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Les fongicides affectant les processus respiratoires

Pierre Leroux* et Anne-Sophie Walker* - Phytoma - n°632 - mars 2010 - page 48

Épisode 2 - Modes d'action et phénomènes de résistance chez les fongicides unisites inhibiteurs du complexe III (QoI et QiI), et phénomènes de type MDR (multidrug resistance)
Oïdium du blé (ph. AS Walker)

Oïdium du blé (ph. AS Walker)

Mildiou de la pomme de terre. Dû à Phytophthora infestans, il est la cible de certains QoI (famoxadone, fénamidone), mais aussi de la cyazofamide, etc. ph. MF Delannoy

Mildiou de la pomme de terre. Dû à Phytophthora infestans, il est la cible de certains QoI (famoxadone, fénamidone), mais aussi de la cyazofamide, etc. ph. MF Delannoy

Septoriose du blé. Son agent Mycosphaerella graminicola est concerné par la résistance aux QoI ainsi que par la multirésistance de type MDR. ph. AS Walker

Septoriose du blé. Son agent Mycosphaerella graminicola est concerné par la résistance aux QoI ainsi que par la multirésistance de type MDR. ph. AS Walker

Voici le deuxième et dernier épisode de notre point sur les fongicides affectant les processus respiratoires. Portrait des QoI : strobilurines et autres fongicides agricoles ou médicaux. Puis des QiI, fongicides et antibiotiques. Point sur les résistances des champignons phytopathogènes à ces fongicides et leurs mécanismes, notamment la « substitution G143A » terreur des strobilurines et l'AOX (« alternative oxydase ») ou respiration alternative. Rappel sur les MDR, multidrug resistance connues en médecine mais qui touchent aussi les fongicides agricoles et que nous avions présentées en décembre (1).

Et, pour finir, parallèle avec certains insecticides, acaricides et herbicides. Les deux épisodes, tirés d'une communication à la CIMA (2), complètent un article plus général sur les inhibiteurs respiratoires à usage agricole publié dans Phytoma n° 494 de mai 1997 (Leroux & Delorme).

Le mois dernier (Phytoma n° 631), nous avons présenté le mécanisme de « respiration cellulaire » puis certains fongicides affectant ce mécanisme : les multisites, ceux affectant la biodisponibilité de l'ATP et ceux inhibant le complexe II de la chaîne respiratoire mitochondriale, notions que nous avons expliquées. Nous présentons ici l'autre grande catégorie d'unisites : ceux qui affectent le complexe III (présenté dans l'encadré 1). Cette classe de fongicides comporte des matières actives récentes ou en développement et concernées par les phénomènes de résistance.

Puis nous évoquerons la multirésistance de type MDR, multidrug resistance, qui peut affecter simultanément des fongicides appartenant à des catégories différentes.

Inhibiteurs du complexe III, présentation

Les fongicides inhibiteurs du complexe III, d'origine naturelle ou synthétique, sont classés en groupes selon leurs mécanismes d'interactions moléculaires (Tableau 1).

Les plus nombreux interférant avec l'oxydation de l'ubiquinol sont les QoI. On parle aussi de classe P car leur site de fixation est proche de la face externe de la membrane mitochondriale qui est chargée positivement. Ces QoI induisent un changement de conformation de la sous-unité ISP qui devient plus mobile (sous classe Pm) ou plus fixe (sous classe Pf).

Une seconde classe d'inhibiteurs interfère spécifiquement avec la réduction de l'ubiquinone ; ce sont les QiI ou classe N (leur site de fixation est proche de la face interne, chargée négativement, de la membrane mitochondriale).

Enfin, quelques molécules bloquent les deux réactions. On parle de QoiI ou classe PN.

À noter : beaucoup de ces substances ne sont pas des inhibiteurs compétitifs de l'ubiquinone cytochrome c reductase mais pourtant occupent une partie du site de fixation du coenzyme Q.

Fongicides QoI, des strobilurines...

Dans les années 90, une nouvelle famille de fongicides polyvalents est apparue : les strobilurines, dites ainsi car ces molécules organiques de synthèse sont des analogues structuraux de substances naturelles comme la strobilurine A (Tableau 1) produite par des champignons lignicoles dont Strobilurus tenacellus.

Les strobilurines naturelles ont été découvertes par des chercheurs tchèques à la fin des années 1960. Leur mode d'action au niveau du complexe III (ce sont des QoI) a été élucidé une dizaine d'années plus tard par des universitaires allemands.

