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VIN

Filtration Des fabricants à côté de la plaque

MARION BAZIREAU - La vigne - n°305 - février 2018 - page 38

Une étude montre que des plaques filtrantes a priori comparables donnentdes résultats très différents sur la clarification et le profil des vins. Les données des fabricants sont inexactes. Avant de choisir, mieux vaut faire des essais.

«Les utilisateurs sont victimes de différences flagrantes entre les plaques des fabricants. Celles-ci divergent en termes de rétention et d'impacts organoleptiques, même sur des segments de filtration comparables. » À la fin de leurs essais comparatifs portant sur une cinquantaine de plaques filtrantes, la chambre d'agriculture de la Gironde, l'IFV et Hervé Romat, un expert en filtration, ont décidé de tirer la sonnette d'alarme*. Et à juste titre, tant les résultats obtenus sont disparates. Dès leur premier essai, les experts ont eu des surprises. Ils ont commencé par un vin blanc affichant une turbidité de 9 NTU et un coefficient de colmatage de 99. Ils l'ont filtré sur six plaques dégrossissantes censées retenir les particules comprises entre 3 et 6 µm : trois plaques Begerow (Beco K1, Becopad 580 et Europor K1), une Pall (K200), une Beaulieu Filtration (NCA B-100) et une Filtrox (AF 41H).

Première surprise : les débits de filtration ont varié de 1 à 15, à pression constante, entre la Pall Seitz K200 et la Beco K1 ! Puis les plaques ont eu des effets très aléatoires sur la turbidité et la filtrabilité. Les plaques AF 41H ont affiché les meilleures performances, en abaissant la turbidité du vin à 0,43 NTU et son coefficient de colmatage à 11, tandis qu'à l'inverse le vin filtré par les Europor K1 présentait encore une turbidité de 3,2 et un coefficient de colmatage de 65. Pour couronner le tout, certaines plaques ont abîmé le vin. Les Europor K1 ont eu un effet négatif sur la fin de bouche, tandis que les plaques NCA B-100 ont affecté ses arômes.

Cette variabilité s'est répétée pour tous les segments de la filtration, sans qu'aucun fabricant ne se démarque, avec tous les cas de figure : des plaques plus lâches qu'elles n'auraient dû, d'autres plus serrées. Ou encore, lors des filtrations dites « stériles », des plaques ont retenu les bactéries mais pas les levures, alors qu'elles sont plus grosses !

À ce stade, seule la plaque Seitz EKS de Pall a permis d'obtenir un vin réellement pauvre en germes, avec moins de 1 UFC pour 100 ml. « Cela est d'autant plus surprenant que la taille des levures se situe entre 1,5 et 4 <03BC_7>m, alors que les plaques annonçaient pouvoir retenir les particules de 0,4 à 0,1 <03BC_8>m. Le diamètre de rétention annoncé par les fabricants est donc très abusif », relève Hervé Romat. Dans ce cas, difficile d'embouteiller sans une filtration complémentaire sur membranes.

Côté dégustation, les filtrations ont globalement eu moins d'impacts négatifs sur les vins rouges que sur les vins blancs, ce qui est contraire à l'idée commune.

Comment expliquer ce grand fatras ? « Les fabricants utilisent des proportions différentes de cellulose, de terre et de liant. Personne ne parle la même langue. Chacun conduit ses propres tests sans normes communes au niveau national ou international », avance Hervé Romat.

Une deuxième explication tient au fait que le vin ne représente qu'une toute petite partie de leur business, loin derrière la bière et les jus de fruit. « Dès lors, ils ne prennent pas toujours la peine de mettre sur pied des tests spécifiques au vin et annoncent des seuils de rétention inadaptés », poursuit-il.

Cette étude a fait réagir les oenologues-conseils, qui pressentaient tous ces résultats. Les fournisseurs, eux, n'ont pas répondu à nos sollicitations. À Gaillac, Francine Calmels, oenologue-conseil, constate au quotidien une efficacité très disparate de la filtration sur plaques. « Tantôt un vin qui passe sur des plaques Laffort L7 (1,5 µm) ressort prêt pour la mise en bouteilles. Tantôt, il faut le repasser sur une plaque L3 (2-3 µm) sans que l'on ne comprenne pourquoi. Il arrive aussi que des vins doux ressortent voilés parce que les plaques ont laissé passer des colloïdes. Des vignerons sont également surpris par la charge microbienne de leur vin après une filtration sur des plaques stérilisantes. »

Dans sa région, nombreux sont ceux qui ont délaissé la filtration sur plaques pour la tangentielle.

