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LA PLACE DU VIN DANS LA SOCIÉTÉ Macron joue l'apaisement

BERTRAND COLLARD - La vigne - n°306 - mars 2018 - page 6

Le président de la République a clos la polémique née des propos de la ministre de la Santé. La loi Évin ne sera pas durcie. Il invite la filière à participer à la prévention des dangers de la consommation d'alcool.
SALON DE L'AGRICULTURE 2018 le Président déguste du vin en compagnie de Stéphane Travert, ministre de l'Agriculture, et des responsables du Pavillon des vins.  PHOTOS : C. FAIMALI / GFA

SALON DE L'AGRICULTURE 2018 le Président déguste du vin en compagnie de Stéphane Travert, ministre de l'Agriculture, et des responsables du Pavillon des vins. PHOTOS : C. FAIMALI / GFA

MAXIME MICHEL, vigneron du domaine Mas de Valériole (Bouches-du-Rhône), dont la cuvée Cham-Cham a été servie à Emmanuel Macron, avec Coline Branger, sa compagne : « Je lui ai expliqué notre terroir bien particulier à quelques mètres seulement au-dessus du niveau de la mer. J'ai laissé les questions politiques et syndicales à d'autres, mieux qualifiés. »

MAXIME MICHEL, vigneron du domaine Mas de Valériole (Bouches-du-Rhône), dont la cuvée Cham-Cham a été servie à Emmanuel Macron, avec Coline Branger, sa compagne : « Je lui ai expliqué notre terroir bien particulier à quelques mètres seulement au-dessus du niveau de la mer. J'ai laissé les questions politiques et syndicales à d'autres, mieux qualifiés. »

«Il a une pointe salée qui reste, un nez superbe d'agrumes. C'est un très beau vin. » Emmanuel Macron savoure la « pépite » que le sommelier Étienne Laporte lui fait goûter : la cuvée Cham-Cham du Mas de Valériole, un assemblage de vermentino et de chardonnay issu des meilleures parcelles de cette propriété d'Arles (Bouches-du-Rhône).

Le président de la République apprécie également que ce vin lui soit présenté par le fils du producteur, Maxime Michel, qui vient tout juste de rejoindre son père et son oncle sur l'exploitation. Le jeune oenologue de 27 ans vient de lui expliquer la particularité de son terroir camarguais, à savoir qu'il est salé car situé seulement à deux ou trois mètres au-dessus du niveau de la mer. Il lui a aussi décrit l'élevage des vins, mais n'a pas abordé de questions syndicales ou politiques. « Je laisse ça à d'autres, mieux qualifiés que moi », nous a-t-il expliqué.

Ces questions politiques et syndicales, Emmanuel Macron venait de les aborder avec les deux leaders de la filière - Jean-Marie Barillère, président du Cniv, et Jérôme Despey, président du conseil des vins de FranceAgriMer - mais à l'abri du regard de la presse, à l'intérieur de l'espace privatif du Pavillon des vins du Salon de l'agriculture. Le président de la République y est resté entre 16 h 45 et 17 h 05 lors de sa visite du salon, samedi 24 février.

Les deux responsables professionnels sont sortis ravis de ces vingt minutes de discussion. « Nous n'avons pas perçu une ombre de désaccord entre ce que nous avons mis dans notre plan de filière et ce que le Président nous a déclaré. »

S'agissant de la politique de santé publique : « Il nous a redit qu'il n'était pas question de stigmatiser le secteur viticole, affirme Jérôme Despey. Il veut lutter contre la consommation excessive qui cause des ravages au sein de la jeunesse. Il souhaite que la filière viticole soit une force de proposition sur la prévention. »

Les responsables professionnels ont bu ces paroles. Emmanuel Macron avait en effet déminé le sujet quelques jours avant le Salon de l'agriculture. Le 22 février, alors qu'il recevait une centaine de jeunes agriculteurs à l'Élysée, le Président a déclaré : « Je bois du vin le midi et le soir. Je crois beaucoup à la formule de Georges Pompidou : "N'emmerdez pas les Français". Tant que je serai président, il n'y aura pas d'amendement pour durcir la loi Évin. » Un soulagement pour la filière !

D'autant plus qu'une semaine plus tôt, à l'Assemblée nationale, le Premier ministre y était déjà allé de sa musique apaisante. Devant les députés, il avait rappelé « l'importance de ce qu'est le vin, la culture de la vigne, l'attachement des Français à ce produit. Nous pouvons dire sans conteste qu'il occupe une place particulière dans l'imaginaire et la culture française ».

Tout cela pour éteindre le feu allumé début février par Agnès Buzyn sur France 2. « Le vrai message de santé publique serait : l'alcool est mauvais », a déclaré la ministre de la Santé lors d'une émission sur l'alcoolisme où le « french paradox » a été tourné en « fake news ». Des mots qui ont heurté la filière et ravivé les interrogations sur les intentions des pouvoirs publics en matière de prévention de l'alcoolisme. Voulaient-ils « dénormaliser » la consommation de vin ? Durcir la mention sanitaire sur les publicités ? Il a fallu les efforts des deux têtes du gouvernement pour convaincre tout le monde que rien de tout cela n'était au programme de l'actuel gouvernement.

