Cette méthode alternative de lutte contre le carpocapse continue à se développer

« Alt'Carpo, une alternative qui dit halte au carpo », tel était le titre initial de cet article. Nous(1) l'avons jugé trop publicitaire, bien que ses auteurs ne soient ni fabricants ni distributeurs ni même installateurs des filets utilisés... Ils n'ont même pas déposé de marque(2) à ce sujet ! Cette formulation était l'écho de leur enthousiasme pour cette méthode alternative de protection des vergers contre le carpocapse des pommes et des poires Cydia pomonella. Ils estiment la technique très efficace dans leur secteur provençal où le « carpo » est particulièrement nuisible. D'où vient cette opinion ? D'abord de travaux réalisés de 2005 à 2007 et rapportés dans Phytoma en 2007 puis 2008. Puis des travaux de 2008 évoqués ici.

Élaboré en 2005 par la Chambre d'agriculture du Vaucluse et le Grab (Groupe de recherche en agriculture biologique), le concept Alt'Carpo a été validé expérimentalement en 2006 sur dix vergers menés en agriculture biologique. En 2007, une trentaine d'hectares de vergers commerciaux ont été ainsi protégés dans le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône. La surface a été multipliée par quatre en 2008.

La technique se décline en deux configurations : soit chaque rangée de pommiers est enveloppée une à une et on parle de Alt'Carpo mono-rang ; soit le verger est englobé dans son intégralité et on parle de mono-parcelle.

Les travaux réalisées depuis 2005(3) ont montré que le mode d'action d'Alt'Carpo ne se limite pas à celui d'une barrière physique autour du végétal : l'environnement ainsi créé perturbe les accouplements de carpocapses.

48 vergers suivis en 2008, dont les 16 de 2007

En 2008, nous avons suivi un échantillon de 48 parcelles protégées par Alt'Carpo. Quatre vergers étaient en système mono-parcelle et 44 en mono-rang, dont 40 ont servi au réseau mono-rang, les autres à l'essai maille ou à l'observation d'une pose de filet très tardive. 25 de ces vergers étaient conduits en « agriculture biologique » (AB) et 23 en « production fruitière intégrée » (PFI). Ils n'ont été ni traités contre le carpocapse, ni « confusés », Alt'Carpo étant l'unique moyen de protection.

Quinze des vergers en mono-rang et une mono parcelle avaient déjà été suivis en 2007.

Les filets ont été installés en majorité sur des variétés tardives exposées aux 3 générations de carpocapse : Juliet®, Pink Lady®, Goldrush®, Chantecler®, Granny... On retrouve néanmoins des variétés précoces type Gala et Elstar et de saison telles Golden ou Reinette.

Excepté quelques nouveaux vergers équipés en retard, la grande majorité des poses ou descentes de filets a été faite la dernière décade d'avril, juste au début des pontes du carpocapse.

Influence de la date de pose

L'étude de 2007 montrait une relation entre la date de fermeture et les dégâts possibles en fin de 1re génération. Les observations réalisées en 2008 sur 3 essais de fermeture tardive confirment ces résultats. On a bien corrélation entre la date de pose et la présence de piqûres.

En fin de première génération, toutes ces piqûres sont « sèches » : il n'y a plus de nouvelle perforation. Il s'agit bien de larves issues de pontes antérieures à la mise en place du filet. À la récolte, on ne retrouve pas de dégât hormis ces quelques piqûres anciennes liées aux fermetures tardives. Cela suggère que naturellement, il est préférable de fermer la protection avant les premières pontes de première génération. Mais qu'une fermeture tardive limitera les dégâts en empêchant de nouvelles piqûres.

Comparaison des types de maille au laboratoire

Nous avons conduit un essai en laboratoire pour évaluer la capacité des papillons de carpocapse à traverser le filet en fonction du type de maille. Cette étude a été réalisée à partir de larves diapausantes prélevées en vergers afin de travailler sur une population « sauvage » et non d'élevage.

Sur un effectif de 55 papillons issus de ces larves, 47 % ont pu, en situation forcée, traverser la maille anti-grêle alors qu'aucun d'entre eux n'est parvenu à franchir la maille 4 x 4 (2,2 mm x 5,4 mm). Ce pourcentage peut paraître élevé, mais il s'agit d'une situation artificielle où le papillon n'a d'autre choix qu'essayer de passer à travers le filet pour survivre, alors qu'en verger le contexte est totalement différent.

