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De Pampelune à Uppsala découvertes à l'OILB

Claude Alabouvette* - Phytoma - n°626 - octobre 2009 - page 10

Lutte biologique inondative contre les insectes ravageurs ou gestion des interactions dans le sol, deux thèmes explorés en conférences OILB
Extrait de poster T. absoluta (ph. C. Regnault-Roger)

Extrait de poster T. absoluta (ph. C. Regnault-Roger)

Session de travail à Pampelune, à l'Université publique de Navarre. Les sessions traitaient d'outils de lutte biologique : bactéries dont Bacillus thuringiensis, baculovirus, nématodes, champignons. ph. C. Regnault-Roger

Session de travail à Pampelune, à l'Université publique de Navarre. Les sessions traitaient d'outils de lutte biologique : bactéries dont Bacillus thuringiensis, baculovirus, nématodes, champignons. ph. C. Regnault-Roger

Claude Alabouvette, auteur de cet article, et R.U. Ehlers, Professeur à l'Université de Kiehl, Allemagne, et Président du Comité scientifique (Working Group Convenor) du congrès de Pampelune. ph. C. Regnault-Roger

Claude Alabouvette, auteur de cet article, et R.U. Ehlers, Professeur à l'Université de Kiehl, Allemagne, et Président du Comité scientifique (Working Group Convenor) du congrès de Pampelune. ph. C. Regnault-Roger

La lutte biologique et les méthodes de protection intégrée des cultures ont fait l'objet en juin dernier de deux réunions de groupes de travail de l'Organisation internationale de lutte biologique (OILB). L'une s'est déroulée en Espagne, à Pampelune ; elle regroupait les participants du groupe de travail OILB « Pathogènes d'insectes et nématodes parasites d'insectes » et ceux de l'action COST 862 consacrée aux « Toxines bactériennes pour la lutte contre les insectes ». L'autre s'est déroulée en Suède, à Uppsala ; elle était organisée par le groupe s'intéressant aux « Interactions multitrophiques dans le sol ». On y a évoqué deux façons différentes mais complémentaires de protéger les plantes par des moyens alternatifs : la lutte biologique inondative directe et les approches globales utilisant des pratiques culturales.

Rappelons que l'OILB (1) est une organisation non gouvernementale qui, depuis plus de 50 ans, fédère des institutions comme l'INRA et le Cirad en France, des sociétés privées et des chercheurs individuels au service de la lutte biologique et de la production intégrée. Il n'est pas question ici de présenter un compte-rendu exhaustif des conférences et des affiches présentées lors de ces deux manifestations qui regroupaient respectivement 180 et 85 participants, mais de signaler quelques points qui ont retenu mon attention.

Pampelune, les priorités en séances plénières

La réunion de Pampelune s'est organisée du 22 au 25 juin autour de deux séances plénières, de plusieurs séances thématiques consacrées aux Baculovirus, aux bactéries, et en particulier à Bacillus thuringiensis, aux champignons et aux nématodes entomopathogènes ainsi qu'à des séances de présentation d'affiches.

Le thème retenu pour cette conférence était la définition des priorités en matière de « Recherche et développement pour l'utilisation de micro-organismes et de nématodes pour lutter contre les insectes ». C'est donc ce thème qui a fait l'objet des deux séances plénières.

Spécifique et toujours ardue, la procédure de mise sur le marché de nouveaux produits

La première a permis de prendre connaissance des opinions des chercheurs ; la seconde des problèmes rencontrés par les sociétés impliquées dans le développement et la commercialisation d'agents de lutte biologique. Chaque intervenant a conclu en mettant en avant ce qu'il considère comme des priorités en matière de recherche-développement pour mettre de nouveaux produits sur le marché, pour améliorer les performances de la lutte biologique et l'intégrer aux autres pratiques agricoles.

Tous les intervenants ont dénoncé un manque de moyens consacrés par la recherche publique (Instituts et Universités) à la lutte biologique.

Ils ont déploré le coût des dossiers de demande d'inscription à l'annexe I de la directive 91/414 et la lourdeur des procédures administratives qui se traduisent par des délais d'évaluation extrêmement longs. De plus, l'absence de reconnaissance mutuelle oblige à déposer des dossiers annexe III dans tous les pays dans lesquels le produit doit être mis en vente.

Les agents, d'accord, mais leur formulation ?

Si les aspects les plus fondamentaux concernant le mode d'action des agents de lutte et les interactions avec l'insecte cible et la plante sont correctement abordés, il n'en est pas de même pour ce qui est des aspects technologiques relatifs aux procédés de production et de formulation.

Or ces derniers conditionnent la conservation des préparations lors du stockage et du transport mais aussi l'efficacité après application.

Micro-organismes : il faut faire évoluer les méthodes d'évaluation

Pour ce qui est des champignons et des bactéries, tous les intervenants ont dénoncé le fait qu'il n'existe pas de méthodes adaptées pour étudier les effets sur la santé de l'homme, les effets sur les organismes non cibles et le devenir dans l'environnement (les méthodes actuelles ont été mises au point pour des préparations inertes issues de la chimie de synthèse).

