dossier - Méthodes alternatives

Bacillus thuringiensis, alternatif et d'alternance

Jean Duchon-Doris* et Pascal Armengaud* - Phytoma - n°624 - septembre 2009 - page 26

Point sur ses usages agricoles, détails sur vigne, pommier, pomme de terre, artichaut et tomate
 ph. Philagro

ph. Philagro

Chenille de noctuelle Autographa gamma, une des nombreuses cibles du Bt, sur artichaut.

Chenille de noctuelle Autographa gamma, une des nombreuses cibles du Bt, sur artichaut.

Chenille de carpocapse des pommes et des poires avec les dégâts qu'elle a occasionnés. Contre ce ravageur, le Bt se montre d'une efficacité comparable à celle de la Carpovirusine dans les secteurs où celle-ci n'est pas en butte à des résistances. Intéressant pour pratiquer l'alternance en agriculture biologique, mais aussi en protection intégrée chez les « conventionnels ». ph. Philagro

Chenille de carpocapse des pommes et des poires avec les dégâts qu'elle a occasionnés. Contre ce ravageur, le Bt se montre d'une efficacité comparable à celle de la Carpovirusine dans les secteurs où celle-ci n'est pas en butte à des résistances. Intéressant pour pratiquer l'alternance en agriculture biologique, mais aussi en protection intégrée chez les « conventionnels ». ph. Philagro

Le Bacillus thuringiensis, en abrégé Bt, est le premier bio-insecticide mondial. Treize souches différentes, appartenant à trois de ses sous-espèces, sont utilisées pour la protection des plantes. Chacune vise un groupe d'insectes précis sans nuire aux autres animaux ni aux plantes. Cette sélectivité (on dit aussi « innocuité vis-à-vis des organismes non cibles ») est une des raisons du succès du Bt. Tout comme l'origine naturelle de la substance, elle est un atout face aux préoccupations écologistes, notamment en France dans le cadre du Grenelle de l'Environnement et d'Ecophyto 2018. Mais pour qu'un produit ait du succès, il faut aussi qu'il soit efficace ! Voici quelques rappels sur cette substance autorisée en France sur près de 30 cultures, et des résultats sur vigne, pommier, pomme de terre, tomate et artichaut.

Le Bacillus thuringiensis (Bt) est l'insecticide biologique le plus utilisé dans le monde. Il représente en effet à lui seul 90 % du marché mondial des biopesticides.

Trois de ses sous-espèces, comprenant 13 souches différentes, sont largement employées en agriculture pour protéger les végétaux. Utilisées contre de nombreux ravageurs, elles sont contenues dans un grand nombre de spécialités.

Les solutions à base de Bt constituent des alternatives appelées à une utilisation croissante dans la perspective du développement des modes de production raisonnée et d'une réduction significative du nombre des molécules insecticides disponibles pour la protection des cultures.

L'un des atouts du Bt pour la protection raisonnée et intégrée est son activité très spécifique : chaque souche cible précisément quelques espèces d'insectes.

Rappels sur le mode d'action du B. thuringiensis

Cette spécificité du Bt est liée à son mode d'action. Celui-ci a été explicité dans Phytoma en mars 2008(1). Rappelons quelques points essentiels à partir de l'exemple du Btk, autrement dit le Bacillus thuringiensis var. kurstaki. Ils expliquent sa double spécificité.

Le Btk est une bactérie naturelle sélectionnée et développée par fermentation. Les formulations insecticides à base de Btk telles que DiPel et Foray se composent de spores contenant des cristaux protéiques, mais aussi de cristaux protéiques « libres ».

Après avoir été ingérés par la chenille, les spores et cristaux sont dissous dans l'intestin et libèrent des protoxines. Celles-ci, sous l'action des protéases intestinales, sont transformées en toxines, précisément « delta-endotoxines », qui se fixent sur des récepteurs spécifiques de la paroi intestinale de l'insecte.

Première spécificité : les protoxines ne deviennent toxines que dans les conditions de milieu intestinal particulières aux larves de lépidoptères. Seconde spécificité : chaque liaison toxinerécepteur membranaire est spécifique.