Comparaison au verger

En effet, en 2007, une comparaison de deux types de maille de filet avait été réalisée sur un verger de Granny Smith qui présentait, avant d'être équipé d'une protection Alt'Carpo, 40 % de dégâts de carpocapse, et ce malgré une protection chimique soutenue.

Les résultats montraient que dans une situation difficile (fort inoculum, arbres comprimés par le filet, alternance de récolte, environnement à risque), la maille paragrêle éprouvait des difficultés à contenir parfaitement la situation (2,1 % de dégâts à la récolte) tandis que le filet de maille 4 x 4 était pleinement efficace.

Cet essai a été poursuivi en 2008. Les résultats des comptages à la récolte sont de 4,7 % de fruits piqués sous filet paragrêle contre 0 % sous filet de maille 4 x 4. (Figure 1).

Ainsi, en mono-rang, il faut choisir impérativement la maille 4 x 4.

Mais en mono-parcelle, on utilise souvent, par souci d'économie, du filet anti-grêle sur la partie horizontale (souvent un filet pré-existant). Dans ce cas, sur la partie verticale en périmètre, il est indispensable d'utiliser la maille 4 x 4. Certes dans l'absolu, en mono-parcelle, il vaudrait mieux équiper également la partie horizontale avec de la maille 4 x 4 pour se prémunir de toute entrée. Le recours à une maille anti-grêle est un compromis économique. Il exige d'être vigilant et de faire des contrôles réguliers.

Résultats 2008 en système mono-rang

À la récolte, lors des observations effectuées, 36 des 40 vergers n'ont pas présenté la moindre piqûre de carpocapse (Figure 2). Le moins bon résultat obtenu provient d'une parcelle conduite en AB nouvellement couverte, avec un historique catastrophique (95 % de dégâts sur les récoltes précédentes, arbres très vieux et volumineux et système posé directement sur les arbres sans palissage ni écarteur). Il est de 1,2 % à la récolte avec des dégâts localisés sur les fruits touchant le filet, phénomène déjà constaté en 2007.

Depuis 2006, les dégâts moyens à la récolte sur l'ensemble des vergers suivis sont toujours du même niveau : entre 5 et 6 pour 10 000.

4 mono-parcelles

En 2007, nous avions débuté un test d'Alt'Carpo système mono-parcelle sur un verger de Juliet. Le test a consisté à fermer toute la parcelle et pas rang par rang. Il s'est effectué dans le cadre du programme d'expérimentation de la station La Pugère, en partenariat avec la société Filpack et Frédéric Jean, producteur de Juliet.

En 2008, l'action a été poursuivie. Trois autres vergers ont également été fermés en Alt'Carpo mono-parcelle (Juliet, Pink Lady et Chantecler) après avoir reçu un traitement relais avant le montage du filet. Les quatre vergers ont été suivis toute la saison, n'ont subi aucune intervention d'insecticide après la pose du filet et n'étaient pas en confusion sexuelle.

Les résultats obtenus en 2007 étaient excellents : aucune pomme piquée observée dans le verger Alt'Carpo mono-parcelle (comme dans la parcelle mono-rang mise en comparaison). Pourtant ce verger présentait plus de 10 % de piqûres l'année antérieure. En revanche la parcelle en confusion sexuelle qui servait de témoin présentait 1,7 % de dégâts à la récolte. En mono-parcelle, on n'avait pas eu seulement un effet sur les contaminations extérieures. Des pièges attractifs de type « combo » avaient été placés dans les 3 parcelles et les seules captures avaient été enregistrées en verger confusé. Comme en mono-rang, il semble que les conditions de la mono-parcelle perturbent également les accouplements des papillons.

En 2008, les comptages montrent l'absence de piqûres dans 3 des 4 vergers. Le 4e a présenté 2 piqûres à la récolte : une sèche pour laquelle il est impossible de définir la période pendant laquelle a eu lieu cette perforation, et une piqûre avec une larve active.

Cette larve vivante a été trouvée en fin de saison. Cela suggère que certaines femelles de carpocapse déjà fécondées peuvent traverser la maille du filet anti-grêle équipant la partie horizontale, pour venir pondre dans le végétal. En effet, si une population s'était développée sous la structure on aurait vu des piqûres et des larves vivantes bien plus tôt en saison.

