Dans la campagne togolaise (ci-contre, riz et bananiers), le bus de l'Université de Lomé (ci-dessous) a emmené les chercheurs sur le terrain.
Dans la campagne togolaise (ci-contre, riz et bananiers), le bus de l'Université de Lomé (ci-dessous) a emmené les chercheurs sur le terrain. Photos : C. Regnault-Roger
Dans la salle à Lomé : vues de la tribune et réponses aux questions de l'assistance. Des débats de qualité.
Dans la salle à Lomé : vues de la tribune et réponses aux questions de l'assistance. Des débats de qualité. Photos : C. Regnault-Roger
Dans la salle à Lomé : vues de la tribune et réponses aux questions de l'assistance. Des débats de qualité.
L'Afrique, terre d'avenir des méthodes alternatives ? En tout cas un continent riche d'enseignements en la matière. C'est ce qui ressort du colloque sur la gestion des ravageurs de Lomé (Togo) en décembre 2008. D'abord parce qu'en Afrique sub-saharienne, les insecticides chimiques, là où ils sont utilisés largement, posent plus de problèmes qu'en Europe. Ensuite parce que le continent est une mine de moyens alternatifs : abondance et diversité des auxiliaires, champignons entomopathogènes et végétaux sources de bio-pesticides. Mais peut-on passer des techniques traditionnelles à un bio-contrôle efficace des ravageurs ? Pour cela, il faut beaucoup de recherches et un brin de réglementation. Évocation du colloque et de parasitoïdes, de Beauveria, de neem, de papayer et d'un programme « CORAF » exemplaire.
Un colloque consacré à la « Gestion des populations de ravageurs pour un développement agricole durable en Afrique » s'est tenu à Lomé, au Togo, du 1er au 6 décembre 2008 sous l'égide du Conseil phytosanitaire inter-africain, de l'Union africaine (CPI-UA), en partenariat avec l'Université de Lomé. Cette manifestation a été organisée par le Réseau africain de recherche sur les bruches (REARB) que préside Mme le Professeur Adolé Isabelle Glitho, de l'Université de Lomé.
Colloque inter-africain pour le développement agricole durable
Plus d'une cinquantaine de chercheurs de l'ouest africain venus de huit pays francophones (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Congo, Côte d'Ivoire, Niger, Sénégal et Togo) et deux anglophones (Nigeria et Ghana), universitaires ou membres d'instituts spécialisés comme l'IITA(1), l'INERA(2) ou l'ITA(3), ont participé aux travaux. S'y ajoutaient un représentant de l'IFS(4) et trois universitaires français.
Parmi ces derniers, le Pr Jacques Huignard de l'Université François-Rabelais, à Tours, qui a formé au cours des vingt dernières années de nombreux entomologistes africains, présidait le comité scientifique. Le Pr Jean-Paul Monge, Directeur de l'IRBI(5) de l'Université François-Rabelais et qui poursuit cette mission de formation auprès des chercheurs africains, participait également à la manifestation.
Ce colloque était donc un congrès inter-africain regroupant une partie importante des forces vives de la recherche ouest-africaine. Celle-ci se consacre à l'étude des méthodes alternatives de contrôle d'insectes fléaux tenant compte de la spécificité africaine.
Le colloque a permis aux équipes de chercheurs d'échanger et confronter leurs résultats sur la connaissance des ravageurs africains des cultures vivrières, industrielles et maraîchères. Ils ont aussi pu comparer diverses méthodes de protection et de conservation des cultures et des stocks : pesticides chimiques, lutte physique, biopesticides à base d'auxiliaires ou d'extraits végétaux. Ceci en matière d'efficacité in situ mais aussi de phénomènes de résistance et d'effets non intentionnels.
L'Afrique a besoin de méthodes alternatives
Les pays tropicaux accueillent une flore et une faune abondantes, avec de très nombreux ravageurs phytophages et compétiteurs des plantes (insectes, maladies, mauvaises herbes). Ces bio-agresseurs exercent une forte pression qui peut entraîner des pertes de l'ordre de 25 % à plus de 70 % de la production au champ ou en post-récolte dans les pays de l'Afrique de l'Ouest (N'Diaye et al., 2005).
Insecticides chimiques dans le contexte africain
Aussi des pesticides de synthèse sont-ils utilisés dans certaines cultures intensives d'exportation (coton, canne à sucre, maraîchage, arboriculture) pour lesquels les intrants sont fournis et subventionnés.
Les problèmes soulevés par l'usage de ces pesticides sont nombreux :
— une mauvaise utilisation en matière de doses et de fréquences de traitements,
— un choix inapproprié des molécules en raison de possibilités financières restreintes des agriculteurs, limitant l'accès aux molécules les plus recommandées et aux équipements requis pour ces traitements,
— un faible niveau d'information des paysans qui les empêche de disposer des connaissances indispensables à une bonne pratique des applications de pesticides.
