titanesque, mené au pas de charge, qui doit leur permettre de réduire de 30 % le temps de travail dans les vignes ainsi que les coûts. Ils ont ainsi pu récolter 4 ha à la machine pour 800 €/ha contre 1 500 €/ha en vendanges manuelles - même s'il y a eu de la casse dans les 2 ha où ils avaient arraché un rang sur trois, et donc des coûts de réparation.
Sur le plan commercial, ils réalisent 60 % de leur chiffre d'affaires en bouteilles auprès des particuliers et 40 % auprès des professionnels. C'est le fruit du patient travail réalisé par Henri. Dans les années 1990, il a acheté un fourgon. Après les mises de printemps, il partait démarcher de nouveaux clients et livrer les anciens dans les départements voisins, puis dans le Nord et le Midi de la France ainsi que dans les deux Savoies. À Paris, il a travaillé avec un agent durant une dizaine d'années. Mais ce dernier a cessé son activité il y a sept ans. Depuis, il ne lui a pas trouvé de successeur.
Henri a toujours aimé le contact avec les clients. Mais, « il y a une dizaine d'années, c'est devenu très difficile de vendre du beaujolais, reconnaît-il. Parfois, je rentrais le soir complètement démoralisé. Je m'interrogeais : "Qu'est-ce que j'élabore ? Des mauvais vins ? Vraiment ?" À un moment, c'est vrai que le beaujolais nouveau n'a pas été à la hauteur. Mais il a toujours sa place. Pour nous, Beaujolais n'a jamais été synonyme de vin léger. »
Sur le plan technique, dès 1995 le domaine enherbe ses vignes pour lutter contre l'érosion. A partir de là, le profil de ses vins change, devenant plus structuré que la moyenne. Depuis 2010, les Girin attendent la maturité phénolique pour récolter. Ils pratiquent une macération préfermentaire à chaud, à 60 °C, de la moitié des volumes pour développer les notes de fruits rouges. Ils allongent le temps de macération de quatre à six jours pour le beaujolais nouveau. Toutes ces innovations portent leurs fruits : le domaine remporte régulièrement des médailles.
Mais les cours du vrac baissent. Plusieurs fois les Girin ont refusé de vendre leurs primeurs à des prix qu'ils jugeaient indécents. Ces rendez-vous manqués avec le négoce s'achèvent par des déstockages forcés. En réaction, le domaine diversifie et élargit sa gamme. Longtemps, les deux frères n'ont produit que deux beaujolais rouges en plus de leur blanc et rosé : Séduction, en entrée de gamme (5,90 €), et Coteau du Razet, en milieu de gamme. En 2009, ils créent l'Ancestrale, une cuvée éraflée, avec des macérations longues de 14 jours, puis élevée quelques mois en fut. Puis, ils élaborent un crémant de Bourgogne (8,20 €) et, depuis trois ans, un rosé effervescent doux baptisé Pink Emotion (7,80 €).
Pour monter encore en gamme, en 2016, Thibaut crée un deuxième beaujolais blanc un peu plus structuré, élevé un an en fût. Fin 2017, il est mis en vente à 11 €. La production de blanc, elle, est appelée à se développer : 3,5 ha de chardonnay entreront en production en 2018 et 2019.
Les Girin ont toujours gagné des médailles. Et plus encore depuis l'arrivée de Thibaut. En effet, ce dernier dynamise leur participation aux dégustations organisées par l'interprofession. Le résultat est immédiat. Leur millésime 2014 obtient la grande médaille d'or au concours des beaujolais nouveaux. Cette reconnaissance entraîne une vente exceptionnelle de 15 000 bouteilles au Japon, qui sera renouvelée l'année suivante, en 2015. Ils obtiennent aussi un coup de coeur du guide Hachette pour les millésimes 2014 et 2016 de leur cuvée Coteaux du Razet et un article dans Bourgogne aujourd'hui en 2016. Enfin, en novembre 2017, ils raflent la meilleure note du magazine Le Point pour leur beaujolais nouveau. Une belle reconnaissance.
« Depuis quatre ou cinq ans, les choses changent, perçoit Henri. Notre région a fait beaucoup d'efforts sur le plan qualitatif. On entre dans une nouvelle dynamique. L'image de convivialité du beaujolais circule à nouveau. »
Sur cette note d'optimisme, Bernard et Thibaut se préparent au départ à la retraite d'Henri. Ce tournant, ils ne savent pas encore comment ils vont le prendre. Vont-ils diminuer la surface à 30 ha ou la maintenir à 38 ? Ils trancheront le moment venu. Toujours est-il qu'ils seront à la tête d'une belle exploitation aux vins renommés, trois fois plus grande que la moyenne en Beaujolais sud. Autant d'atouts pour pérenniser l'entreprise et assurer sa transmission à Thibaut dans une douzaine d'années, lorsque ce sera au tour de Bernard de partir à la retraite.
LEUR STRATÉGIE COMMERCIALE « Trouver des marchés de volume rémunérateurs »
« Trouver des marchés de volume rémunérateurs »
Au contraire d'Henri, Thibaut et Bernard ne souhaitent pas trop s'investir dans la vente directe aux particuliers. Ils préféreraient trouver des marchés de gros, rémunérateurs, en bouteilles. C'est dans cette optique que Thibaut a participé à Vinovision, en février dernier à Paris, le premier salon professionnel pour le domaine Girin. « On voulait une visibilité auprès des acheteurs français, notamment de la grande distribution et, pourquoi pas, à l'export », explique le trio. « Il n'y avait pas beaucoup de monde, regrette Thibaut. Mais j'ai eu une dizaine de contacts de qualité même s'ils n'ont pas débouché sur des ventes. J'y participerai à nouveau en 2018. »
En attendant, le domaine mise sur l'existant : sa clientèle particulière, qu'il souhaite rajeunir. Pour son week-end de portes ouvertes - organisé depuis trente ans à la sortie du beaujolais nouveau -, il a innové cette année avec une soirée Burger & Wine animée par un foodtruck lyonnais et un concert de jazz manouche. De même, les Girin ont participé à la première édition d'une Journée bistronomie, organisée en juillet 2017, à Sarcey avec l'association Chefs et chais en pays beaujolais. Elle a connu un énorme succès avec 250 convives.