La disparition de l'arsénite de soude a relancé l'Escudo, seul produit autorisé pour la protection des plaies de taille contre l'esca et l'eutypiose. Les rares vignerons qui l'utilisent constatent son efficacité après de longues années. Ils estiment que son application prend un quart à un tiers du temps de taille.
Depuis l'interdiction de l'arsénite de soude, la lutte contre l'esca et l'eutypiose se borne à la prophylaxie et la protection des plaies de taille. L'Escudo, de la firme DuPont, association de flusilazole et de carbendazime, est autorisé pour cet usage. Ce produit se met immédiatement après la taille sur toutes les plaies et sur toute la surface des plaies. Il peut s'appliquer, au choix, avec un pinceau, un tampon applicateur, un sécateur pneumatique muni d'un pulvérisateur, ou avec un pistolet traitant. Mais peu de vignerons l'utilisent.
Selon la firme, un peu moins de 10 000 ha sont traités avec l'Escudo, même si, depuis l'interdiction de l'arsénite, les ventes ont progressé de 30 %. Les raisons ? Pour beaucoup, le badigeonnage des plaies de taille reste une opération contraignante, qui demande du temps, donc de l'argent. D'autres doutent de son efficacité. Alors, appliquer l'Escudo en vaut-il la peine ? Oui, selon Pascal Lecomte, chercheur à l'Inra de Bordeaux : ' L'Escudo est certainement le meilleur produit au monde en protection des plaies de taille, bien que je préfère les mastics qui font une barrière physique, précise-t-il. Il a un effet préventif en empêchant les contaminations. Il est efficace au moins pendant trois semaines, voire quarante-cinq jours après la taille. Je pense qu'il doit avoir aussi un effet curatif pendant deux à trois jours, même si cet effet n'a jamais été revendiqué. Il est vrai que l'application est fastidieuse et chère, d'où sa mise en oeuvre par les exploitations qui ont de la main-d'oeuvre à l'année. C'est une question de facilité économique, de taille d'exploitation qui fait que la technique est employée ou pas. ' Un essai du BNIC (Bureau national interprofessionnel du 5Cognac), mis en place au début des années 90, confirme la bonne efficacité de l'Escudo pour lutter contre l'eutypiose. Le taux moyen de ceps eutypiés était de 7 % dans le témoin, contre 1,5 % dans la partie traitée à l'aide du fongicide.
Vincent Pinard, vigneron à Bué (Cher), fait partie des utilisateurs d'Escudo. Depuis huit ans, il en applique sur 90 % des 15,5 ha que compte son exploitation. ' Dès que je donne un coup de sécateur, je l'applique. Je le fais en même temps, pour ne pas oublier de plaie. J'utilise un tampon, mais j'ai supprimé la bille pour gagner du temps, sans que cela joue au niveau de la consommation de produit. L'opération est un peu pénible, car j'ai le sécateur dans la main droite et le tampon dans la main gauche. Pour les plaies qui se trouvent de l'autre côté du cep, il faut faire un effort en plus, au niveau du dos, pour les atteindre. Cette application me prend 25 % du temps de taille, sachant qu'en enlevant la bille, j'ai économisé 7 à 8 % de temps. Pour ce qui est de l'efficacité, il est encore un peu tôt pour la juger. Il faut être patient, ce n'est pas au bout de deux à trois ans d'utilisation qu'on peut mesurer l'efficacité. Ce qui est sûr, c'est qu'en 2003, sur une parcelle de 17 ares de sauvignon greffée sur Fercal, plantée en 1994 et traitée à l'Escudo, je n'ai constaté qu'un seul pied avec de l'eutypiose ', témoigne-t-il.
Claude Daheuiller, vigneron à Varrains (Maine-et-Loire), applique de l'Escudo pour la deuxième année consécutive. Il ne le fait que sur ses plantiers, notamment sur une parcelle de 70 ares de cabernet-sauvignon, cépage très sensible à l'eutypiose. ' Je vais renouveler le traitement tous les ans. Comme c'est fastidieux, je n'ai pas le temps de le faire sur les vieilles vignes. J'applique le produit au pinceau juste avant de quitter le chantier. Il faut compter un tiers de temps, en plus de la taille, soit environ 15 h/ha. Le prix de la matière première est insignifiant, c'est la main-d'oeuvre qui coûte cher ', commente-t-il.
Au château Lagrange, à Saint-Julien (Gironde), Bruno Eynard, responsable technique, explique que l'Escudo est utilisé depuis qu'il est homologué.
' Nous l'appliquons sur les cabernets-sauvignons, soit sur 85 ha des 115 ha de vignes de l'exploitation. Nous le faisons quel que soit le coût, pour une question de pérennité du vignoble. Notre objectif est d'avoir des cabernets-sauvignons qui dépassent 35 ans. Il faut des vieilles vignes pour produire de grands vins. Ce sont les vigneronnes qui, en fin de journée, appliquent l'Escudo. Elles y passent deux heures et traitent ainsi chacune 800 à 900 pieds par jour. Même si des plaies de taille sont oubliées, elles ne seront pas forcément contaminées. Nous n'avons pas de témoin, mais il y a deux ou trois ans, nous avons effectué des comptages. Nous avions des taux d'attaque d'eutypiose plus faibles que d'autres propriétés, qui n'appliquent pas l'Escudo ', constate-t-il.
Tous ces témoignages montrent que l'opération de protection des plaies de taille est contraignante et demande du temps. De plus, les résultats ne sont visibles qu'à long terme. De quoi décourager de nombreux vignerons. Pour pallier cet inconvénient, DuPont a testé, en collaboration avec l'Inra de Bordeaux, plusieurs produits permettant des applications en plein à l'aide de panneaux récupérateurs. La firme travaille aussi à la mise au point d'un tampon applicateur plus résistant qui pourrait s'adapter à tous les sécateurs, et qui permettrait de tailler et d'appliquer l'Escudo en même temps.