Cette situation a conduit non seulement à diverses pollutions des eaux superficielles, des nappes phréatiques ou des pâturages, mais encore à des cas d'intoxications accidentelles relevés parmi les techniciens agricoles, les paysans ou les consommateurs (Glitho et al., 2008 ; Zinsou-Klassou, 2008).
Les résistances et leurs conséquences
Comme ailleurs, cet emploi inapproprié des pesticides de synthèse s'accompagne de résistances des insectes aux insecticides.
Ainsi 700 espèces, parmi lesquelles des insectes vecteurs de maladies classées par l'OMS (Organisation mondiale de la santé) comme maladies à transmission vectorielle (MSV), sont connues en Afrique pour avoir développé de telles résistances (Ketoh et Glitho, 2008). Des enquêtes récentes montrent qu'il existe dans les pays du Golfe du Bénin (Togo, etc.) une résurgence de ces maladies (dont la fièvre jaune, l'onchocercose et l'ulcère de Buruli) liée aux résistances des insectes aux insecticides et aux dégradations de l'environnement (Ketoh et Glitho, 2008). Cette situation est non seulement préjudiciable à la santé publique mais a aussi des répercussions sur le plan économique. Glitho et al. (2008) citent l'exemple de la teigne Plutella xylostella L. (Lepidoptera : Plutellidae), ravageur majeur des cultures de choux (Brassica oleacera L). Cet insecte est devenu résistant à tous les insecticides disponibles.
D'où les comportements suivants des producteurs : « Soit [ils] augmentent les doses au point d'arriver à un coût de traitement trop élevé pour atteindre une rentabilité économique, soit [ils] utilisent des insecticides destinés aux cultures de coton, ce qui ne donne d'ailleurs pas de meilleurs résultats. » Des conséquences sanitaires et alimentaires en résultent : augmentation des maladies du foie et des reins au sein des populations urbaines consommatrices des produits maraîchers et désintérêt des producteurs pour les cultures attaquées par P. xylostella donc baisse de la production de choux.
Passer de la tradition à la lutte intégrée ? Oui...
Bien que toute la population rurale de l'Afrique de l'Ouest africain n'ait pas forcément accès aux pesticides de synthèse (réservés aux cultures de rente), il est néanmoins urgent de développer des méthodes alternatives à l'emploi de ces produits pour limiter leurs effets pervers.
Des pratiques traditionnelles des villages africains relèvent d'ailleurs de la lutte intégrée. à partir de démarches empiriques, se dégagent des approches de protection des cultures et des stocks basées sur l'emploi de biopesticides, notamment à base d'entomophages ou d'extraits végétaux.
Mais que d'études à mener !
Mais on est très rapidement confrontés à un double constat.
D'abord, s'il existe une grande diversité d'organismes pouvant servir d'auxiliaires en lutte biologique dans une approche de lutte intégrée, le potentiel est, de fait, largement inexploité. Beaucoup d'espèces d'entomophages susceptibles d'être utilisées ne sont pas connues vu le faible nombre d'études systématiques décrivant la faune entomologique africaine. Lorsque ces espèces ont été décrites, leur utilisation exige de connaître leur physiologie et leur cycle reproductif ainsi que la nature des interactions phytophage-entomophage.
Pour l'usage de plantes aromatiques issues de la pharmacopée locale et susceptibles d'assurer la protection des récoltes contre les insectes dans les greniers et les champs, on constate que si de nombreux travaux récents examinent leurs propriétés en conditions de laboratoire, peu d'études ont été réalisées sur le terrain (Sanon et al., 2000 ; Huignard et al., 2008).
Faire des recherches en situation réelle
C'est dans ce cadre que le colloque de Lomé a abordé ces deux thèmes en se centrant sur :
— l'inventaire, la répartition géographique ainsi que l'étude de la biologie, de l'écologie et de la physiologie des ravageurs de cultures et de stocks ;
— le contrôle de ces ravageurs par la lutte raisonnée mais aussi par l'utilisation de parasitoïdes et d'extraits végétaux.
Bruches et autres coléoptères, lépidoptères et termites
Les Bruchidae sont une famille de Coléoptères causant d'importants dégâts en Afrique sub-saharienne. Bruchidius atrolineatus Pic. et Callosobruchus maculatus Fab. sont les ravageurs majeurs du niébé (Vignia unguiculata Walp L.), une légumineuse vivrière des populations ouest africaines notamment au Niger et Burkina Faso. Quant à Caryedon serratus Oliv., c'est le principal nuisible des stocks d'arachide dans l'ouest du Burkina Faso (Ouedraogo et al., 2008 ; Doumma, 2008), au Sénégal et au Congo Brazzaville.