Ces strobilurines naturelles ont de bonnes potentialités antifongiques mais elles sont trop volatiles et instables à la lumière pour être utilisables au champ. Grâce à la synthèse de nombreux analogues, notamment en remplaçant le pont (Z)-oléfinique par un cycle benzénique, des fongicides agricoles performants ont été élaborés.

L'azoxystrobine et la picoxystrobine ont le même toxophore que les strobilurines naturelles : un méthyl-β-méthoxyacrylate.

Mais une flexibilité existe chez les strobilurines agricoles : il y a des méthyl-méthoxyiminoacétates (ex : krésoxim-méthyl, trifloxystrobine), des méthyl-méthoxycarbamates (ex. pyraclostrobine) et des méthyl-méthoxyiminocétamides (ex : métominostrobine, dimoxystrobine) ; la fluoxastrobine qui comporte une dihydro-dioxazine est proche des méthyl-méthoxyiminoacétamides.

Ces strobilurines sont efficaces sur de nombreux Ascomycètes, Basidiomycètes, Adelomycètes et Oomycètes. Cette polyvalence ainsi que leur excellente action préventive les rapproche de certains fongicides multisites mais avec des doses d'utilisation environ 10 fois plus faibles (50 à 250 g/ha). De plus, la plupart présentent des transferts foliaires translaminaires et certains peuvent être véhiculés par le xylème ou être redistribués à l'extérieur en phase vapeur.

... et d'autres substances agricoles ou médicales

Deux autres QoI très efficaces contre les Oomycètes sont utilisés en France ; une oxazolidinedione, la famoxadone, et une imidazolinone, la fénamidone (Tableau 1).

Le pyribencarb, en cours de développement au Japon, a un benzylcarbamate pouvant correspondre au toxophore des strobilurines. Mais l'absence de résistance croisée systématique avec les autres QoI suggère une interaction différente avec le cytochrome b.

Enfin, dans le domaine médical, l'atovaquone est aussi un QoI ! Cette hydroxynaphtoquinone est développée depuis les années 1990 notamment contre la malaria due à Plasmodium sp. et des pneumonies à Pneumocystis.

QiI : des antibiotiques, un herbicide, des fongicides

Les inhibiteurs de type QiI connus à ce jour sont des antibiotiques (origine biologique) comme l'antimycine A et l'ilicoline H et des substances synthétiques, dont l'herbicide diuron et une famille d'antimildious ayant tous une diméthylsulfonamide (Tableau 1).

Le premier QiI utilisé en agriculture a été l'antimycine A contre la pyriculariose du riz au Japon, abandonné pour manque de sélectivité.

Pour le diuron, son activité herbicide ne vient pas d'une inhibition de la respiration mais de celle de la photosynthèse. Cette urée substituée, comme beaucoup d'autres herbicides (ex. triazines), se lie avec la protéine D1 du photosystème II impliquée dans la réduction de la plastoquinone (l'équivalent de l'ubiquinone dans les mitochondries).

Quant aux fongicides sulfonamides, le premier représentant mis au point, le diméfluazole, a été abandonné pour raisons toxicologiques. La cyazofamide est commercialisée en France sur pomme de terre, vigne, etc., et l'amisulbron est en cours de développement. Ces trois anti-mildiou affectent la libération des zoospores et leur mobilité, avec une forte activité préventive.

Toutes les molécules qui ont été citées sont représentées dans la figure 1 ci-dessous.

Fongicides inhibiteurs du complexe III, modes d'action

Mode d'action des QoI

La grande majorité des QoI (agricoles ou non) affectent fortement les complexes III issus des cellules fongiques ou animales. Mais leur toxicité aiguë vis-à-vis des mammifères est faible grâce à leur détoxification (notamment clivage du groupe ester méthylique qui est le toxophore des strobilurines). Quant à leur faible toxicité pour les mitochondries végétales, elle est liée à la présence d'acides aminés spécifiques dans le site de fixation des QoI au niveau du cytochrome b. Ainsi, les plantes comportent une alanine en position 143 comme les souches de champignons phytopathogènes résistants aux QoI par la substitution G143A et quelques Basidiomycètes producteurs de strobilurines naturelles.

L'étude des interactions des QoI avec le cytochrome b, conduite notamment sur le complexe III issu des mitochondries du cœur de bœuf, a montré que plusieurs domaines du cytochrome b sont concernés (détails dans l'encadré 2).

