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DOSSIER - VITICULTURE, NÉGOCEDES RELATIONS APAISÉES

TOURAINE Un dialogue fructueux

LUCIE MARNÉ - La vigne - n°304 - janvier 2018 - page 50

Les prix de vente au négoce des vins de Touraine ne cessent d'augmenter pour le plus grand plaisir des viticulteurs. Attention cependant à ne pas bousculer le marché.
FABRICE DELALANDE, vigneron        en Indre-et-Loire, travaille en confiance avec la maison Bougrier depuis trente ans. KOEPHOTOGRAPHY

FABRICE DELALANDE, vigneron en Indre-et-Loire, travaille en confiance avec la maison Bougrier depuis trente ans. KOEPHOTOGRAPHY

Oubliées les difficultés de la décennie précédente. Désormais, les vins de Touraine se vendent bien et à un bon prix, à commencer par le touraine sauvignon. Dans l'appellation régionale, on ne plante quasiment plus que ce cépage. Cette appellation produit en moyenne 220 000 hl par an dont 60 % partent au négoce. Et les viticulteurs en vivent ! « En 2012, le touraine sauvignon se vendait autour de 185 €/hl en vrac. Aujourd'hui, c'est plutôt autour de 220 €/hl », se réjouit Christel Davaux, viticulteur à Saint-Romain-sur-Cher, en Loir-et-Cher.

Pour changer la donne, production et négoce ont dû travailler de concert. En 2013, la FAV 41 et la chambre d'agriculture ont dressé un plan d'actions. « La réflexion a principalement porté sur la segmentation du marché entre sauvignon IGP et sauvignon AOC », explique Jean-Martin Dutour, président d'InterLoire. Et ce travail a porté ses fruits. « De manière générale, le dialogue passe bien dès lors que le négoce est impliqué dans la production », souligne Jean-Martin Dutour. Et c'est de plus en plus le cas. Nombre de maisons de négoce ont investi dans le foncier pour sécuriser leur approvisionnement.

Particularité du touraine blanc : le marché du vrac concerne de la vendange fraîche pour plus d'un tiers des volumes. « Les maisons souhaitent vinifier leur vin au goût de leurs clients », explique Rémy Rougé, courtier en vin à Vouvray. À noter que lorsqu'ils achètent de la vendange fraîche, les négociants retiennent 15 €/hl de frais de vinification.

En vue de fidéliser leurs apporteurs de vendange, les grandes maisons privilégient les contrats pluriannuels. Chez Albert Besombes Moc-Baril - filiale de Loire Propriétés -, on propose des contrats de trois ans renouvelables par tacite reconduction. Les maisons Bougrier et Lacheteau offrent les mêmes types de contrats. Outre la sécurité d'approvisionnement, les contrats pluriannuels présentent un autre avantage : « Le négoce peut étaler ses paiements jusqu'à fin mai pour ses achats de raisin et de moûts, et jusqu'à fin août pour ses achats de vin. Avec un contrat classique, le délai de paiement est de 60 jours », précise Rémy Rougé.

Mais avec des récoltes qui s'amenuisent, la donne change. « À Vouvray, entre la grêle, le gel et la coulure, les viticulteurs ont cumulé les mauvaises années. Ils se sont donc désengagés des contrats pluriannuels. Et comme le marché est tendu, ils n'ont aucun mal à vendre leur récolte », ajoute Rémy Rougé. Les échanges s'opèrent donc de manière plus classique : le négoce achète des vins à des vignerons auxquels il est lié par fidélité ou habitude. Un contrat d'achat est signé au moment de la vente. Plus besoin de négocier les prix. « Comme la demande est forte, les viticulteurs veulent vendre au minimum au prix donné par les mercuriales publiées le 31 juillet chaque année, explique le courtier. Ensuite, au regard de la récolte, ils savent s'ils peuvent obtenir ou non une augmentation du prix. »

Le même fonctionnement a cours à Saint-Nicolas-de-Bourgueil dont près de 50 % des vins se vendent au négoce. « Cette appellation marche fort en grande distribution. Le négoce est donc très demandeur », précise Jean-Martin Dutour. Et les prix ne cessent d'augmenter. « En moyenne, le vrac augmente de 5 % chaque année. En 2016, le cours était d'environ 315 €/hl. Cette année, il va tourner autour de 330 €/hl », explique Laurent Bourdin, responsable de la maison Albert Besombes Moc-Baril.

