Sclérote d'ergot (la pièce donne l'échelle). Les sphères plus claires sont des stromas : le sclérote est en train de germer. Photo prise le 19 avril 2009. ph. D. Jacquin
Le miellat provoqué par l'ergot englue des conidies de C. purpurea. Il peut être porté par la pluie d'une fleur à l'autre d'un épi, passer d'un épi à l'autre en cas de frottement entre eux et attirer des insectes (cécidomyies...) visitant les épis en fleurs ce qui en fera des vecteurs de la maladie. Photo prise le 26 mai 2009. ph. D. Jacquin
L'ergot du seigle, bioagresseur ancestral, est resté, ou peut-être est redevenu, un parasite des plantes un peu plus courant sur de nombreuses graminées. Son apparition est sporadique sur certaines cultures céréalières ou fourragères. Cette ré-émergence, limitée et bien caractérisée, ne doit pas induire d'inquiétudes. La vigilance reste indispensable pour identifier les facteurs qui en sont la cause afin de les corriger et maîtriser durablement l'ergot. Comprendre comment un risque nouveau émerge, après l'avoir détecté, tel le est la finalité d'une démarche commencée à la fin des années 90 dans le cadre du Comité provisoire de biovigilance. Cet article, à la suite de ceux déjà publiés par Marc Délos notamment sur le concept général et les interactions entre bioagresseurs(1) et Guillaume Fried pour le cas particulier de la flore(2), en est une illustration.
Le lecteur non producteur de céréales à pailles des régions du nord de la France, et même au sein de ceux-ci, sera surpris que l'on puisse parler d'ergot du seigle au présent. Certes, suite à l'année 2009, cette maladie a été plus manifeste dans quelques parcelles du sud de la grande plaine s'étendant au sud-est de Paris, mais nous lui apprendrons qu'indépendamment de cette observation, la présence du champignon était notée de façon sporadique avec un pas de temps de 3 ans n'ayant rien à voir avec sa biologie.
En première approche, ce serait le fruit du hasard. Fruit du hasard mais aussi du « travail » de l'homme car les situations où ce champignon est observé, indépendamment du climat au cours du printemps, semblent réunir certaines caractéristiques dont l'abandon du labour, la présence de graminées dans et autour de la parcelle, suite à des modifications de pratiques, présence synonyme de davantage de biodiversité au sein de laquelle l'ergot trouve plus facilement sa place.
Existerait-il une fatalité, qui voudrait que lorsque l'on modifie un contexte de production on puisse voir émerger ou dans ce cas réapparaître des risques anciens, risques dans ce cas très sérieux car touchant à la santé du bétail et des consommateurs ? Ce n'est pas notre propos.
En revanche, comprendre comment un risque est généré, dans ce cas comme dans beaucoup d'autres, résultant de l'accumulation de différents facteurs favorables pouvant interagir entre eux (on dit aussi, c'est en vogue actuellement : « phénomène multifactoriel ») ; comprendre le système qui conduira au risque, est une nécessité absolue. C'est nécessaire en effet pour agir sélectivement et avec discernement sur les facteurs qui, dans un contexte donné, permettront que le risque devienne négligeable.
Comprendre comment un risque nouveau émerge et identifier comment réagir au mieux en analysant les conditions liées après l'avoir détecté, telle est la double finalité d'une démarche initiée à la fin des années 90 et qui avait reçu le nom de « biovigilance ». Cet article en est une parfaite illustration.
Biologie
Pour comprendre le rôle de l'ergot (Claviceps purpurea), rappelons d'abord quelques éléments de sa biologie.
Le sclérote, forme dormante du champignon
Claviceps purpurea est un champignon discret qui s'active 6 semaines par an. Le reste de l'année, il reste confiné dans un sclérote, sa forme de survie, tapi à la surface du sol ou dans le sol. Lorsqu'il est enterré par un labour au-delà de 7 cm, le sclérote meurt. Le sclérote ne se conserve pas longtemps dans le sol : il n'y a pratiquement plus de sclérotes viables dès la deuxième année.
Le champignon a besoin de périodes froides pour germer au printemps et un hiver trop doux n'est donc pas favorable au champignon. Mais si ce facteur n'apparaît pas limitant dans les grandes plaines céréalières du territoire métropolitain, un hiver froid pourrait amplifier l'épidémie en accélérant les germinations au début du printemps.
Le sclérote dont la forme est pour beaucoup déterminée par les contraintes que lui imposent les glumelles de la plante hôte prend des aspects très différents d'une espèce à l'autre ; sa taille varie considérablement. À maturité, son poids moyen varie de un à cent selon les espèces. Cependant malgré cette diversité, c'est bien le même champignon qui passe d'une espèce à l'autre. Et, en particulier, la composition en alcaloïdes d'une souche reste constante quelle que soit sa plante hôte. C'est d'ailleurs le profil en alcaloïde qui est parfois utilisé pour caractériser une souche.