En bref, il s'avère que les QoI se lient avec le cytochrome b dans une région où se fixe l'ubiquinone, pas tous exactement sur le même site mais avec certains domaines communs.

Mode d'action des QiI

En dehors de l'antimycine A, nous manquons d'informations précises sur les interactions moléculaires du cytochrome b avec les QiI. Toutefois, il est probable que tous partagent une partie du site de fixation de l'ubiquinone.

Les zones du cytochrome b impliquées se situent vers la matrice mitochondriale et incluent sa partie N-terminale et une partie de l'hélice A (positions 15 à 40). Au niveau de l'hélice D, la zone proche de l'hème bh et notamment l'histidine H202 et la sérine S206 sont essentielles à l'activité catalytique. Enfin, la boucle de et la partie de l'hélice E proche de la matrice sont impliquées dans la fixation des QiI notamment l'antimycine A (ex : lysine L277 et aspartate D228). Chez les anti-oomycètes, la fongitoxicité semble résulter d'une fixation covalente de la sulfonamide dans la zone où l'ubiquinone est réduite.

Retour en 1996

Avant l'introduction des QoI et QiI comme fongicides agricoles, de nombreux mutants de levures et autres micro-organismes résistants à ces substances avaient été produits et analysés au laboratoire. Leur inventaire avec les bases génétiques déterminant la résistance (mutations dans le gène codant pour le cytochrome b) était dressé en 1996 lors du lancement des strobilurines.

Pour la résistance aux QoI, les mutations portaient principalement sur les codons 125 à 150 et 256 à 295. Pour la plupart, les facteurs de résistance étaient faibles et le fonctionnement du complexe III affecté. Mais pas pour les substitutions F129 et surtout G143A ! Ce qui remettra en cause l'efficacité des strobilurines agricoles.

Concernant les QiI, les changements affectent des acides aminés situés entre les positions 30 et 50 et 200 à 240. Globalement, les niveaux de résistance sont faibles.

Résistance aux QoI

Aujourd'hui, G143A et les autres

A ce jour, plus de 27 espèces de champignons phytopathogènes sont concernés par la résistance aux QoI. Il s'agit d'Ascomycètes (ex : Venturia sp., Pyrenophora sp., Blumeria graminis, Mycosphaerella graminicola, agents respectifs de tavelures, d'helminthosporioses, d'oïdium des céréales et de septoriose du blé), d'Adélomycètes (ex : Alternaria sp.) et de quelques Oomycètes (ex. Plasmopara viticola agent du mildiou de la vigne mais pas celui de la pomme de terre Phytophthora infestans).

Le plus souvent, une résistance très forte à tous les fongicides QoI est déterminée par la substitution G143A au niveau du cytochrome b.

Chez certains pathogènes comme A. solani ou P. teres, seules des souches faiblement à moyennement résistantes ont été décelées ; elles portent la substitution F129L, cause de réduction notable d'efficacité de certaines strobilurines (ex : azoxystrobine) mais sans incidence sur d'autres (ex : pyraclostrobine).

Chez quelques pathogènes (P. viticola et P. tritici-repentis), des isolats présentant les substitutions F129L ou G143A peuvent coexister dans une même parcelle. À noter : le changement G137R conduisant à une résistance faible à moyenne n'a été observé à ce jour que chez P. tritici-repentis.

Chez d'autres champignons dont A. solani, P. teres ainsi que les agents des rouilles, l'absence de souches résistantes par substitution G143A s'explique par la présence d'un intron de type I entre les codons 143 et 144 du gène codant pour le cytochrome b. Si cet intron est présent, la mutation G143A empêche la formation d'un cytochrome b fonctionnel : elle est létale.

Chez B. cinerea, des souches avec ou sans intron (entre les codons 143 et 144) coexistent au sein d'une même population et on n'observe la résistance aux QoI que chez les individus dépourvus d'intron.

Parallèle avec le médical

Chez les champignons phytopathogènes, aucun changement d'acide aminé n'a été détecté au niveau de la boucle cf du cytochrome b chez les isolats résistants aux QoI collectés au champ. Mais dans le domaine médical, une résistance faible à forte a été observée chez des isolats de Pneumocystis sp. et Plasmodium sp et chez des mutants de laboratoire de levure.

