Environ un tiers des vignerons alsaciens vend des raisins à 120 entreprises, dont une écrasante majorité de producteurs négociants. Ces vignerons n'ont jamais eu la bougeotte et reconduisent tacitement chaque année les contrats qui les lient avec leur acheteur. Et c'est encore plus vrai ces dernières années, les contrats pluriannuels prenant doucement le dessus. Les négociants poussent à la roue car ils en ont besoin pour assurer leurs approvisionnements pour une longue durée. C'est la pierre angulaire de leur développement commercial.
L'Association des viticulteurs d'Alsace (Ava) accorde sa bénédiction à ces initiatives calées, suivant les acheteurs, sur trois, six, neuf, dix, voire douze ans, avec des prix majorés de 4 ou 5 % par rapport au prix de base renégocié tous les ans. « Un engagement sur une durée, cela donne de la visibilité. Je milite pour un minimum de trois ans », affirme Jérôme Bauer, président de l'Ava. Plus la durée augmente, plus les majorations sont alléchantes.
Chez Arthur Metz, le contrat sur douze ans permet d'obtenir le plus haut niveau de prime de partenariat, une prime qui dépend de la surface engagée et qui peut inclure le remboursement du transport des raisins au vendangeoir. 27 % de ses apporteurs ont opté pour un tel accord.
Pour sa part, la maison Hauller accorde 3 % de prime aux producteurs qui signent un contrat de dix ans. Et elle verse 1 000 € pour tout nouvel hectare engagé pour cinq ou dix ans. Quant à Henri Ehrhart, il propose des contrats de cinq ans que l'apporteur peut rompre quand il le souhaite en renonçant, dès lors, aux primes prévues pour les raisins en cours de paiement.
Le contrat annuel n'est pas mort pour autant. Par habitude, opportunisme ou parce qu'ils ne veulent pas du suivi ni de la traçabilité imposés dans les contrats pluriannuels, des vignerons ne désirent pas se lier dans le temps.
« Mes fournisseurs veulent avoir le choix de livrer ou non des vins, en fonction de leur récolte. Sur 88 apporteurs, 87 ont des contrats annuels. C'est un héritage du temps où vendeur et acheteur s'engageaient oralement sur le principe de la parole donnée », explique Pierre Heydt-Trimbach, de la maison Trimbach, à Ribeauvillé (Haut-Rhin), président des producteurs-négociants alsaciens.
Le contrat d'achat fait aussi partie de l'attirail des coopératives. La plupart des onze coopératives alsaciennes ont créé le statut de « tiers non associé » (TNA). Bestheim, qui y recourt le plus selon les dires du vignoble, a décliné notre demande d'entretien à ce sujet. « Il est très difficile de recruter de nouveaux coopérateurs en raison de la durée d'engagement liée au statut coopératif. Les caves qui veulent augmenter leurs apports n'ont pas d'autre choix que le TNA », confie Frédéric Raynaud, directeur de la cave de Pfaffenheim (320 ha vinifiés par an).
« Nous proposons le statut de TNA depuis quatre ans. Mais ça ne se développe pas plus que ça : les TNA sont assez peu fidèles », constate Jérôme Keller, en charge du dossier chez Wolfberger, à Eguisheim (1 200 ha de vignes). C'est pourquoi, la coopérative ouvrira en 2018 la possibilité à ceux qui le souhaitent de tester pendant un an le statut de coopérateur sans les engagements qui lui sont rattachés.
Mais il n'y a pas que les chiffres qui font les bons amis. « Les relations se sont consolidées car nous sommes à l'écoute de nos apporteurs. Nous les informons de la destination de leurs raisins. Nous améliorons notre réception de vendange pour diminuer les pertes de temps. En cas de besoin, nous avançons des paiements », lance Henri Ehrhart, qui attribue à cette politique pleine d'attentions le passage de 150 à 200 ha de sa surface contractualisée.
Christian Kohser, président de l'Univa, le syndicat professionnel - unique en son genre - qui réunit les 477 apporteurs d'Arthur Metz, ne voit pas autrement les rapports avec son acheteur. « Nous donnons notre avis sur les investissements à faire dans les vendangeoirs, explique-t-il. Cette année, nous avons embauché une personne pour établir les déclarations de récolte des apporteurs et d'autres formalités. Athur Metz paie la moitié de son salaire, nous, l'autre moitié. Et quand il a souhaité baisser ses achats de sylvaner, nous avons négocié la possibilité de surgreffer ce cépage plutôt que de l'arracher et obtenu une prime de reconversion. Ce sont d'indéniables progrès. La discussion sur les prix est parfois un peu tendue, mais les relations demeurent bonnes. Nous essayons de coller aux demandes de notre client. »
Des marges de progrès existent. La possibilité pour les vendeurs de raisin de stocker du VCI (volume complémentaire individuel) sera ainsi le prochain sujet de discussion avec cet acheteur, qui n'est guère emballé par cette perspective.
Le Point de vue de
Frédéric Tappe,responsable technique chez J. Hauller et fils, à Dambach-la-Ville. 400 ha d'achats par an.
«Depuis dix ans, nous avons renforcé la proximité avec nos apporteurs. Nous nous intéressons à leurs problématiques techniques, administratives et économiques. Le but est d'établir une relation fiable. Nous leur proposons des contrats sur un an, cinq ans et, depuis 2016, dix ans. La priorité est de sécuriser notre approvisionnement. Avant de nous engager, nous devons être certains d'avoir le volume. Depuis quatre ou cinq ans, nous achetons moins de vrac et de plus en plus de raisins afin de mieux maîtriser la qualité. »
Le Point de vue de
SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?«Il y a vingt ans, on livrait et c'était terminé. Aujourd'hui, les échanges sur les questions techniques et réglementaires sont devenus la règle. Le souci qualitatif est fort. Les parcelles se visitent ensemble pour déguster le raisin et juger de sa maturité. Nous devons amener un produit irréprochable au vendangeoir. Récolter à la carte complique la vie et la gestion de la main-d'oeuvre. Ce sont plus de contraintes à accepter. En 2017, l'un des deux négociants auxquels je vends m'a donné des pistes pour trouver des vendangeurs. »
Le Point de vue de
«J'ai livré des raisins au même négociant pendant vingt-cinq ans. Le prix se basait sur la recommandation syndicale. J'ai changé pour un de ses collègues en 2017. Il offrait 10 % de plus pour tous les cépages et il se montrait plus souple sur le calendrier de livraison. Avec mon précédent acheteur, c'était plus figé. Je décide au printemps de la surface que j'engage pour l'année. Aller au-delà ne m'intéresse pas car il faut que j'assure l'approvisionnement de mon domaine avant tout. »