À Libourne, en réponse à l'hétérogénéité des plaques, Thomas Duclos, oenologue, encourage ses clients à passer à la filtration sur cartouches, « plus respectueuse et plus facile à appréhender. »

En Bourgogne, la filtration sur plaques a encore beaucoup d'adeptes. Chez Moreau Œnologie, Charles-Antoine Gehin comprend que chaque fabricant ait sa recette, mais il leur reproche d'annoncer des seuils de rétention erronés : « Cela revient à faire de la publicité mensongère. Il faudrait que des normes communes soient mises en place. » Car, même si la filtration sur plaques n'a plus très bonne presse, il estime qu'elle reste une technique qualitative. « Je n'ai jamais assisté à de gros accidents sur le profil aromatique ou l'équilibre des vins. En revanche, en cas de montée en pression, il arrive que des résidus de kieselguhr passent dans le vin. Lorsqu'elle est mal conduite, la filtration peut entraîner des précipitations de couleur, de protéines ou de tartre en bouteille. Mais cela reste anecdotique. »

Les Bourguignons ont souvent un filtre à plaques doté d'une chambre de renversement qui leur permet d'effectuer une filtration dégrossissante et une filtration plus serrée en un seul passage. La filtration se déroule bien lorsqu'ils envoie d'abord leur vin au laboratoire pour en mesurer la turbidité et la filtrabilité. « Nous pouvons aussi faire passer l'échantillon sur des miniplaques Becopad et le déguster pour voir comment il réagit. Cela nous permet de donner les bonnes consignes », ajoute l'oenologue.

Chez Zaegel Œnologie, à Morey-Saint-Denis (Côte-d'Or), Antoine Lardy insiste lui aussi sur la nécessité de ne pas automatiser cette filtration. « On ne peut pas travailler avec les mêmes plaques d'un millésime à l'autre. Ainsi, en 2015, les vins présentaient beaucoup de colloïdes, et il fallait utiliser des plaques très chargées, alors que ce n'était plus le cas l'année suivante. Il faut toujours faire des essais en laboratoire », témoigne-t-il. À cette condition, il y a peu d'accidents, même si les vins ont souvent besoin d'un petit temps pour se remettre de la filtration.

Comme ses confrères, il n'est pas surpris par les conclusions de l'étude. « Les seuils de rétention annoncés n'ont jamais reflété la réalité. On n'apprend rien des fiches commerciales. Les vignerons doivent prendre conseil auprès de techniciens. » Lui préfère regarder le débit à l'eau des plaques : « Pour une pression donnée, plus le débit est élevé, plus la plaque est lâche. »

Antoine Lardy estime d'ailleurs que les ingénieurs de la chambre d'agriculture et de l'IFV auraient dû choisir cette clé d'entrée pour mener leurs tests : « Si on reprend leur première filtration faite sur du vin blanc avec les plaques dégrossissantes, on se rend déjà compte que celles qui donnent les meilleurs résultats ont un débit à l'eau supérieur à 900 l par plaque et par heure, alors que les trois dernières ont un débit inférieur à 250 l. »

Aux JO des plaques, pas de médailles pour les marques

LA FILTRATION SUR PLAQUES donne des résultats très éloignés de ce qui est annoncé. Les essais sont nécessaires.

LA FILTRATION SUR PLAQUES donne des résultats très éloignés de ce qui est annoncé. Les essais sont nécessaires.

Sur les huit filtrations mettant à l'épreuve une cinquantaine de plaques, aucun fabricant ne se démarque. Lors des filtrations dégrossissantes, sur rouge comme sur blanc, les plaques Seitz K200 (Pall) ont eu de très bons effets sur la turbidité, la filtrabilité et le profil des vins. En revanche, elles ont filtré à très faible débit (environ 5 l par plaque et par heure). Les plaques Becopad 580 (Begerow) s'en sont mieux tiré côté débit, en ayant aussi un effet positif sur les vins, mais leurs performances sont moins bonnes sur la filtrabilité. Lors des filtrations clarifiantes, les plaques Laffort L3 ont supplanté Begerow, Pall et Filtrox en termes de débit, tout en offrant des performances correctes sur la rétention et la dégustation. Lors de la filtration « pauvre en germes », les plaques Becopad 120 ont tiré leur épingle du jeu sur vin blanc, tandis que les plaques NCA BS-300 (Beaulieu Filtration) et Seitz EK s'en sont mieux sorties sur rouge.

Le Point de vue de

« N'aggravez pas votre cas »

ALAIN MARTINEZ, DIRECTEUR DE ZONE CHEZ LAFFORT

ALAIN MARTINEZ, DIRECTEUR DE ZONE CHEZ LAFFORT

«Pour limiter les risques d'échec de filtration, il faut suivre de bonnes pratiques. Cela peut paraître évident, mais les vignerons doivent s'assurer de monter leurs plaques dans le bon sens. Le vin doit pénétrer dans la plaque par son côté ondulé et en ressortir par son côté lisse. J'ai vu des exploitants qui filtraient à l'envers depuis vingt ans. En outre, cela peut provoquer la rupture du filtre. Il ne faut pas non plus lésiner sur l'affranchissement. 20 à 50 l d'eau par plaque de 40 x 40 cm sont nécessaires. Ce n'est qu'une fois que les plaques sont bien mouillées et qu'elles ne gouttent plus que l'on resserre le filtre. Il est aussi primordial de respecter les débits indiqués par les fabricants : pas plus de 120 l/h et par plaque dégrossissante, de 80 à 90 l pour les plaques clarifiantes et pas plus de 65 l pour les plaques destinées aux filtrations pauvres en germes. »

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