Ainsi, les substitutions Y279C/S induisent une forte résistance à l'atovaquone. Mais toutes les mutations du gène cytb portant sur des codons localisés dans la boucle ef entraînent une réduction de l'activité du cytochrome b. Ceci pourrait induire une fitness moindre, ce qui expliquerait l'absence de telles mutations chez les champignons phytopathogènes.

Particularités mitochondriales

Une particularité de la résistance aux QoI, qui pourrait s'appliquer aussi aux QiI, est que, comme le gène du cytochrome b est mitochondrial, son hérédité est maternelle, alors qu'elle est biparentale pour les résistances déterminées par un gène chromosomique.

Par ailleurs, lorsqu'une mutation apparaît dans l'ADN d'une mitochondrie, elle peut parfois envahir l'ensemble des mitochondries d'une cellule. On passe ainsi d'une situation hétéroplasmique à une résistance homoplasmique. Les observations à ce sujet sont fragmentaires mais, vu l'évolution de la résistance aux QoI au champ, il semble que lorsque des individus résistants homoplasmiques émergent, leur sélection s'opère comme celle observée pour des résistances nucléaires.

Enfin, en dehors des changements qualitatifs du cytochrome b qui réduisent son affinité pour les QoI, il est possible que certaines souches fortement résistantes portent des changements structuraux au niveau de la sous-unité ISP du complexe III. Ce phénomène est envisagé chez des souches d'un oïdium des cucurbitacées (Podosphaera fusca) détectées en Espagne¸ alors qu'au Japon le génotype G143A est dominant. Il pourrait également toucher certaines souches de B. cinerea, M. majus et V. inaequalis.

G143A, plus ou moins de fitness

La fitness (potentialité biotique) des souches résistantes aux QoI par le changement G143A semble différer selon les espèces.

Ainsi, chez B. graminis f. sp. tritici agent de l'oïdium du blé, la dissémination très rapide de la résistance suggérait que la fitness des souches n'était pas affectée. Cela a été confirmé par études biochimiques et tests de compétition.

En revanche les tests sur des Oomycètes (mildiou de la vigne), l'oïdium des cucurbitacées ou la tavelure des pommes montrent un léger effet délétère de la substitution G143A.

Côté oïdium, l'émergence plus lente de la résistance chez B. graminis f. sp. hordei et Erysiphe necator que chez B. graminis f. sp. tritici suggère une moindre fitness pour les deux premiers.

Par ailleurs, au Japon, sur cultures maraichères, l'arrêt des traitements à base de QoI conduit pour plusieurs espèces à une régression des souches résistantes. Elle pourrait résulter d'une réversion de la résistance homoplasmique vers une résistance hétéroplasmique conduisant à la sensibilité aux QoI.

Toutefois, dans la plupart des cultures, l'emploi des QoI est maintenu car certains champignons phytopathogènes leur restent sensibles (ex : rouilles des céréales). Une disparition rapide de la résistance chez les espèces fongiques concernées est donc peu probable.

Résistance aux QiI

Pour l'instant, aucune résistance aux diméthylsulfonamides anti-mildiou liée à une modification qualitative du cytochrome b n'a été décelée à notre connaissance. Les souches d'Oomycètes comportant les mutations F129L et G143A demeurent sensibles à ce groupe de QiI.

À noter que des propriétés équivalentes (très bonne activité préventive anti-mildious et absence de résistance croisée avec des QoI) sont signalées pour une triazolopyrimidine, l'amétoctradine ou BAS 650F (Figure 1). Cette substance, qui inhibe le complexe III sans porter le motif dimethylsulfonamide, a peut-être un site de fixation différent sur le cytochrome b.

Résistance à tous les inhibiteurs du complexe III, voilà l'AOX

Ce qu'est cette respiration alternative

Une résistance simultanée à tous les inhibiteurs du complexe III ainsi qu'à ceux du complexe IV (ex : cyanure) peut être permise par le fonctionnement d'une alternative oxydase (AOX) ou ubiquinol oxydase. Cette AOX permet le transfert des électrons transitant par la chaine respiratoire mitochondriale. Mais elle a un « coût ». Elle entraîne une carence énergétique de l'ordre de 60 % du fait de la disparition de deux sites de translocation des protons nécessaires au fonctionnement de l'ATP synthase.

Cette respiration alternative existe chez les champignons et les plantes mais pas les animaux. Chez Candida albicans, deux AOX ont été détectées : l'une présente en permanence à un faible niveau, l'autre est induite par des inhibiteurs mitochondriaux. En revanche, les champignons phytopathogènes ne semblent en posséder qu'une seule.

