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VIGNE

Arbres et vignes Une alliance délicate

CHANTAL SARRAZIN - La vigne - n°305 - février 2018 - page 34

La chambre d'agriculture de l'Hérault a divulgué les résultats d'un essai conduit sur le domaine agroforestier de Restinclières. Les vignes qui se trouvent à moins de 4 mètres des arbres ont des rendements qui souffrent de leur concurrence.
TROP PROCHES, les arbres réduisent les rendements des ceps de vignes à cause de la concurrence pour l'azote.  © CA DE L'HÉRAULT

TROP PROCHES, les arbres réduisent les rendements des ceps de vignes à cause de la concurrence pour l'azote. © CA DE L'HÉRAULT

La chambre d'agriculture de l'Hérault conduit depuis 1996 un essai d'agroforesterie sur les 7 ha du domaine expérimental de Restinclières, à Prades-le-Lez. Plus d'une centaine d'arbres ont été plantés dans ce vignoble de grenache et de syrah. Pins pignons et cormiers, cyprès, poiriers... Au total, sept espèces coexistent selon deux modalités. Dans la première, dite de haute densité, un rang d'arbres a remplacé un rang de vignes tous les six rangs. Il y a donc cinq rangs de vigne et 15 m entre deux rangées d'arbres, les vignes étant plantés à 2,5 m entre les rangs.

Dans la seconde, appelée basse densité, il n'y a que quatre rangs de vigne entre deux rangées d'arbres. Là, chaque rang d'arbres a remplacé deux rangs de vigne. Mais les rangs d'arbres sont toujours espacés de 15 m. « Les vignerons ne voient pas toujours d'un bon oeil la présence d'arbres dans les vignes, observent les responsables de cet expérimentation. Ils craignent des pertes de rendement à cause de la concurrence pour la lumière, l'eau et l'azote. »

En novembre dernier, la chambre d'agriculture a publié les résultats des pesées et des analyses effectuées lors de la récolte 2011. Cette année-là, les techniciens ont vendangé 30 souches par rang de grenache. Ils ont ensuite pesé les grappes et la teneur en azote assimilable des moûts pour évaluer la concurrence azotée induite par la présence des arbres.

À l'arrivée, ils constatent que « les arbres provoquent une concurrence azotée qui a des conséquences sur la récolte des rangs de vigne les plus proches d'eux ». Cette concurrence s'exerce jusqu'à 4 m des arbres, puis disparaît. Au-delà de cette distance, il n'y a plus d'impact sur la récolte. Exemple, dans la parcelle plantée de pins pignons, la récolte sur le rang le plus proche des arbres s'est élevée à 1,5 kg de raisins par cep. Au-delà de 4 m, elle grimpe à 2 kg/cep. « Dans le pire des cas, nous avons observé un écart de rendement de 36 % entre les vignes les plus proches des arbres et les plus éloignées », relatent les responsables de l'essai.

Les pertes de rendement sont dues à la concurrence pour l'azote selon la chambre d'agriculture. Elle ajoute que l'intensité de cette concurrence dépend des essences d'arbres. Ainsi, la teneur en azote des moûts des vignes voisines des pins est inférieure de 17 % à celles des vignes éloignées de 4 m et plus. Dans le cas des cormiers, l'écart s'élève à 23 % et il grimpe à 41 % avec les cyprès.

Autre aspect analysé, le régime hydrique des plantes. Cette fois, la présence des arbres n'a aucun effet sur la contrainte hydrique de la vigne.

Aux vignerons qui seraient tentés par l'agroforesterie, la chambre d'agriculture recommande donc de planter leurs rangées d'arbres à 5 m de leurs vignes pour préserver leurs rendements.

Doctorante à l'université de Toulouse, Juliette Grimaldi a étudié l'impact des arbres sur le microclimat des parcelles. Premier constat, la température chute au nord, à l'est et à l'ouest des arbres, dans leur zone d'ombrage. « En été, la température relevée l'après-midi à l'ombre des arbres est inférieure de 3 degrés par rapport au point le moins ombragé. À l'inverse, en hiver et par temps clair, les températures nocturnes sont plus douces à proximité des arbres, ceux-ci relarguant de la chaleur la nuit », indique-t-elle.