Cette double spécificité explique l'innocuité du Btk vis-à-vis de l'homme, des animaux domestiques, des poissons, des crustacés, des abeilles et de la flore. Ceci en fait un partenaire privilégié des programmes de protection phytosanitaire préservant l'environnement.

Les différentes souches

Les 13 souches de Bt principalement utilisées en agriculture ont été sélectionnées en fonction de leur activité spécifique sur chenilles de lépidoptères (Btk et B. thuringiensis var. aizawaï ou Bta), larves de coléoptères (B. thuringiensis var. tenebrionis ou Btt ) (Tableau 1). Chaque souche est caractérisée par une composition différente en toxines, variations qui expliquent des activités différenciées en fonction des ravageurs. Les toxines des Bt kurstaki, Bt aizawaï et Bt tenebrionis sont listées tableau 2. Chez les insectes sensibles, ces différentes souches touchent des sites d'action différents (Figure 1).

De ce fait l'utilisation en alternance de Btk (par exemple Dipel DF) et de Bta (Xentari) contre les lépidoptères est une stratégie efficace de prévention d'apparition des résistances.

Usages autorisés en agriculture

Les Bt sont utilisés pour de nombreux usages. Le tableau 3 reprend ceux autorisés en France avec les cultures concernées en arboriculture fruitière, cultures légumières et maraîchères ainsi qu'en grandes cultures, contre de nombreux ravageurs appartenant à la famille des lépidoptères ou coléoptères, en fonction de la souche de Bt.

Efficacité des Bt en eux-mêmes

De très nombreuses expérimentations ont permis de démontrer l'efficacité de B. thuringiensis contre ces différents ravageurs. Les figures 2 à 7 en donnent quelques exemples.

Les figures 2 et 3 montrent les résultats contre la noctuelle de la tomate Helicoverpa armigera du Btk et du Bta respectivement : on voit que l'efficacité de ces deux bio-insecticides est largement du niveau de celle des insecticides chimiques de référence.

La figure 4 rapporte l'action du Btk contre la noctuelle gamma Autographa gamma sur artichaut, là encore d'un excellent niveau.

La figure 5 montre que l'efficacité du Bta contre l'eudémis de la vigne est d'un niveau comparable à celui des références chimiques (intermédiaire entre les deux), mais aussi l'intérêt d'une double application.

La figure 6 montre une efficacité du Btk comparable à celle de la Carpovirusine. Et ceci face à des populations de carpocapse des pommes sensibles à cet autre bio-insecticide. Elle montre aussi que l'on peut adjoindre au Btk un adjuvant adapté.

Enfin, la figure 7 détaille les efficacités du Btt à deux doses sur doryphore de la pomme de terre. On voit que, comparé à la référence chimique, le Btt a moins d'action de choc (pour les deux premiers traitements), mais une efficacité à terme comparable voire meilleure.

Un outil d'alternance

Si la performance des Bt utilisés seuls offre un grand intérêt contre les lépidoptères ou les coléoptères, ils sont le plus souvent mis en œuvre dans le cadre de programmes en séquences avec d'autres insecticides possédant des spectres d'activité différents.

Ainsi les enquêtes réalisées sur les utilisations de Bt en vigne indiquent leur intégration dans des programmes très variés (Tableau 4).

Les Bt, dont l'activité est spécifique, sont utilisés pour lutter contre la cible principale, ici les vers de la grappe. Les autres insecticides mis en œuvre visent les autres ravageurs de la culture.

Sur vigne ou cultures maraîchères, l'alternance Dipel (Btk)-Xentari (Bta) s'avère particulièrement intéressante pour éviter l'apparition de résistance. Cette stratégie a également démontré sa pertinence sur cotonnier dans d'autres régions du monde.

Contre le carpocapse des pommes, un programme sur deux ans alternant insecticides chimiques, Carpovirusine et Bt, ce dernier étant positionné le plus près de la récolte, représente également une alternative intéressante pour limiter l'apparition ou le développement de résistances.

Conclusion

Les insecticides biologiques à base de B. thuringiensis sont dotés d'une efficacité souvent équivalente, parfois supérieure à celle des insecticides conventionnels contre de nombreux ravageurs des cultures, lépidoptères et coléoptères notamment.