Autre sujet discuté au Salon de l'agriculture : la transition écologique. « Nous avons dit à Emmanuel Macron que cela entraînerait un coût supplémentaire et qu'à l'heure actuelle nous ne pouvons pas nous passer de fongicides, a indiqué Jean-Marie Barillère. Nous avons expliqué qu'il fallait avancer sur les cépages résistants. Il nous a répondu qu'il comptait sur nous pour aller vite et nous a assuré qu'il serait pragmatique sur les impasses techniques ou économiques. »

Pour engager la filière dans cette transition, les deux responsables ont posé des conditions qu'ils avaient présentées à la presse à la veille du salon. « Les champagnes à 7 euros et les bordeaux à 1 euro, ce n'est plus acceptable, s'est emporté Jean-Marie Barillère. Il faut arrêter cette destruction de valeur. Nous espérons que le gouvernement ira jusqu'au bout dans l'encadrement des promotions en grande distribution. »

« Emmanuel Macron a annoncé un plan d'investissement de 5 milliards d'euros en cinq ans dans l'agriculture. La filière viticole souhaite sa part pour investir dans la viticulture durable », a ajouté Jérôme Despey.

À l'occasion du salon, ils ont rappelé ces exigences, mais sans entrer dans le détail : pas question, par exemple, de parler du glyphosate et de ses règles d'utilisation ou de la part des 5 milliards d'euros qui reviendra à la viticulture. « Nous verrons cela avec le ministre de l'Agriculture. Avec le président de la République, il s'agissait de faire le point sur les grandes orientations », a précisé Jean-Marie Barillère.

Un point qui s'est fait autour d'un verre de champagne Louis Roederer brut premier, choisi par Étienne Laporte pour illustrer l'esprit et la noblesse de la viticulture. « J'ai expliqué au Président que c'est un champagne d'équilibre, mais que l'équilibre pour nous ne résulte pas de deux forces qui s'annulent, mais de deux forces qui se complètent. Ce champagne est vineux, élégant, complexe et subtil », a relaté le sommelier. Une variante du fameux « en même temps », cher à Emmanuel Macron.

C'est donc l'air ravi qu'il est sorti de l'espace privatif du Pavillon des vins pour se rendre, à sa demande, derrière le bar du pavillon où le public est venu apprendre à déguster. Maxime Michel l'attendait là depuis près de deux heures pour lui présenter son vin. Rapidement, Emmanuel Macron a pris un verre. Après avoir écouté le vigneron, les photographes l'ont mitraillé savourant la cuvée Cham-Cham, puis le Moulin-à-Vent du château des Jacques. Pendant que Stéphane Travert décodait la mise en scène : « Nous sommes là pour valoriser une production qui fait la richesse de notre balance commerciale. »

Glyphosate Deux discours ?

S'agissant du glyphosate, Emmanuel Macron a été très ferme quand il a été sifflé par des agriculteurs lors de sa visite du Salon de l'agriculture, laissant entendre qu'il aurait à répondre de ses actes s'il ne prenait pas de mesure ferme. En coulisses, les propos ont été plus nuancés, y compris ceux de Nicolas Hulot. Lors de sa rencontre avec la FNSEA, le 27 février, le ministre de l'Environnement « s'est montré à l'écoute, affirme Jérôme Despey, de FranceAgriMer. Il nous a confirmé qu'il n'y aurait pas de décision déconnectée de l'économie, qu'il faut avancer et trouver des alternatives. » Le gouvernement doit présenter son plan de réduction des pesticides fin mars. C'est là qu'il précisera ses intentions.

Un plan de transformation très ambitieux

Remis fin janvier à Stéphane Travert et présenté à tous les hommes politiques au Salon de l'agriculture, le plan de la filière vin s'avère très ambitieux. Ce document, rédigé à l'issue des états généraux de l'alimentation et signé par Jérôme Despey et Jean-Marie Barillère, comprend une longue liste d'engagements. Les plus contraignants se trouvent au chapitre des phytos : réduire de 50 % leur usage d'ici à 2025, renouveler les deux tiers du parc des pulvés en cinq ans, baisser drastiquement le désherbage chimique en trois ans (sauf vignes étroites et en pente)... Pour concrétiser ces ambitions, la filière demande des aides à l'investissement et l'assurance que la hausse des coûts de production ne sera pas supportée par les vignerons. Le plan comprend divers autres engagements vis-à-vis des salariés de la viticulture et des consommateurs. Dès fin 2018, ces derniers seront informés des caractéristiques nutritionnelles des vins par Internet. La filière se dit aussi prête à rediscuter avec le ministère de Santé de la taille du logo « femmes enceintes ». Enfin, elle réclame des dispositions pour permettre aux exploitations de mieux résister aux aléas climatiques.

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