« L'innovation au cœur de la révolution environnementale agricole », tel était le thème de la journée FARRE du 19 janvier 2010. Qu'est-ce qu'innover en agriculture, et pourquoi la biodiversité en dépendrait-elle ? Quelles sont les capacités de l'agronomie à innover, à changer ? Les agriculteurs du réseau FARRE ont pu témoigner des réflexions qu'ils mènent sur leur exploitation en l'envisageant dans son ensemble, puis des changements : toujours en pensant environnement. Les agronomes, les chercheurs sont à leur côté afin de s'adapter aux exigences de la diversité. Et l'innovation en matière de matériel végétal est un outil pour cela.
Innovations agronomiques et environnement, environnement et richesse agronomique, ces Rencontres ont montré que l'ennemi des systèmes de culture est l'uniformisation, la simplification, le manque de rotations, la culture unique et les systèmes intensifs. La diversité recherchée oblige à innover, à inventer.
Recherche, comment trouver une voie
Une des premières tables rondes de la journée est « l'innovation en agronomie ». Les défis qui font l'actualité sont Ecophyto 2018, la Directive nitrate, la Directive eau, la révision de la PAC, les produits phytos en moins grand nombre mais aussi du réchauffement climatique, des cours volatils pour les productions et autres divers contrôles des matériels à mettre en place... Tout est interdépendant et l'innovation en systèmes de cultures devrait permettre de ne pas les vivre comme des contraintes.
Albert David, Professeur à Paris Dauphine, avait juste avant indiqué comment l'invention trace généralement son sillon : elle s'en éloigne tout d'abord. La « conception innovante » se distingue de la « conception réglée », elle se trouve « décalée », elle sort du cadre, ne connaît pas son objet, n'a pas de connaissance planifiée, est passablement inconfortable. Et pourtant elle est nécessaire pour que l'esprit qui se veut innovant soit préparé à la survenue de la découverte : « Le hasard favorise les esprits préparés ». Pour lui les exemples sont nombreux où la recherche a été forcée de trouver, plus rapidement qu'elle ne l'envisageait, des innovations techniques pour lesquelles elle ne se sentait pas forcément prête dans les délais.
Innovation variétale
Les voies nouvelles qu'a exigées l'agriculture se trouvent entre autres dans la ressource génétique. J.-P. Bordes, d'Arvalis, expose les progrès faits dans la détection des gènes d'une maladie devenue résistante aux produits censés la guérir. Ou bien la sélection de variétés dites tolérantes à certaines maladies. C'est cette fonction qui est principalement recherchée dans les variétés cultivées aujourd'hui.
Exemple : les variétés d'orges résistantes au virus de la jaunisse nanisante de l'orge.
Les outils de la génomique pourront être utilisés pour réduire la sensibilité des cultures aux maladies. Exemple : le piétin-verse du blé dont on peut détecter à partir du grain la présence du gène Pch1 responsable de la maladie. Le gène est présent dans la plupart des variétés disponibles. Cette détection permet de « prédire le comportement de la variété face à la maladie ». Exemple de la rouille brune du blé : sur 7 gènes de résistance mis au jour, « 3 gènes spécifiques sont contournés mais potentiellement actifs en combinaison, un gène spécifique est actif présent dans 2 variétés et 3 gènes partiels sont actifs en combinaison ».
Farre éclaire le dossier
Ceci sous forme de citation pour illustrer la variabilité des gènes isolés et, devant la complexité, la nécessité d'évaluer la « durabilité d'un caractère obtenu ». C'est le sujet traité par Henriette Goyeau dans ce dossier matériel végétal, page 21.
Cinq cents nouvelles variétés sont inscrites en France chaque année au catalogue. Dans ce dossier, Christian Leclerc, Secrétaire général du CTPS au GEVES, décrit comment une variété a lieu d'être inscrite puis certifiée selon ses caractéristiques.
Lors des Rencontres Farre , François Burgaud, du GNIS, cite les divers critères qui guident l'innovation en matière de création semencière. L'innovation doit préserver la biodiversité en conservant les ressources génétiques ; l'innovation doit enrichir la biodiversité en créant des variétés nouvelles ; l'innovation doit aussi entretenir une biodiversité sauvage (exemple des plantes de couvert). Il existe 27 réseaux de conservation des ressources génétiques (créés en 1983) composés des acteurs intéressés, notamment les semenciers.