Les viticulteurs réagissent eux aussi aux petites récoltes successives. Pour renflouer leurs stocks ou alimenter leurs marchés, certains se sont dotés d'un statut de négociant. « Mais ces achats ne portent que sur des petits volumes. Cela impacte très peu le marché du négoce. D'autant plus que certains de ces vignerons ont acheté des vins en dehors de la région pour produire des VSIG », souligne Fanny Gillet, responsable du service économie et études à InterLoire. Les viticulteurs déjà engagés auprès de maisons de négoce leur sont restés fidèles. « C'était dans leur intérêt s'ils voulaient que leurs acheteurs reviennent vers eux l'année suivante », ajoute Jean-Martin Dutour. D'autant que la plupart des maisons de négoce se sont engagées oralement auprès de leurs meilleurs fournisseurs à maintenir leurs prix pour la récolte 2018.

Pour l'heure, les prix sont à la hausse et rien ne semble les arrêter. Excepté peut-être le consommateur ? « À Saint-Nicolas-de-Bourgueil, les négociants craignent qu'ils freinent les achats à cause de cette augmentation continue », reconnaît Laurent Bourdin.

Pour le touraine sauvignon, les prix devraient encore augmenter : la récolte 2016 s'élevait seulement à 110 000 hl - soit deux fois moins qu'une récolte normale - et celle de 2017 est encore plus faible. Mais la profession reste lucide. « L'ODG a envoyé un courrier à tous les producteurs les appelant à modérer la hausse des prix pour ne pas bousculer le marché », indique Noël Bougrier.

Le Point de vue de

Fabrice Delalande Domaine de la Semellerie, 45 ha à Cravant-les-Coteaux (37). 35 % de sa vente au négoce.

SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«Les relations avec notre négoce ont toujours été très bonnes. Cela fait trente ans que nous travaillons avec la maison Bougrier. Une relation de confiance s'est donc installée. Chaque année, nous nous mettons d'accord sur les prix oralement. Pas besoin de contrat écrit. Bougrier sait que nous lui réservons une partie de notre production que nous mettons en bouteilles à la propriété. Après le gel de cette année, nous avons convenu avec notre négociant de maintenir les prix appliqués en 2016 durant trois ans, même en cas de meilleure récolte dans les années à venir. »

Le Point de vue de

Christel Davaux, 50 ha à Saint-Romain-sur-Cher (41). 100 % vendus en vrac au négoce.

SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«Chez nous, les relations avec le négoce étaient tendues jusqu'il y a encore six ans environ car nous n'étions pas payés à un prix rémunérateur. Aujourd'hui, les discussions sont plus apaisées. Notre production est de meilleure qualité et le négoce la valorise à un bon prix. Mais il serait souhaitable que celui-ci prenne davantage part aux réunions techniques pour prendre conscience de nos contraintes. Malheureusement, mes collègues qui ne vendent pas au négoce nous voient d'un mauvais oeil. Pour eux, nous produisons du mauvais vin. »

Le Point de vue de

Noël BougrierMaison Bougrier, St-Georges-Sur-Cher (41). 45 000 hl/an vinifiés.

SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«En Touraine, le climat est plutôt apaisé. Les prix ont été revalorisés à la suite des petites récoltes de ces dernières années. Pour cela, nous avons eu des discussions constructives avec nos fournisseurs. L'objectif étant de ne pas trop augmenter les prix pour ne pas bousculer le marché. C'est d'autant plus vrai pour nos acheteurs à l'étranger. Aux États-Unis et en Angleterre, la livre et le dollar reculent face à l'euro. Il faut donc veiller à ne pas perdre ces marchés car il devient difficile de les récupérer l'année suivante. »

L'essentiel de l'offre

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