Ce qu'on sait de ses effets

Particularité de l'AOX : elle est inhibée spécifiquement par quelques molécules dont le propyl gallate et l'acide salicylhydroxamique (SHAM). Des tests in vitro utilisant ces inhibiteurs ont permis d'évaluer l'impact de l'AOX sur l'activité des inhibiteurs du complexe III.

D'abord, les essais conduits avec des strobilurines sur des souches sensibles montrent que l'AOX intervient peu ou pas chez certaines espèces fongiques (ex : M. graminicola, Microdochium sp., V. inaequalis) alors que pour d'autres tel B. cinerea ou Fusarium graminearum elle limite fortement la fongitoxicité des QoI et de l'antimycine A. Voilà qui pourrait expliquer pourquoi les strobilurines maîtrisent mal la pourriture grise et les fusariums !

Chez la plupart des mutants de laboratoire et des souches au champ pour lesquels l'AOX est impliquée, la résistance aux inhibiteurs du complexe III est faible à modérée. De plus, elle est parfois instable. Enfin la fréquence des mutants est souvent faible. Tout cela suggère une fitness réduite. Ceci concernerait certains isolats de M. graminicola, M. majus et P. viticola. A noter : chez ces espèces, la résistance spécifique aux QoI déterminée par le changement G143A du cytochrome b est très présente.

La situation de V. inaequalis est plus complexe avec des souches très résistantes aux QoI et à l'antimycine mais dont le cytochrome b n'est pas modifié. Chez ces souches, le SHAM synergise l'effet des strobilurines au niveau des spores mais pas du mycélium. On en déduit que l'AOX est impliquée durant la germination des spores mais qu'un autre mécanisme détermine la résistance durant la croissance mycélienne. En conclusion, l'AOX n'induit peut-être pas une forte résistance en pratique avec perte d'efficacité des fongicides. Mais elle peut permettre la survie de souches qui ensuite pourraient développer des résistances liées à des mutations du gène du cytochrome b.

Multirésistance de type MDR

Transporteurs membranaires, les « videurs » de cellules

La résistance simultanée à plusieurs classes de molécules toxiques de type MDR (multidrug resistance) résulte de la production accrue de transporteurs membranaires limitant la quantité intracellulaire des substances concernées.

Il existe des transporteurs soit à ABC (ATP-binding cassette) qui utilisent l'énergie libérée lors de l'hydrolyse de l'ATP, soit de type MFS (major facilitator superfamily) fonctionnant grâce au gradient électrochimique existant au niveau de la membrane cytoplasmique.

Pour les antifongiques, ce mécanisme est bien connu dans le domaine médical vis-à-vis des triazoles inhibiteurs de la 14α-déméthylation des stérols (IDM), mais bien moins fréquent chez des champignons phytopathogènes.

Agriculture, trois cas identifiés

Nous avons identifié quelques cas chez B. cinerea, M. graminicola et Oculimacula yallundae (agents de la pourriture grise, de la septoriose et du piétin-verse du blé). Ils ont fait l'objet d'une communication à la CIMA de l'AFPP et d'un article dans Phytoma, le tout en décembre 2009. En résumé : ils montrent que les facteurs de résistance liés à la MDR sont en général faibles. Il en est de même des mutants de laboratoire présentant une production accrue de ces transporteurs.

Pour ces trois pathogènes, nous avons montré que chez les carboxamides, le boscalid était concerné mais pas la carboxine. Parmi les inhibiteurs du complexe III, les plus lipophiles (pyraclostrobine et trifloxystrobine) sont plus affectées que l'azoxystrobine ou l'antimycine A. Enfin, le fluazinam peut être concerné mais pas les multisites.

Très récemment chez B. cinerea, deux transporteurs ont été identifiés chez des souches MDR à spectres de résistance croisée différents. Un transporteur à ABC intervient vis-à-vis du fluazinam et des QoI et un transporteur de type MFS opère vis-à-vis du boscalid et des QoI.

Pour M. graminicola, chez la plupart des souches résistantes aux QoI et portant la substitution G143A, le gène MgMfs1 codant pour un transporteur à MFS est sur exprimé. Ceci pourrait compenser la réduction de fitness liée à la modification du cytochrome b. Une autre hypothèse serait que (comme avec l'AOX) les souches MDR pourraient mieux survivre aux traitements puis développer des résistances fortes liées à des mutations dans le gène cytb.