Second constat, au sud des arbres, les vignes bénéficient d'un rayonnement lumineux et de températures plus élevées qu'ailleurs dans la parcelle. « Ces conditions sont liées à un effet miroir des arbres, qui réfléchissent le rayonnement, et ce d'autant plus fortement que leur feuillage est dense et continu. Lors des journées les plus chaudes on peut donc craindre des risques d'échaudage », estime la chercheuse.

Enfin, les arbres ont un effet brise-vent lorsqu'ils sont de grande envergure. Leur présence est donc intéressante dans les zones très ventées. On le voit à la lumière de ces travaux, les effets de l'agroforesterie sont sûrement plus subtils et divers qu'on ne l'imagine.

« Des fruits et de la vigne »

DELPHINE ET BENOÎT VINET, 8 HA EN BORDEAUX SUPÉRIEUR, À LAPOUYADE, EN GIRONDE

DELPHINE ET BENOÎT VINET, 8 HA EN BORDEAUX SUPÉRIEUR, À LAPOUYADE, EN GIRONDE

«Nous avons planté les premiers arbres en 2008. D'abord seuls, sans aide. Puis, à partir de 2014, avec l'association Arbres et Paysages en Gironde qui nous a conseillés sur les espèces et leur plantation. 382 arbres poussent aujourd'hui dans notre vignoble, dont 220 que nous avons plantés le 20 janvier. Ces arbres sont soit dans des haies en bordure de parcelles, soit dans des rangs de vigne. Il s'agit en majorité de fruitiers - pommier, poirier, prunier, abricotier... - et de feuillus - frêne, érable, cormier... Nous les avons plantés pour briser la monoculture et apporter du relief aux chauves-souris qui sont des prédateurs d'insectes ravageurs comme les tordeuses. Aujourd'hui, nous n'avons plus d'attaques de vers de la grappe, y compris en cas de forte pression aux alentours. Cependant, comme nous avons des arbres dans les rangs de vigne, nous ne pouvons plus prétailler ni rogner à la machine. Nous avons donc investi dans un taille-haie électrique pour réaliser cette tâche. Nous n'avons constaté ni baisse de rendement, ni diminution de la qualité des raisins. Et nous récoltons les fruits de nos arbres pour notre consommation personnelle. Dès qu'ils seront en pleine production, nous en vendrons. Nous avons déjà des demandes. »

« Un pari sur l'avenir »

FRANCK RENOUARD, À LA TÊTE DU DOMAINE SCAMANDRE, À VAUVERT (17 HA, 50 000 COLS)

FRANCK RENOUARD, À LA TÊTE DU DOMAINE SCAMANDRE, À VAUVERT (17 HA, 50 000 COLS)

«Nous avons réalisé nos premières plantations d'arbres en 2013, suivant les conseils du bureau d'études Agroof. Au total, une trentaine d'essences différentes sont présentes sur notre domaine, soit 1 829 arbres. Nous avons formé 600 m de haies autour des vignes. Les autres arbres sont implantés directement dans trois parcelles. Dans la première - 0,6 ha de vieux carignans -, nous avons mis des arbres à la place de manquants. Dans la deuxième de 0,5 ha, nous avons planté des oliviers. Enfin, dans la troisième de 0,4 ha, nous avons retiré deux rangs de syrah que nous avons remplacés par des arbres. Cette année, nous allons mettre en place 200 mètres de haie supplémentaires. La population d'oiseaux et d'insectes a considérablement augmenté dans les parcelles en agroforesterie. Et nos rendements n'ont pas diminué. Au total, nous avons dépensé près de 4 000 € HT dans la plantation et nous comptons trois jours d'entretien par an. À cela s'ajoute l'entretien des arbres durant les trois premières années (taille de formation, entretien de la ligne des arbres...) pour un montant de 1 300 € HT par an. Un investissement sur l'avenir. À terme, le coût des conséquences du réchauffement climatique et de l'interdiction progressive des intrants sera nettement supérieur à cet investissement. »

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