Trouver du vin en vrac sur l'île de Beauté ? « Cela devient de moins en moins aisé », observe Laurent Sauvage, directeur technique de la maison Fortant, à Sète (Hérault), qui achète de 5 000 à 7 000 hl par an, principalement du rosé IGP Île de Beauté, qu'il revend sous sa marque Terra Vecchia. D'abord, l'IGP devient de plus en plus chère (entre 130 et 150 €/hl). Ensuite, les producteurs en vendent de moins en moins en vrac.
« Les caves particulières valorisent la quasi-totalité de leur récolte en bouteilles qu'elles vendent sur place et de plus en plus à l'export », commente Bernard Sonnet, directeur du Comité interprofessionnel des vins de Corse (CIV Corse). Et les coopératives prennent la même direction.
« Ne cherchez pas ! Vous ne trouverez ni courtier, ni négociant implanté localement », avise un vigneron corse. Les acheteurs se trouvent sur le continent, pour la plupart des grands groupes - Moncigale, Les Grands Chais de France, Castel, Boisset -, auxquels s'ajoutent des maisons plus modestes basées en Provence.
En face d'eux, la principale cave coopérative du vignoble, l'Union des vignerons de l'île de Beauté (Uvib) [qui n'a pas répondu à nos questions, NDLR] a coupé le robinet du vrac en 2011. Les 100 000 à 120 000 hl qu'elle vinifie en moyenne par an - le tiers de la production corse - sont aujourd'hui conditionnés en bouteilles et en Bib, soit 8,5 millions de cols et 1 million de Bib. « L'Uvib a investi plusieurs millions d'euros dans des lignes de conditionnement pour réorienter ses ventes, souligne une source locale. En outre, sa capacité de production de rosé est inférieure à la demande. »
Pas sûr pour autant que la valorisation soit au rendez-vous. Les marques de distributeurs (MDD) absorbent pratiquement la moitié du volume commercialisé par le groupe. « Elles se sont substituées aux ventes en vrac », résume un metteur en marché.
Dans son sillage, les Vignerons d'Aghione, l'autre grosse coopérative de l'île, a déboursé 5 millions d'euros au cours de ces cinq dernières années dans la construction d'un site de 7 000 m2 pour le conditionnement de ses vins. Jusque-là, elle opérait uniquement sur le marché du vrac.
« Notre production augmente en raison des plantations nouvelles réalisées par nos adhérents, explique Christophe Paitier, le directeur. Aujourd'hui, nous réceptionnons 90 000 hl par an. D'ici deux à trois ans, nous devrions atteindre 100 000 hl. D'où la nécessité de diversifier nos débouchés pour ne plus dépendre uniquement du vrac. »
Les Vignerons d'Aghione n'ont pas perdu de temps. Cette coopérative commercialise désormais 40 % de sa production en bouteilles et en Bib, soit l'équivalent de 2 millions de cols. À l'instar de sa consoeur l'Uvib, elle a décroché d'importants marchés de MDD. « Ce sont des partenariats solides dans le temps », justifie Christophe Paitier. Néanmoins, la coopérative ne souhaite pas se désengager totalement du marché du vrac. « C'est notre métier de base et nous disposons d'un réel savoir-faire, souligne le directeur. Nous visons une répartition équitable entre le vrac et la bouteille. »
Quoi qu'il en soit, il y a désormais moins de jus pour les acheteurs extérieurs. Dans le vignoble, on fait les comptes. « Sur les 280 000 hl vinifiés par les caves coopératives, 200 000 sont conditionnés, calcule de tête un opérateur insulaire. Il ne reste donc plus "que" 80 000 hl pour le négoce. »
La demande étant soutenue, les prix n'ont pas fini de monter. Fortant se prépare à tirer les conséquences de cette situation de rareté. « Nous envisageons d'ouvrir notre marque Terra Vecchia à d'autres origines pour accompagner son développement, annonce Laurent Sauvage. Elle jouit d'une belle notoriété et enregistre de bons résultats. Mais, cela va être de plus en plus difficile de la maintenir à 100 % corse. »
Le Point de vue de
LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?«Oui. Il y a cinq ans, nous nous sommes mis en quête de nouveaux clients. Nous avons cherché des acheteurs de produits à forte valeur ajoutée et les avons trouvés. Nous avons investi dans des outils de vinification performants pour élaborer ces vins avec lesquels nous gagnons un peu plus que le prix moyen du vin en vrac. Aujourd'hui, nous vendons au-delà de 70 % de notre production en Bib et en bouteilles. Nous commercialisons les 30 % restants auprès du négoce, soit en vrac soit après les avoir conditionnés. »