Conclusion

Aujourd'hui, les fongicides agricoles affectant les processus respiratoires, en général polyvalents et à fort activité préventive, occupent une belle part de marché. Leurs deux grandes catégories, multisites et unisites, se différencient par leurs doses d'utilisation, moindres pour les unisites, et pour la résistance : les multisites lui échappent.

Résistances, les différences

Il y a des différences notables entre unisites :

– résistances mono (ou di) alléliques aux QoI déjà implantées chez de nombreux pathogènes majeurs ;

– résistances multigéniques et multialléliques vis-à-vis des SDHI, en émergence ;

– absence de résistance vis-à-vis des QiI dont l'utilisation est encore limitée.

Parallèle avec d'autres produits

Les fongicides agricoles inhibant les complexes mitochondriaux II et III empêchent tous la fixation de l'ubiquinol ou de l'ubiquinone au niveau des sites protéiques récepteurs de ce coenzyme. Ce mode d'action est similaire à celui des insecticides et acaricides inhibiteurs du complexe mitochondrial (ex : roténone, fénazaquin, fenpyroximate, pyridabène, tebufenpyrad). Par ailleurs il y a des similitudes avec les herbicides inhibiteurs de la photosynthèse type triazines ou urées substituées. Ceux-ci, se fixant sur la protéine D1 du photosystème II au niveau de laquelle la plastoquinone (quinone similaire à l'ubiquinone) est réduite, stoppent le transfert des électrons au niveau de la chaîne photosynthétique des membranes chloroplastiques.

Et demain ?

Les connaissances récentes acquises sur ces récepteurs quinoniques chez les microorganismes, champignons, plantes et animaux pourraient être utilisées pour développer de nouveaux pesticides. On pourrait ainsi rechercher des fongicides polyvalents inhibiteurs du complexe mitochondrial I ou de nouveaux QiI (ex. : analogues structuraux de la funiculosine ou de l'helicicoline H). Mais même une connaissance fine des interactions fongicides/cible ne permet pas d'évaluer a priori les risques de résistance encourus. Quant à la mise au point de molécules multisites utilisables à faibles doses, elle apparaît problématique sous l'angle de la sélectivité et de l'efficacité.

Et au final, doit-on continuer à chercher des fongicides agricoles, et en général des pesticides, inhibant une fonction aussi vitale pour tous les organismes qu'est la respiration cellulaire ?

<p>* INRA, UMR 1290 BIOGER-CPP. Bât 13. Avenue Lucien-Brétignières. BP 01. 78850 Thiverval-Grignon walker@versailles.inra.fr</p> <p>(1) <i>Phytoma</i> n° 629, décembre 2009, p. 26.</p> <p>(2) Conférence internationale sur les maladies des plantes de l'AFPP, Association française de protection des plantes.</p>

1 - Structure et fonctionnement du complexe III

Au niveau de la chaîne respiratoire mitochondriale, le complexe III ou bc1 catalyse le transfert des électrons de l'ubiquinol au cytochrome c, processus couplé avec la translocation transmembranaire des protons nécessaires au fonctionnement de l'ATP synthase.

Chez les eucaryotes, le complexe III comporte 10 à 11 peptides et fonctionne sous forme d'un dimère. Le cytochrome b (seule sous-unité codée par un gène mitochondrial), la protéine fer-soufre Rieske (ISP) et le cytochrome c1 sont les 3 éléments majeurs du site actif de l'ubiquinol cytochrome c réductase. Lors de cette réaction, les électrons sont transférés via des atomes de fer inclus dans 2 hèmes du cytochrome b (bl et bh), dans un cluster [2Fe-2S] de l'ISP et dans 1 hème du cytochrome c1.

Ces 3 sous-unités sont insérées dans la membrane mitochondriale interne grâce à des hélices transmembranaires (TM) : 8 pour le cytochrome b et 1 pour chacune des autres.

Concernant l'apoprotéine du cytochrome b, les huit TM (A à H) sont regroupées en 2 faisceaux. Le premier (A-E) fixe, par l'intermédiaire d'histidines, les hèmes bl et bh situés respectivement vers les faces externes et internes de la membrane mitochondriale. Ces hélices sont reliées par des boucles dont une (boucle ef) localisée sur la face interne et trois (boucles ab, cd et ef) sur la face externe participent à la fixation du coenzyme Q. À noter : la partie N terminale située dans la membrane (face interne) est également impliquée.