D'autres dégâts sont dus à des isoptères type termites qui rongent racines et tiges de la canne à sucre au sud du Togo : Amitermes evuncifer Silvestri, Ancistrotermes cavithorax Sjöstedt et Microtermes sp.( Kotoklo et al., 2008).
En post-récolte, de nombreuses espèces de coléoptères Sitophilus zeamais Motsch, S. oryzaee L., Rhizopertha dominica (F.), Tribolium casteneum (Herbst), Oryzaephilus surinamensis (L.), Cryptolestes ferrugineus (Steph), Carpophilus hemipterus (L.), Callosobruchus maculatus (L.) et Prostephanus truncatus (Horn) (ce dernier, introduit accidentellement au Togo en 1983, y cause de fortes pertes dans les stocks de maïs), ont été identifiées au Togo, ainsi que des lépidoptères dominés par Corcyra cephalonica (Staint), Ephestia cautella (Walk) et Sitotroga cerealella (Oliv.) (Akantetou et Gogovor, 2008).
Parasitoïde déjà mis en œuvre
La connaissance de la bioécologie des Bruchidae et des hyménoptères parasitoïdes et du comportement des insectes en présence d'odeurs de plantes permet de bâtir des stratégies de biocontrôle de ces nuisibles.
Ainsi, soulignent J. Huignard et al. (2008), l'hyménoptère Pteromalidae Dinarmus basalis Rond, parasitoïde de la bruche C. maculatus, peut, si on l'introduit dans les greniers au début du stockage des graines de niébé, exercer un contrôle efficace des populations de bruches. Il est capable de différencier les odeurs de graines de niébé de celles de larves de bruches et se déplace facilement à l'intérieur d'un stock pour localiser ses hôtes ; il se reproduit à leurs dépens (Huignard et al., 2008).
Mais attention, les femelles de D. basalis peuvent modifier leur comportement reproducteur en fonction des conditions environnementales (Sanon et al., 2006) ! Il faut donc manier avec discernement l'association de différents traitements de protection des stocks de niébé utilisant à la fois des huiles essentielles de plantes aromatiques et un lâcher de parasitoïdes.
Biopesticides : étude de champignons entomopathogènes
La mise au point de biopesticides adaptés est un axe de travail majeur des chercheurs africains. Sont étudiés par exemple l'action de diverses souches de champignons entomopathogènes Metarhizium anisopliae et Beauveria bassiana sur le ravageur du coton Helicoverpa armigera (Hübner) en laboratoire (Kobi, 2008).
Et il a été montré, dans le cadre d'une expérimentation au champ dans deux écosystèmes différents (maritime et forestier), qu'une formulation de B. bassiana 5653 est efficace pour réduire significativement l'effectif des populations de la teigne du chou P. xylostella. Ce biopesticide est inefficace pour lutter contre un autre ravageur du chou, le puceron Brevicoryne sp, mais ce dernier est sensible à l'extrait aqueux d'amandes de graines de neem (Azadirachta indica Juss) (Agboyi et al., 2008)
Extraits végétaux expérimentés
Les extraits de neem ont d'ailleurs fait l'objet de nombreux travaux en Afrique de l'Ouest, notamment au Nigéria, sous forme d'extraits artisanaux ou de la formulation Repellin. Ils ont été testés contre la bruche C. maculatus, la pyrale du niébé Maruca vitrata Fab. et des termites qui, en blessant l'arachide, ouvrent la porte à des champignons du genre Aspergillus producteurs d'aflatoxines (Dike et al., 2008 ; Egwurube, 2008).
Des extraits d'autres plantes sont aussi étudiés. On a ainsi testé l'action de poudres végétales ou d'huiles extraites de la citronnelle Cymbopogon nardus L. Rendle (Poaceae) ; ou d'une plante de la famille des Annonaceae, Dennettia tripetala Baker f., connue au Nigéria sous le nom anglais « pepper fruit tree » et le nom africain Okiy, ainsi que de la Piperaceae Piper guineense Schum and Thonn. Les huiles essentielles extraites de ces plantes causent une mortalité importante au laboratoire chez C. maculatus en présence de graines de niébé (Alzouma et al., 2008 ; Okonkwo et Ewete, 2008).
Plusieurs programmes d'utilisation d'huiles essentielles extraites de Poaceae pour gérer les populations de bruches sont en cours en Afrique de l'Ouest, notamment au Togo (Glitho et al., 2008).