Dans le Sud-Ouest, sur des essais Alt'Carpo en mono-parcelles du Cefel de Montauban, on a observé des attaques tardives significatives essentiellement de tordeuse orientale mais aussi de carpocapse. Là aussi, elles correspondent à des intrusions et non au développement de populations locales. Sur ces parcelles, la partie verticale en périmètre était fermée avec un filet à maille anti-grêle. Le fait d'utiliser en périphérie une maille plus petite (2,2 mm x 5,4 mm) devrait permettre de limiter ces intrusions qui ne pourront se faire que par la partie horizontale couverte avec du filet paragrêle.

Comparaison avec une stratégie insecticide biologique

On a mené en 2008 un test sur 6 vergers conduits en agriculture biologique afin d'en comparer trois protégés uniquement par Alt'Carpo mono-rang à trois autres protégés par des insecticides autorisés en AB. Ces six vergers bio de Golden sont situés à proximité les uns des autres sur la même commune d'une zone à très forte pression carpocapse et où la résistance au virus de la granulose a été observée.

Sur toute la saison, les dégâts sous le système Alt'Carpo ont toujours été nettement inférieurs à ceux observés dans les vergers protégés classiquement. à la récolte, les dégâts sous filets étaient en moyenne de 0,5 % contre 11,7 % dans les vergers à stratégie insecticide bio (Figure 3).

Effets secondaires

Après trois années d'observation à grande échelle, nous pouvons témoigner des incidences du filet Alt'Carpo sur divers ravageurs, maladies et auxiliaires. Il peut s'agir d'effet direct du filet ou d'effet indirect lié à l'absence d'insecticide qui favorise la régulation naturelle.

Dans les situations à risques, nous avons constaté l'absence de piqûre par la tordeuse orientale sous nos filets à maille 4 x 4, alors que des piqûres étaient visibles sur des vergers voisins non couverts.

Pour la zeuzère, même si une observation fine est rendue très difficile par le cycle biologique de 2 à 3 ans de ce lépidoptère, nous avons constaté très peu de dégâts sous les filets.

Ces derniers protègent également des attaques de sésie (photo).

En revanche, des dégâts de mineuses des feuilles ont été vus sous filets. Contre ce papillon plus petit (7 à 15 mm) que le carpocapse (20 mm), le filet à maille 4 x 4 n'a pas ou manque d'efficacité.

La mouche méditerranéenne des fruits (cératite), nuisible sur variétés très tardives, a fait l'objet en 2008 d'une observation particulière avec un réseau de piégeage sous et hors filet. On n'a capturé aucune mouche sous protection Alt'Carpo ni mono-rang ni mono-parcelle. Certains pièges hors filet ont fait des captures mais, les populations de ceratite étant faibles en 2008, il faudra poursuivre ces observations.

Le puceron lanigère est présent sous filet autant que hors filet, surtout depuis deux ans où il est en recrudescence. Mais les pucerons sont majoritairement parasités et le problème, impressionnant en début de campagne, s'estompe assez vite et s'autorégule naturellement.

Autre effet indirect, nous n'avons pas observé d'acariens phytophages. Ils sont probablement régulés très tôt en saison par divers auxiliaires en l'absence de traitement insecticide. De même avec le pou de san José : ses populations restent présentes mais à un niveau faible.

Vis-à-vis des oiseaux, un essai de 2006 sur une parcelle sensible (variété tardive Juliet) avait montré 10,9 % de fruits attaqués hors filet contre 0,2 % sous filet.

Concernant la tavelure, 2008 était une année favorable à cette maladie. Nous n'avons pas constaté dans les vergers sensibles plus de tavelure qu'hors filet. Les protections Alt'Carpo sont sans effet sur cette maladie. Ces observations confortent celles réalisées sous les divers systèmes anti-grêles.

Enfin on note une abondance d'auxiliaires généralistes sous les filets : araignées et coccinelles étant les plus remarquées.

Impact sur la qualité des fruits

Un essai a été réalisé sur un verger de Chantecler, variété sensible aux défauts d'épiderme. Une parcelle attenante de la même variété et non couverte a servi de témoin (Figure 4).

