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DOSSIER - VITICULTURE, NÉGOCEDES RELATIONS APAISÉES

CHAMPAGNE Le leader met la pression

AUDE LUTUN - La vigne - n°304 - janvier 2018 - page 44

MHCS augmente ses prix d'achat de raisin pour avoir plus d'approvisionnement. Le syndicat des vignerons appelle ses membres à maintenir une diversité d'acheteurs.
MALGRÉ UN PRIX DU RAISIN très attractif proposé par MHCS, les vignerons veulent continuer à alimenter tous les acheteurs. GUTNER

MALGRÉ UN PRIX DU RAISIN très attractif proposé par MHCS, les vignerons veulent continuer à alimenter tous les acheteurs. GUTNER

«Nous y sommes », titrait Maxime Toubart, président du Syndicat général des vignerons (SGV), dans son éditorial du magazine La Champagne Viticole du mois de novembre. Un titre pour prévenir que la Champagne est arrivée à un moment décisif de son histoire, après l'initiative du premier intervenant de la région - le groupe MHCS (Moët Hennessy Champagne Services) -, au début du mois d'octobre, d'augmenter significativement le prix d'achat des raisins, offrant 5 % de plus que l'an passé.

Un choix largement commenté car même si MHCS, qui regroupe les marques Moët & Chandon, Dom Pérignon, Veuve Clicquot, Ruinart, Krug et Mercier, représente moins du quart des ventes de champagne, ce groupe donne le la sur le prix du raisin à chaque vendange. Or, ce prix est essentiel car la quasi-totalité des transactions se fait en raisins, les ventes de vins clairs et sur lattes constituent un volume très faible.

« Alors que le raisin augmente généralement entre 1 et 2 % par an, cette année, il a progressé de 5 ou 6 % », note Franck Hagard, coprésident de la Fédération des courtiers de Champagne. Les autres négociants, soucieux de protéger leurs approvisionnements, ont donc globalement suivi MHCS. Seuls quelques-uns s'en sont tenus aux progressions habituelles. Après ces hausses, le prix moyen est estimé entre 6 et 6,10 €/kg pour la récolte 2017.

« Avec les contrats interprofessionnels qui vont être renouvelés après la vendange 2018, il est logique que le chef de file souhaite mettre en confiance ses acheteurs, estime Éric Potié, président de la Fédération des coopératives vinicoles de Champagne. Ce groupe a l'ambition d'augmenter son approvisionnement et il a les capacités de le faire car il valorise bien ses bouteilles. »

Pour autant, la décision de MHCS ne lui a pas apporté plus de livreurs, dans l'immédiat, car les contrats sont signés pour cinq ans. Tous arriveront à échéance, à la même date, après les prochaines vendanges. C'est en effet une particularité de la Champagne où les relations entre la production et le négoce sont très encadrées par les décisions interprofessionnelles, lesquelles imposent un modèle de contrat unique et fixent également le rendement annuel en fonction des perspectives de marché.

Ces contrats indiquent la surface de raisin engagée par récolte et les modalités de calcul du prix du raisin. Comme les deux parties sont liées pour une longue période, il est impossible pour un producteur de changer en cours de route en allant au plus offrant.

« Il y a une vraie tension dans l'approvisionnement, poursuit Éric Potié. Pour l'instant, le prix du raisin est assez resserré. À l'avenir, il sera moins uniforme et variera plus qu'aujourd'hui selon les zones de production et les acheteurs. On verra dans deux ans... »

Le SGV craint que les vignerons soient tentés de vendre davantage de raisin et que le nombre de négociants diminue : « Le prix du raisin a atteint des sommets, a précisé Maxime Toubart, lors de l'assemblée générale de l'Association viticole champenoise (AVC), le 6 décembre. Gagner plus n'est pas désagréable, mais ne soyons pas dupes ! L'objectif n'est pas de permettre aux producteurs de raisin de gagner plus. » En clair, le but de MHCS est de prendre des parts de marché. « La stratégie qu'a engagée ce groupe aura des conséquences sur l'environnement champenois. Quid des équilibres interprofessionnels ? Quid du maintien à terme de la valeur ajoutée ? »

Et le président du SGV de donner plusieurs recommandations aux viticulteurs : « Préservez la diversité des acheteurs de raisins pour préserver le partage de la valeur ajoutée ! Continuez à vinifier et à commercialiser votre récolte et n'engagez pas vos raisins dans le cadre de contrats qui ne respectent pas les accords interprofessionnels ! » À savoir, des contrats plus longs que cinq ans.

En dix ans, la part de raisins vendue au négoce a progressé de 10 %, atteignant 63 % en 2016. 2017 confirme cette tendance. La crise de 2008 a fragilisé les ventes des vignerons, qui expédient principalement en France. Depuis cette date, le marché national est en baisse continue, contrairement au grand export, terrain de jeu des grandes marques.

« Nous sommes dans l'expectative, conclut Franck Hagard. Verrons-nous une concentration des acheteurs, comme à Cognac ? Si le commerce continue à bien se porter, ce ne sera pas le cas, les bouteilles produites avec des raisins chers de cette année pouvant être valorisées lorsqu'elles arriveront sur le marché dans quelques années. Mais si l'économie mondiale se détériore, on peut craindre des défaillances et assister à une concentration rapide des acheteurs, ce qui nous mènerait à l'impasse. C'est pourquoi il est important de continuer à alimenter l'ensemble des négociants. »

La future extension de l'aire d'appellation Champagne pourrait changer la donne. Mais pas avant quelque temps. En effet, ses contours devraient être connus fin 2018 et arrêtés par le Conseil d'État en 2021.

Le Point de vue de

Christian Jojot, président de la coop des Riceys. 90 ha, dont une partie vendue au négoce.

SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«Les relations évoluent avec le groupe leader qui a augmenté les prix du raisin en 2017. Cette hausse va poser un problème aux autres négociants et aux coopératives. Avec un prix élevé, il faut pouvoir valoriser les bouteilles. Toutes les maisons ne le pourront pas. Les relations se tendent et une partie des vignerons s'inquiète du poids que prend le leader. Il faut qu'ils restent groupés et résistent aux sirènes en continuant d'approvisionner tous les acheteurs. »

Le Point de vue de

Alexis Leconte, vigneron indépendant, 10 ha à Troissy. 30 % vendus en raisin au négoce.

SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«Les liens entre le négoce et les vignerons restent forts et il y a toujours un bon équilibre entre ces deux familles. Je travaille avec plusieurs maisons car cela ne serait pas bon pour la Champagne d'avoir moins d'opérateurs. Mon but est de vendre de plus en plus de bouteilles, notre salut passant par la vente et la valorisation des bouteilles. Un autre enjeu est celui de la transmission des exploitations car leur morcellement ne favorise pas la vente des bouteilles par les vignerons. »

L'essentiel de l'offre

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