Il serait donc très utile de réaliser des recherches visant à proposer des méthodes adaptées aux micro-organismes qui permettent d'acquérir les résultats exigés par la règlementation dans un délai et avec un coût raisonnables.

Sessions thématiques, vers des surprises

Lors des sessions thématiques, il est apparu que des souches de bactéries ou de champignon développées depuis de nombreuses années sont encore très imparfaitement connues, qu'il s'agisse de leur spectre d'hôtes ou de la diversité des métabolites secondaires produits ; aussi ne sommes nous pas à l'abri de surprises...

Il se pourrait que la spécificité étroite des agents de lutte biologique, souvent mise en avant, ne soit pas aussi limitée que nous le pensions jusqu'à présent. Cela permet d'envisager des usages élargis pour certains agents de lutte.

Spectres d'hôtes, des découvertes

L'exemple le plus surprenant est peut-être celui de la souche Cha0 de Pseudomonas fluorescens bien connue et très étudiée pour ses capacités antagonistes vis-à-vis de nombreux champignons pathogènes des racines des pantes. Nos collègues de Zürich ont montré que cette bactérie possède la capacité de produire une protéine toxique (Fit) ayant une activité insecticide.

Les résultats présentés concernent un travail fondamental sur la régulation des gènes qui contrôlent l'excrétion des métabolites secondaires mais ils montrent également que ces métabolites ne visent pas seulement les champignons et oomycètes mais aussi les arthropodes.

Résistance des ravageurs : des mécanismes mieux connus donc mieux combattus

Plusieurs communications ont porté sur les mécanismes conduisant à la résistance des insectes aux toxines Cry, responsables de l'activité insecticide des Bacillus thuringiensis. D'autres travaux visent à manipuler les gènes codant pour la production de ces toxines afin de modifier le spectre d'hôtes ou de rendre ces toxines plus efficaces.

Du côté des Baculovirus, la perte d'efficacité constatée depuis quelques années dans quelques régions en Europe s'explique par une acquisition de résistance chez l'insecte. Les mécanismes de cette résistance commencent à être compris et des solutions pour pallier la difficulté sont envisagées.

Il existe en effet une diversité à la fois chez le baculovirus et chez l'insecte cible : il faut sélectionner le baculovirus qui présente la meilleure efficacité vis-à-vis de différents génotypes d'insectes. Des préparations améliorées sont déjà autorisées en Suisse et devraient l'être prochaînement dans les autres pays.

Une autre stratégie consiste à ne pas travailler avec un seul « isolat » viral, mais d'en associer plusieurs dans une même formulation. Les mécanismes de co-évolution entre l'insecte et le virus commencent à être élucidés, ils permettront n'en doutons pas d'améliorer les stratégies d'emploi des baculovirus.

Des progrès dans l'évaluation des risques

Pour ce qui est des champignons entomopathogènes, Beauveria et Metarhizium, c'est l'évaluation de la toxicité potentielle des métabolites secondaires qui freine le processus d'autorisation de mise sur le marché.

Un collègue autrichien a présenté les conclusions de son travail, conduit dans le cadre de l'action REBECA, et proposé une approche expérimentale qui, si elle est adoptée, devrait permettre d'évaluer plus rapidement et plus facilement les risques liés à l'emploi de ces champignons entomopathogènes.

L'utilisation de nématodes face à la difficulté de formulation

Peut-être moins connus mais déjà commercialisés dans plusieurs pays, les nématodes enthomopathogènes font l'objet de recherches très actives. Ces nématodes n'étant pas des micro-organismes, ils n'entrent pas dans le cadre de la directive 91/414 ; leur mise sur le marché s'en trouve facilitée.

Les principaux problèmes rencontrés ont trait aux difficultés de formulation et de conservation de ces organismes et aux doses requises pour observer une efficacité optimale.

Il est à noter que certains de ces nématodes présentent une bonne efficacité contre les limaces dont les attaques se multiplient dans certaines cultures.

Conclusion, avancées scientifiques et réglementation à adapter

À l'issue de ce symposium, on peut dire que les chercheurs et les industriels du « biocontrôle » s'apprêtent à mettre sur le marché une plus grande diversité de préparations ayant des spectres d'activité contre un plus grand nombre d'insectes. Il reste à souhaiter un assouplissement de la réglementation qui constitue un frein puissant à l'innovation dans ce domaine.

Uppsala, du global pour des sols écolos

Alors que la réunion de Pampelune a essentiellement traité de lutte biologique dite « inondative », c'est-à-dire par introduction massive d'agents de lutte, la réunion d'Uppsala, du 10 au 13 juin, avait réservé une large place aux approches globales faisant appel aux pratiques culturales pour modifier les équilibres microbiens et améliorer l'état sanitaire des sols.