La répartition des fruits a été faite en 3 classes selon l'application des normes commerciales. Le graphique montre que le filet permet d'obtenir 10 points de moins de pommes fortement détériorées et donc destinées à l'industrie. La différence se fait essentiellement sur le boisage lié aux frottements.

Alt'Abeille pour réguler la charge

En anticipant durant la floraison la fermeture de la protection Alt'Carpo, on limite la pollinisation par les abeilles donc la nouaison. En 2006, un essai conduit sur un verger de Juliet avait permis d'évaluer l'efficacité de cette technique. Ainsi, on avait obtenu un taux de fructification moyen de 0,59 fruit/bouquet sous filet pour 1,45 fruit/ bouquet dans les témoins.

En 2008, nous avons préféré multiplier des tests en faisant varier les situations : variétés, époque de fermeture, combinaisons avec les produits d'éclaircissage.

Il en ressort que la technique Alt'Abeille est particulièrement efficace.

Sur des variétés faciles à éclaircir, type Pink Lady, il faut éviter une fermeture trop précoce si on applique un programme d'éclaircissage... ou bien fermer tôt sans intervention complémentaire, ce qui peut être avantageux notamment en production biologique. Au contraire sur des variétés difficiles à réguler type Goldrush, Elstar, Gala, une fermeture précoce couplée à un programme d'éclaircissage est intéressante.

La technique Alt'Abeille est particulièrement séduisante dans un contexte technique difficile : disparition du carbaryl, manque de solutions en production biologique, difficultés de réguler efficacement certaines variétés et de contrôler les floraisons portées par le bois d'un an sources d'alternance. Tout cela exige de s'orienter vers des techniques alternatives.

Comme toute technique d'éclaircissage, sa pratique est à adapter à la situation (variété, vigueur, taux de floraison, niveau de pollinisation) : chaque verger est un cas particulier.

Choix du type d'installation

On l'a vu plus haut, le concept Alt'Carpo peut se décliner en deux configurations : protection monorang avec chaque rangée de pommiers enveloppée une à une, ou mono-parcelle pour un verger englobé dans son intégralité. Le choix du type d'installation ne doit pas être « dogmatique ». Les critères de choix, pour chaque verger sont :

– parcelle : taille, forme, disposition, exposition au vent, environnement...

– verger : mode de conduite, âge, vigueur, palissage, structure anti-grêle existante...

– variété : précocité et échelonnement de la récolte, exigence en intervention manuelle...

Sur une même exploitation, on aura à la fois des protections mono-parcelles et mono-rangs.

Développement en 2009

En 2009, nous suivons une cinquantaine de vergers commerciaux. Les résultats ne sont pas encore disponibles (récolte pas réalisée, suivis des vergers encore en cours). Mais nous avons déjà quatre ans de recul, dont deux de développement en vergers commerciaux : le concept Alt'Carpo a montré son efficacité. C'est aujourd'hui une méthode très performante pour se prémunir des attaques de carpocapse.

De plus, on bénéficie d'une protection contre la grêle ainsi que de divers effets bénéfiques directs et indirects. C'est également un moyen de s'adapter à l'évolution de la réglementation phytosanitaire. Enfin, il permet de développer une production plus respectueuse de l'environnement et de la santé en s'inscrivant dans les objectifs du Grenelle de l'Environnement (Encadré 2), sans pénaliser la rentabilité du verger. C'est ce qu'on appelle l'agriculture durable.

<p>* Chambre d'agriculture du Vaucluse.</p> <p>** Groupe de recherche en agriculture biologique.</p> <p>(1) « Nous » = rédaction et comité de rédaction <i>Phytoma.</i> N.D.L.R. : Les essais évoqués dans cet article ont été réalisés en grandes parcelles (vergers commerciaux), soit sans témoins adjacents (ex. suivi des 40 parcelles mono-rang), soit sur des effectifs réduits (ex. maille, suivi mono-parcelle, qualité des fruits) ; aussi aucune analyse statistique n'a été réalisée. Mais les résultats sont intéressants quand même !</p> <p>(2) Voir l'encadré ci-contre.</p> <p>(3) Voir les articles des mêmes auteurs dans <i>Phytoma</i> n° 601, février 2007, et n°612, février 2008.</p>