En fait, il y a deux sites de fixation : un proche de la matrice des mitochondries (Qi, i pour « in », « intérieur » en anglais) contribue à la réduction de l'ubiquinone, et l'autre situé vers l'extérieur (Qo, o pour « out », « extérieur » en anglais) où l'ubiquinol est oxydée.

Enfin, il faut signaler que la sous-unité ISP est également impliquée dans ce second site de fixation du coenzyme Q.

Figure 1 - Structures d'inhibiteurs du complexe mitochondrial III.

2 - Mode d'action des QoI, détails

Les interactions des QoI avec le cytochrome b impliquent des acides aminés inclus dans la partie externe de l'hélice C (positions 120 à 135), les boucles externes cd (notamment entre les acides aminés 137 et 150) et ef (positions 270 à 285) et la zone externe de l'hélice F (positions 288 à 300). Aucun de ces domaines n'est impliqué dans la fixation de l'hème bl, mais, dans la boucle ef, le motif PEWY (proline-acide glutamique-ryptophanetyrosine, codons 271-274) très conservé est essentiel à l'activité catalytique.

La plupart des QoI se lient par une liaison hydrogène avec l'acide glutamique 272 via un atome d'oxygène d'un carbonyle (C=O) inclus pour les strobilurines dans leur chaîne latérale (leur toxophore) ou pour la famoxadone et la fénamidone dans leur hétérocycle. Dans la même zone, la proline P271 contribue à la fixation de tous les QoI ; ainsi, chez les fongicides agricoles, elle est en contact d'un phényle proche du carbonyl mentionné précédemment ; quant aux tyrosines Y274 et Y279, elles interfèrent respectivement avec les inhibiteurs Pm et Pf.

Au sein de l'hélice C, la tyrosine Y132 et la phénylalanine F129 sont proches du toxophore des strobilurines et de l'amine secondaire incluse dans les hétérocycles de la famoxadone ou de la fénamidone.

Concernant la boucle cd, la glycine G143 et l'isoleucine I147 interviennent dans la fixation de tous les QoI. Ainsi la glycine G143 se positionne près du phényle commun à toutes les strobilurines synthétiques et de l'aminophényle de la famoxadone et de la fénamidone. Dans cette même zone, l'alanine A144 et la valine V146 interagissent respectivement avec les inhibiteurs de type Pm et Pf. La famoxadone fait exception : elle interfère avec les deux acides aminés.

Enfin, dans l'hélice D, la leucine L295 qui se lie à la partie hydrophobique des strobilurines ne semble pas interférer avec la famoxadone.

Dernier point à signaler : l'impact des QoI sur la sous-unité ISP. En effet, certains comme les strobilurines (sous-groupe Pm) entraînent une mobilité accrue de ce peptide alors que la famoxadone et la stigmatelline A (sous-groupe Pf) l'immobilisent. Ceci pourrait résulter de ce que ces inhibiteurs Pf sont plus proches de l'ISP que les inhibiteurs Pm. D'ailleurs, la plupart des inhibiteurs Pf (sauf la famoxadone), interagissent avec l'histidine H161 qui est un ligand d'un des atomes de fer du cluster 2Fe-2S (Tableau 1 p. 49).

Remerciements

Nous remercions Mme Jocelyne Bach pour la réalisation des tables de molécules chimiques.

Bibliographie

• La bibliographie commune à cet article et à « l'épisode 1 » (32 références), est disponible auprès de : walker@versailles.inra.fr

Résumé

Les fongicides affectant les processus respiratoires sont utilisés contre les champignons pathogènes des plantes cultivées. Les plus anciens, des produits minéraux et des molécules organiques de synthèse « multisites », n'ont jamais été confrontés à la résistance. Mais deux classes d'unisites récentes et affectant spécifiquement les complexes mitochondriaux II (SDHI) ou III (QoI et QiI) peuvent être confrontés à la sélection de souches fongiques résistantes. Après un premier article consacré aux classes anciennes et aux SDHI, cet article expose les modes d'action des QoI et QiI et explique les mécanismes moléculaires de résistance à ces familles, ainsi que le phénomène de multirésistance de type MDR.

Mots-clés : fongicides, respiration mitochondriale, QoI, QiI, strobilurine, résistance.

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