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VIN

Levures et bactériespréservent la fraîcheur

MARION BAZIREAU - La vigne - n°305 - février 2018 - page 40

Au cours d'un « road trip » de quatre jours, les experts du Lallemand Tour ont donné des billes aux vignerons pour qu'ils vinifient des vins frais,au goût du marché.
LES LEVURES peuvent drastiquement faire baisser l'acidité. Il faut       bien les choisir.  . ©  P. ROY

LES LEVURES peuvent drastiquement faire baisser l'acidité. Il faut bien les choisir. . © P. ROY

Alors que le changement climatique fait grimper les teneurs en alcool et baisser l'acidité, le consommateur a de plus en plus d'appétence pour les vins aromatiques et frais. C'est ce qu'a martelé Dirceu Vianna Junior, Master of Wine, aux oenologues et vignerons venus assister au 9e Lallemand Tour, du 16 au 19 janvier dernier.

Les quatre intervenants qui lui ont succédé ont détaillé devant l'auditoire les moyens dont les vignerons disposent pour répondre à cette attente du marché. Bien sûr, ils doivent protéger leurs vins de l'oxydation pour préserver les arômes et la couleur. Mais, ce dont ils n'avaient peut-être pas tous conscience, c'est que le choix de leurs levures et de leurs bactéries, ainsi que la manière de les mettre en oeuvre sont aussi déterminants.

Levures

Elles dégradent l'acide malique

On fait facilement le lien entre les bactéries lactiques et la baisse de l'acidité des vins. On pense moins souvent aux levures. Tout au plus associons-nous la fermentation alcoolique à une légère augmentation du pH. « Pourtant, les levures jouent un rôle crucial dans la concentration du vin en acide malique, qui est un élément clé dans la perception de la fraîcheur. Certaines souches en dégradent jusqu'à 40 % », a rappelé Anthony Silvano, responsable développement et applications chez Lallemand.

Lallemand a ainsi classé toutes ses souches en fonction de leur consommation d'acide malique. La firme tient ce classement à la disposition de ses distributeurs et de ses clients.

« La conversion de l'acide malique par les levures dépend aussi des conditions dans lesquelles elles sont placées, nuance Anthony Silvano. La concentration initiale du moût en acide malique est le facteur le plus important : plus il y en a, plus la levure en consomme. Dans une moindre mesure, un pH faible et une bonne disponibilité en azote facilitent aussi la chute d'acidité. » Selon lui, cette fermentation, qu'il dénomme « malo-alcoolique »,a un impact aussi important que la fermentation malolactique sur la baisse de l'acidité. En fait, l'acide malique pénètre dans les levures par diffusion, puis leurs enzymes les dégradent en acides succinique, céto-glutarique et acétique, ainsi qu'en éthanal ou en éthanol.

Dans l'immédiat, ces observations doivent être prises en compte par les vignerons qui font des vins sans malo. En effet, ils peuvent réduire la fraîcheur de ces vins en employant des levures démalicantes. En revanche, ceux qui font des vins avec malo sont moins aidés car, pour le moment, on ne sait pas dire si ces vins sont plus vifs après avoir été fermentés par une levure classique ou par une levure démalicante. Leur fraîcheur dépend des métabolites produits par la levure à partir de l'acide malique.

À l'inverse, il semble que certaines souches de levures soient capables de produire de l'acide malique sans que l'on sache encore bien comment. Chez Lallemand, c'est le cas de la souche Ionys WF. Commercialisée depuis 2016, cette levure est le fruit d'une collaboration avec l'Inra de Montpellier. « Cette Saccharomyces cerevisiae fait grimper l'acidité totale de 1 g/l d'H2SO4, au mieux, alors que le pH peut reculer de 0,2 point, a détaillé Jessica Noble, ingénieur de recherches chez Lallemand. En plus, elle fait systématiquement baisser l'acidité volatile. Elle convertit également moins de sucre en éthanol, le transformant en glycérol. » En moyenne, les vins fermentés avec Ionys WF affichent 0,6 % vol. alc. en moins. C'est l'autre atout fraîcheur de cette souche.