En effet, dans ce groupe de travail intitulé « Interactions multitrophiques dans le sol », les chercheurs s'intéressent à la diversité qui affecte les populations microbiennes des sols et aux moyens « écologiques » de modifier la structure des communautés d'organismes telluriques. Objectif : améliorer la « qualité » du sol, en particulier son état sanitaire.

La biologie moléculaire au service des pratiques culturales

Car la gestion durable des sols implique le recours à des pratiques culturales telles que l'apport de composts aux effets multiples sur la microflore des sols, ou encore la biodésinfection. Cette dernière consiste en un apport massif d'engrais vert qui, en se décomposant, élimine certains agents pathogènes et tend à rendre les sols résistants aux maladies.

L'étude des interactions complexes entre bactéries, champignons, protozoaires et arthropodes qui contrôlent l'état sanitaire du sol a bénéficié des progrès récents des outils moléculaires qui permettent de caractériser les populations et les communautés sans avoir recours à la mise en culture. Dans ce domaine, le progrès des connaissances devrait aboutir à proposer des modifications de certaines pratiques culturales (culture sans labour, vigne enherbée, cultures intermédiaires ou cultures associées possédant un effet assainissant...) techniques qui seront plus difficiles à vulgariser que le simple lancement sur le marché d'une nouvelle préparation fût-elle biologique.

Agents de lutte biologique, stimulateurs de défenses naturelles

Une session a toutefois été consacrée à la sélection puis à la production d'agents de lutte biologique ou de micro-organismes stimulateurs de la croissance ou de la vigueur des plantes.

Une souche de Pseudomonas ayant des effets bénéfiques sur un grand nombre de plantes légumières fait actuellement l'objet d'une demande de brevet en Suède.

La société productrice de la souche de P. chlororaphis qui constitue la substance active de préparations destinées à lutter contre les maladies cryptogamiques du « pied » des céréales a présenté les difficultés qu'elle avait rencontrées dans le développement et l'homologation de cette souche.

Thermothérapie pour semences

Une autre société a développé un procédé original de désinfection des semences par thermothérapie. Ce procédé permet d'éviter les traitements de semences avec des molécules de synthèse.

L'utilisation de la chaleur pour désinfecter des semences ou des plants est connue depuis très longtemps. Aujourd'hui, la technologie mise au point permet d'optimiser le procédé à chaque lot de semences afin que la désinfection ne se fasse pas au détriment de la capacité germinative des semences.

Reste maintenant à associer cette désinfection physique des semences à un enrobage biologique destiné à les protéger contre les agents pathogènes présents dans les sols.

Points de blocage

Enfin, comme à Pampelune, une session a été consacrée à la mise en évidence des points de blocage qui freinent le développement de la lutte biologique et qui devraient faire l'objet de programmes de recherche spécifiques.

S'investir toujours, investir encore

Ces deux réunions tenues sous l'égide de l'OILB soulignent la nécessité d'investir dans le domaine de la lutte biologique afin d'amener sur le marché des préparations nouvelles et de vulgariser des pratiques culturales innovantes respectueuses de l'environnement.

Sans sacrifier la sécurité de l'applicateur et du consommateur, il convient d'assouplir les critères réglementaires conduisant à l'autorisation de mise sur le marché et d'aider les agriculteurs à mettre en œuvre des méthodes plus délicates que l'application aveugle de pesticides.

<p>* INRA,</p> <p>(1) En anglais IOBC, International Organisation for Biological and Integrated Control of Noxious animals and Plants.</p>

Résumé

Deux conférences se sont tenues en juin 2009 à l'initiative de groupes de travail de l'OILB.

L'une s'est déroulée à Pampelune (Espagne) sur le thème « Recherche et développement pour l'utilisation de micro-organismes et de nématodes pour lutter contre les insectes ».

La réglementation et les méthodes d'évaluation conçues pour les produits phytosanitaires inertes constituent un frein à l'innovation ; des suggestions d'amélioration ont été formulées.

Des avancées scientifiques ont été présentées. Elles concernent les spectres d'hôtes de certains Pseudomonas fluorescens, les modes d'action des Bacillus thuringiensi s et les mécanismes de résistance des insectes aux baculovirus, l'évaluation des risques et l'utilisation de nématodes.

L'autre s'est tenue à Uppsala (Suède) sur les « interactions multitrophiques dans le sol ». Elle était plus orientée vers des approches globales améliorant la santé végétale par le biais de celle du sol et, faisant appel à des techniques culturales (apports de composts, biodésinfection par décomposition d'engrais verts). Les outils de la biologie moléculaire permettent de mieux comprendre les mécanismes mis en jeu et évaluer les effets des pratiques.

Cependant quelques outils de lutte alternative plus classiques ont été présentés, notamment certains Pseudomonas sp. et le traitement de semences par thermothérapie.

Mots-clés : méthodes alternatives, lutte biologique, OILB, IOCB, conférences, Pampelune, Uppsala, micro-organismes pathogènes d'insectes, nématodes parasites d'insectes, interactions multitrophiques du sol.

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