Plusieurs spécialités sont utilisables en grandes cultures (maïs), en vigne et sur de nombreuses productions fruitières, légumières et maraîchères, industrielles, ornementales... Elles ont largement démontré leur intérêt technique et économique lorsqu'elles sont mises en œuvre dans le cadre de programmes de lutte contre les ravageurs.

Elles constituent des moyens alternatifs efficaces pour la protection des cultures et la gestion des résistances et des résidus dans les récoltes.

<p>* Philagro.</p> <p>(1) Phytoma n° 613, mars 2008, p. 10 à 13.</p> <p>Légende photo, en médaillon : larves de doryphore sur plants de pomme de terre.</p>

Figure 1 -

Sites d'action sur les divers insectes sensibles.

Figure 2 -

Efficacité du Btk (Dipel DF) contre la noctuelle Helicoverpa armigera sur tomate. 3 essais entre 1999 et 2002. Pas de différence significative entre les deux modalités.

Figure 3 -

Efficacité du Bta (Xentari) contre la noctuelle Helicoverpa armigera sur tomate. 1 essai en 1998 (dépt 66). Aucune différence significative entre modalités à chaque notation.

Figure 4 -

Efficacité du Btk (Dipel DF) contre la noctuelle Autographa gamma sur artichaut. 1 essai en 2002 (C.A. 29). Pas de différence significative entre les trois modalités.

Figure 5 -

Essai d'efficacité du Bta (XenTari) contre l'eudémis de la vigne. 1 essai en 2004, sur Gamay (Côte-du-Rhône).

Le Bt n'est pas qu'agricole

Les nombres d'espèces et de souches de Bt utilisées en usages non agricoles est encore plus important qu'en agriculture.

En particulier, des Btk sont utilisés en forêt (contre les processionnaires du pin et du chêne, le bombyx disparate, etc.) Il s'agit d'usages à la limite de la protection des plantes et de la santé publique : par exemple les chenilles processionnaires nuisent aux arbres, mais sont également très allergisantes pour le public dans les forêts qu'il fréquente.

De même des Bti (B. thuringiensis var israelensis) sont appliqués en milieux humides contre les larves de diptères (moustiques, simulies) responsables d'importantes nuisances et souvent vecteurs de graves maladies (malaria, onchocercose, dengue...)

Là, on n'est plus du tout dans le domaine de la protection des plantes mais bien dans celui de la santé publique.

Figure 6 -

Essai d'efficacité du Btk (Dipel DF) contre le carpocapse des pommes 1 essai en 2008. Pas de différence significative entre les 3 modalités.

Figure 7 -

Efficacité du Btt (Novodor FC) à deux doses et comparaison avec référence chimique, contre le doryphore de la pomme de terre.

Résumé

Cet article évoque les utilisations en agriculture du Bacillus thuringiensis, principal bio-insecticide utilisé dans le monde et en France. Après avoir rappelé les spécificités de cette substance naturelle, liées à son mode d'action, il cite les trois sous-espèces de Bt utilisées en protection des plantes.

Il liste les usages phytosanitaires agricoles (couvrant davantage de cultures) pour lesquels des produits à base de Bt sont autorisés en France. Il donne ensuite des résultats chiffrés sur l'efficacité contre le carpocapse des pommes, l'eudémis de la vigne, le doryphore de la pomme de terre et des noctuelles sur tomate et artichaut. Enfin, il signale l'intérêt du Bt comme outil complémentaire à d'autres insecticides biologiques ou chimiques, à utiliser en alternance dans le cadre de la protection raisonnée ou intégrée face aux risques de résistances des ravageurs.

Mots-clés : produits alternatifs, biopesticides, bio-insecticides, Bacillus thuringiensis, B. thuringiensis var. kurstaki, B. thuringiensis var. azawaï, B. thuringiensis var. tenebrionis, agriculture, vigne, pommier, pomme de terre, tomate, artichaut, alternance.

En savoir plus

Les trois domaines du Bacillus thuringiensis, par Jean-Marc Férez, Jean Duchon-Doris et Marianne Decoin

Phytoma n° 613, mars 2009, p. 10 à 13.

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