Bactéries

Mieux vaut

co-inoculer

La fermentation malolactique arrondit les vins. Mais, une fois qu'elles ont dégradé tout l'acide malique, la plupart des bactéries se tournent vers l'acide citrique et produisent du diacétyle, entraînant de lourdes notes beurrées.

Le vigneron peut employer des bactéries « citrate-négatives », incapables de produire du diacétyle à partir de l'acide citrique. « Mais cela ne garantit pas un vin sans diacétyle, les bactéries pouvant aussi en produire à partir du glucose. Chez Lallemand, nous n'avons donc pas de bactéries citrate-négatives, mais nous avons des souches qui produisent peu de diacétyle, telles que les Lalvin VP41, FML Expertise Viva, ML Prime et Maxiflore Satine. »

Durant la conférence, les experts ont surtout encouragé les vignerons à inoculer leurs moûts en bactéries au bon moment. « Pour éviter les notes beurrées, il faut privilégier la co-inoculation car la fermentation malolactique démarre alors en conditions réductrices durant lesquelles le diacétyle est transformé en molécules inodorantes. Au final, même si la bactérie utilisée est fortement productrice de diacétyle, le vin en contiendra peu », a illustré Anthony Silvano.

Attendre au moins une semaine après la fin de la fermentation malolactique pour sulfiter est également judicieux. « Durant ce temps, les bactéries dégradent l'éthanal qui, en plus d'avoir une odeur de pomme blette, combine les sulfites. »

Anthony Silvano a ponctué son intervention en indiquant que les chercheurs de l'école de viticulture de Changins, en Suisse, venaient de démontrer que certaines souches dégradent les aldéhydes volatils qui donnent des notes végétales aux vins. De quoi porter un nouveau coup à la fraîcheur ?

Des levures remparts à l'oxydation

Les levures inactivées ne régulent pas l'acidité des vins mais permettent de lutter contre leur oxydation. Jean-Michel Salmon, directeur de recherches à l'Inra de Pech Rouge, a ainsi expliqué que lors des opérations préfermentaires, le sulfitage et le froid ne peuvent inhiber complètement les deux enzymes - polyphénoloxydase et lipoxygénase - responsables du brunissement des moûts etde la dégradation des arômes variétaux.

« Et la polyphénoloxydase peut continuer à agir même après la fermentation alcoolique et brunir les vins en bouteille », a-t-il indiqué. En début de fermentation, en plus du SO2 et de l'acide ascorbique, le chercheur préconise l'utilisation de levures inactivées riches en glutathion, telles que Optimum White, Punchy ou Glutarom Extra pour piéger les quinones et éviter ces désagréments. « Lors des transferts de vin, il peut aussi être judicieux de mettre des levures inactivées aptes à piéger l'oxygène dissous, telles que Pure-Lees Longevity, dans la cuve de réception. »

Des thiols dans tous les cépages

Jean-Michel Salmon est catégorique : « On a les moyens de faire produire des thiols aromatiques à tous les cépages. » Des précurseurs de thiols peuvent en effet être produits en forte quantité, même chez des raisins qui n'en renferment pas naturellement, par l'oxydation d'un composé de trituration, l'hexènal, en présence d'hydrogène sulfuré et de glutathion. Ces précurseurs dits « technologiques » sont ensuite transformés en thiols par les levures pendant la fermentation, comme les précurseurs naturellement présents dans les cépages thiolés. « Il y a dix ans, des chercheurs néozélandais s'étaient déjà aperçu que les sauvignons vendangés à la machine étaient plus thiolés que ceux vendangés à la main. C'est parce que les premiers sont davantage triturés et renferment plus d'hexènal. »

Les précurseurs technologiques sont produits dans un court laps de temps, entre le pressurage et le début de la fermentation. « Car, une fois que la fermentation commence, les levures transforment très rapidement l'hexènal en hexanol. Il faut aussi savoir que l'opération ne concerne que la 3MH et l'acétate de 3MH. La 4MMP ne peut pas être produite via ce schéma », détaille le chercheur. Une technique d'enrichissement des vins en thiols, brevetée par l'Inra en France, est actuellement utilisée à très grande échelle en Nouvelle-Zélande.

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