Créer une variété tient compte de nombreuses caractéristiques : une espèce importée s'adapte-t-elle au milieu ? Est-elle productive ? Va-t-elle résister aux maladies, à la sécheresse ? Peuton diminuer les apports d'engrais ? Répondelle aux exigences de qualités nutritionnelles et gustatives à la consommation ou lors de la transformation ? Un exemple dans ce dossier avec l'article d'évelyne Costes, de l'INRA, quand on veut sélectionner des particularités variétales (ici chez le pommier) on s'expose à la complexité de « définir des idéotypes variétaux » (p. 26).
Les agriculteurs FARRE sont instigateurs de biodiversité et ce forum leur permet d'en faire part. B. Collard, agriculteur polyculture-élevage dans la Marne, a réfléchi « avec sa femme et son fils » afin de changer sa façon de voir son exploitation. Ils expérimentent, innovent, essaient, « s'inspirent des bios » en choisissant des matériels de désherbage mécaniques. Ils mettent en place des « bandes en cultures intégrées » entre les parcelles traditionnelles, puis des « ilôts en culture intégrée », en rotation. L'agriculteur sait analyser son IFT, ou « indice de fréquence de traitement ». Ce suivi lui sert à évaluer ses propres traitements en les comparant aux préconisations régionales. Contre les maladies, peu de possibilité de les éviter totalement mais de les réduire oui.
D. Montez, ayant les deux fonctions d'agriculteur et d'apiculteur, explique comment, avec le Réseau Biodiversité pour les abeilles, il apprend à mieux connaître les problèmes de ses abeilles et à comprendre le lien avec les pratiques agricoles.
Raisonner sur l'ensemble du système de culture
Une expertise scientifique collective qui a été menée ces dernières années sur « Agriculture et biodiversité ». Xavier Le Roux, Directeur de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité explique comment la société relève en général les aspects négatifs des pratiques de l'agriculture. Ce qui est visible : l'intensification, l'homogénéisation, la simplification des systèmes et des paysages. Or il faut raisonner sur ce qui est positif, sur ce qu'il appelle la « biodiversité ordinaire », l'intégrer dans ses systèmes de culture. Prendre du temps pour reconnaître un syrphe ne sera pas très « visible » mais fait partie de la technicité du paysan.
L'expertise relève entre autres qu'« il ne s'agit pas de mettre de la biodiversité ou de l'environnement dans l'agriculture ! » Il faut avoir une vision cohérente de l'ensemble afin de « maintenir un potentiel évolutif pour les agrosystèmes ».
<p>(1) Phytoma.</p>
Rejoindre le réseau FARRE
Il faut être agriculteur, vouloir s'impliquer dans une démarche de certification environnementale et avoir envie de communiquer sur les innovations et réflexions qui ont fait leurs preuves dans sa ferme.
FARRE a mis sur pied un système de « réseaux spécialisés » qui « réunissent des agriculteurs et une organisation ou entreprise ayant une compétence spécifique sur un domaine précis ». Il existe 4 réseaux spécialisés : les bonnes pratiques phytosanitaires, la santé et la sécurité au travail, le machinisme et la biodiversité. Trois sont en cours de création : le sol, l'énergie et la protection intégrée. Chaque réseau va élaborer deux ou trois indicateurs qui mesureront le progrès environnemental d'une exploitation agricole. La communication se basera sur ces indicateurs, elle sera plus technique et plus concrète, en lien avec le Grenelle de l'environnement.
Maintenant, près de 300 personnes appartenant à une quinzaine d'organismes travaillent « à une meilleure intégration de l'environnement dans les pratiques agricoles ».
Une journée FARRE sera proposée où l'ensemble des fermes s'ouvriront au grand public.
Le Point de vue de
Christophe Grison a été élu à la présidence de FARRE le 7 juillet 2009. Il succède à Bernard Guidez et « porte désormais le projet FARRE 2015 ». Dans ce projet, il « compte donner plus de sens aux actions des agriculteurs impliqués dans des démarches environnementales ». Il poursuit : « Farre s'inscrit dans une dynamique de progrès, conciliant économie et écologie, en étant portée par l'innovation. C'est un réseau d'agriculteurs qui ont choisi de s'engager bénévolement pour faire de leur exploitation un lieu de débats, de rencontre et de communication pour être un pont entre l'agriculture et la société. »