Programme CORAF exemplaire
En parallèle, un programme-phare car fédérateur entre quatre pays du Golfe du Bénin, a été financé par le Conseil Ouest et Centre Africain pour la Recherche et le Développement Agricole (CORAF/WECARD). Intitulé « Potential use of botanical extracts on vegetables as alternative to chemical in peri-urban zones of Bénin, Côte d'Ivoire, Ghana and Togo », il a pour objectif d'évaluer l'efficacité de produits végétaux à base de neem (Azadirachta indica) et de papayer (Careca papaya) sur une culture régionale commune, le chou, chaque équipe nationale ayant le choix d'une deuxième culture.
Une enquête éclairante
D'une enquête de perception auprès des acteurs de la filière (agriculteurs et techniciens agricoles), il ressort que, dans la zone d'étude, près de la moitié des maraîchers utilisent déjà des produits d'origine végétale pour protéger leurs cultures. Cela peut atteindre les deux tiers si le produit est facile à utiliser et d'un coût abordable. L'enquête confirme que le chou est la principale culture maraîchère source de revenus pour les jeunes producteurs malgré la résistance aux insecticides de synthèse disponibles contre Plutella xylostella.
Elle indique que 80 % des consommateurs sont prêts à acheter plus chers les légumes traités avec des extraits végétaux afin de diminuer les risques à la consommation. Les distributeurs de pesticides conventionnels se disent prêts à vendre des extraits de végétaux afin de limiter l'usage d'insecticides de synthèse par des producteurs mal formés et informés.
Essais, production réelle, restitution
Après la mise en place d'essais préliminaires au champ, et leur succès, une production en conditions réelles a été réalisée en partenariat avec des producteurs des 4 pays par le biais d'une formation « champ-école-paysans » (FFS : Farmer-Field-School »).
Un atelier de restitution du projet CORAF avec la participation des paysans impliqués a eu lieu lors de ce colloque afin d'évaluer les résultats dans les quatre pays. Des diplômes pour récompenser les efforts que font les agriculteurs ont été distribués.
Il est prévu, en fin de projet, d'examiner s'il est possible de généraliser cette technologie dans d'autres pays de l'Afrique de l'Ouest.
Méthodes indispensables
On le voit, les pays ouest-africains s'inscrivent dans la recherche résolue de méthodes de biocontrôle des insectes bio-agresseurs. Ces démarches rejoignent les nombreux recensements dans les zones tropicales de plantes susceptibles d'action insecticide ou répulsive grâce aux composés volatils qu'elles émettent.
Extraits végétaux : qualité et stabilité en question
Encore faut-il savoir ce que ces extraits contiennent. En effet la composition des extraits des plantes, huiles essentielles notamment, est affectée, indépendamment de la variabilité résultant des techniques d'extraction utilisées (pH, solvants, température, etc.), par les conditions climatiques, pédologiques, le degré de maturité de la plante, l'intensité de son métabolisme et les chémotypes (Regnault-Roger, 2005).
La qualité et la stabilité des produits sont essentielles pour que se développent les extraits végétaux, en Afrique comme ailleurs.
Réglementation
Certes, dans plusieurs pays développés, il est jugé que la réglementation concernant les biopesticides d'origine végétale est un frein à leur développement commercial (Regnault-Roger et al., 2005).
En Afrique, au contraire, il serait bon d'instaurer des procédures et une réglementation permettant non seulement d'évaluer l'efficacité et l'innocuité au laboratoire et en situation réelle des pesticides et bio-pesticides produits sur place ou importés, mais aussi d'assurer un suivi de la qualité des bio-produits adaptés aux écosystèmes agricoles africains.
L'Afrique peut jouer le bio-contrôle
L'option de développer des bio-produits pour contrôler les insectes nuisibles a été faite par de nombreux chercheurs africains. Elle est encouragée par plusieurs instances nationales ou inter-africaines. Le développement de méthodes alternatives aux pesticides de synthèse est indispensable pour limiter le mauvais usage de ces pesticides qui est une source d'accidents pour les populations et l'environnement.
La richesse de l'Afrique en matière de biodiversité génère un vrai potentiel pour développer ces méthodes alternatives. L'examen de tous leurs bénéfices/risques en conditions réelles, avec le souci de discipliner les pratiques et mieux cerner leurs paramètres biologiques et chimiques, est une étape indispensable pour que l'engagement résolu des jeunes chercheurs africains soit couronné de succès
<p>* Université de Pau et des Pays de l'Adour.</p> <p>(1) International Institute of Tropical Agriculture.</p> <p>(2) Institut de l'environnement et recherche agricole du Burkina Faso.</p> <p>(3) Institut de technologie alimentaire de Dakar.</p> <p>(4) International Foundation for Science.</p> <p>(5) Institut de recherche sur la biologie de l'insecte.</p>