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Magazine - Histoire

Période : XVIIIe siècle Lieu : France L'Encyclopédiefait du vinsans raisin

FLORENCE BAL - La vigne - n°305 - février 2018 - page 68

Au XVIIIe siècle, l'Encyclopédie de Diderot détaille toutes les méthodes en vigueur pour obtenir du vin, y comprisles recettes sans le moindre grain de raisin. Une ombresur le siècle des Lumières !

Ce fut un événement. La première encyclopédie française, l'oeuvre dirigée par Diderot et d'Alembert, publiée de 1751 à 1772, avait l'ambition de compiler toutes les connaissances humaines. Ce condensé de savoir universel ne pouvait passer sous silence cette boisson qui faisait déjà la fierté de la France : le vin.

C'est sous la houlette du chevalier Louis de Jaucourt (1704-1779), médecin et philosophe, que les articles sur la vigne et le vin sont rédigés. On les trouve à différents chapitres de L'Encyclopédie (vin, chimie, diète et médical, agriculture, histoire, etc.). Le chevalier présente toutes les connaissances de l'époque sur le sujet, qu'elles soient techniques ou thérapeutiques. Il rappelle les manières de faire des anciens et décrit nombre de vins selon leur provenance.

Sur le plan technique, l'Encyclopédie détaille tous les moyens d'élaboration et de « sophistication » des vins. « Pour rendre le vin plus fort, le faire fermenter longtemps, c'est-à-dire lentement », conseille-t-il. S'agissant de la clarification, il explique que les deux colles usuelles sont la colle de poisson pour les blancs et le blanc d'oeuf pour les rouges. Il explique comment les mettre en oeuvre.

Autre colle : le « lait écumé ». Louis de Jaucourt souligne qu'elle ne convient pas aux rouges car elle les décolore. Mais « on en fait quelquefois usage pour convertir en vin blanc du vin rouge qui est trop piquant ». Ainsi que pour ôter leur couleur brune aux blancs oxydés.

Il précise les moyens d'améliorer les vins : la concentration par le gel en hiver ou l'ajout de moût concentré par cuisson, juste avant ou durant la fermentation. Autre « remède » « pour raccommoder les vins aigres » ou qui sont « trop faibles et trop aqueux » : l'ajout « d'esprit-de-vin tartarisé », c'est-à-dire d'eau-de-vie additionnée de tartre. Effet garanti !

Enthousiasmé par les progrès de la chimie, le chevalier présente même les procédés pour élaborer du vin à partir de marc, de rafles ou de raisins secs mouillés à l'eau. Il présente les méthodes de coloration licites à son époque : la teinture de tournesol, de baie de sureau, de bois de campêche ou de cochenille.

Pire, il explique comment élaborer du vin artificiel sans aucun grain de raisin ! Il conseille d'utiliser des fruits (groseilles, sureau, mûres, etc.) et des sucs de végétaux (bouleau, érable ou sycomore). Le summum est atteint avec la recette à base de « sucre royal », d'eau, de « levure de bière fraîche » ou « d'écume de vin nouveau ». Cette « liqueur produira de fort bon vin sans couleur et sans odeur ; mais susceptible de prendre l'une ou l'autre, telle qu'on voudra la lui donner », affirme-t-il. Et d'en conclure, inconscient sans doute des ravages potentiels pour le vignoble et les buveurs, que « ces vins pourraient le disputer en bonté aux vins de France, d'Italie et d'Espagne ». Autant de procédés qui seront largement employés durant le siècle suivant, et avant l'instauration de la répression des fraudes. De la sophistication à la tromperie, il n'y a qu'un pas.

Heureusement, le chevalier-médecin s'attarde longuement sur un autre sujet d'importance : les vertus thérapeutiques du vin. Après avoir présenté les vues des médecins de l'Antiquité- Asclépiade, Galien et Hippocrate -, il détaille les vins à prescrire selon les maladies.

« La consistance, la couleur, l'odeur, le goût, l'âge, la sève, le pays, l'année des vins apportent des différences notables », note-t-il. La consistance d'abord : « Le gros vin convient à ceux qui suent facilement, ou qui font un grand exercice. Le vin délicat est propre aux convalescents et à ceux dont les viscères sont embarrassés. Les vins qui ont une agréable odeur, de framboise, [...] réparent plus promptement les forces, contribuent plus efficacement à la digestion. Les vins doux conviennent à ceux qui sont sujets à tousser, ou qui ont des chaleurs de reins ; les vins rudes et austères, fort astringents, resserrent l'estomac et les intestins. »

L'auteur synthétise enfin les bienfaits et les dangers de la boisson. Il affirme que vins donnent de la vigueur, aident à la digestion et réjouissent le cerveau. Il attribue ces effets à « l'esprit » du vin, c'est-à-dire à l'alcool. Mais rappelle aussi les désordres qui frappent ceux qui boivent trop de vin : leur tête s'appesantit, leurs yeux se troublent, leurs jambes chancellent, ils délirent. Et le chevalier de prôner le juste milieu : « Le vin pris avec modération est une boisson très convenable à l'homme fait ».

Bibliographie : L'Encyclopédie, de Diderot et d'Alembert.

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