L'ergot, en détournant des aliments à son profit et de façon plus efficace qu'une vraie graine, diminue les rendements, mais cet effet est négligeable et les pertes ne sont significatives que pour quelques cultures de semences. La véritable face noire du champignon, c'est sa toxicité pour l'homme et pour le bétail.
Les sclérotes renferment en effet des alcaloïdes toxiques responsables de troubles graves pouvant aller jusqu'au décès lorsqu'il n'est pas mis un terme à la consommation d'ergot. À l'état de traces dans l'aliment, des observations récentes ont montré une plus forte prévalence d'infarctus du myocarde lorsque certains alcaloïdes de l'ergot étaient ingérés par des patients prenant parallèlement des antibiotiques macrolides ; cet effet moins médiatisé n'en est pas moins préoccupant pour l'exposition à de faibles doses(3).
Fort heureusement, les toxines, en conditions naturelles, se retrouvent uniquement à l'intérieur des sclérotes et ne sont pas excrétées. Cela explique qu'il suffit de trier des céréales contaminées pour les rendre aptes à la consommation.
Contaminations des épis
Au printemps lorsque les conditions d'humidité et de températures sont favorables le champignon germe, c'est-à-dire qu'il produit des tiges supportant de petites sphères visibles à l'œil nu. En 2009, les premières germinations en Bourgogne ont été observées dès le 19 avril (photo 1).
Les sphères sont en fait des stromas ascogènes dans lesquelles des périthèces vont produire des ascospores ; celles-ci, projetées et emportées par le vent, vont pouvoir contaminer les stigmates de graminées sensibles. La période de sensibilité de la plante est courte, les stigmates doivent être apparents et la fleur ne doit pas être encore fécondée ; en effet, après la fécondation, la fleur devient rapidement réfractaire. Après son passage dans le stigmate, l'hyphe mycélien, sans se ramifier, traverse les tissus ovariens, se dirige vers le rachillet et va se brancher finalement sur les vaisseaux conducteurs qui devraient alimenter la graine. Ceci accompli, il va pouvoir se développer en un tissu qui va remplacer l'ovaire. Au bout de 5 à 10 jours, le champignon produit des conidies et provoque la formation de miellat (photo 2).
Cette phase conduit à des contaminations secondaires qui vont amplifier l'épidémie. Le miellat transporté par la pluie permet de propager les conidies d'une fleur à l'autre à l'intérieur d'un même épi. Le frottement des épis entre eux disperse également le miellat et ses conidies. Par ailleurs, le miellat sucré attire les insectes qui peuvent alors contribuer à la propagation de la maladie.
Malgré tout, la contamination des épis ne peut se faire que pendant une fenêtre temporelle réduite. Par exemple, en 2009 sur orge la période sensible n'a duré que 6 jours. La nécessité simultanée de spores de Claviceps et de fleurs sensibles demeure ainsi un évènement rare pour les céréales à fécondation fermée.
Maîtrise dans les cultures
Il existe des années à ergots quand le climat est favorable au parasite. Au cours des dernières années, les Services régionaux de la protection des végétaux (aujourd'hui Services régionaux de l'alimentation) ont noté des pics de contaminations en 2000, 2003, 2006 et 2009.
Mais, par ailleurs, on observe que le contexte agricole peut faire varier la probabilité de risque d'attaque essentiellement en influant la durée où la plante est sensible et la quantité d'inoculum du parasite. Ainsi on a pu expliquer par le passé des fluctuations de l'importance du parasite par des modifications des pratiques.
1960-2000, herbicides puis hybrides
Par exemple dans les années 60, l'utilisation d'une nouvelle famille d'herbicide, les hormones de synthèse, a globalement favorisé les graminées adventices par rapport aux dicotylédones et cela est une explication avancée à la recrudescence de l'ergot observée dans les cultures à cette époque.
Dans les années 80, c'est l'apparition des variétés de blé hybrides qui aurait été à l'origine d'une augmentation des attaques d'ergot. La fécondation se faisant moins bien, la fleur reste ouverte et est donc sensible plus longtemps.
Années 2000, graminées adventices et non-labour
Dans les années 2000, différentes évolutions des conditions de culture peuvent être envisagées comme autant de facteurs favorisants potentiels :
– la présence de graminées adventices mal contrôlées dans les parcelles (liées ou non à des résistances de ces graminées à certains herbicides),
– l'abandon du labour (pouvant favoriser les graminées adventices dans les parcelles),
– une plus grande présence de graminées en fleur, dans ou surtout autour des parcelles, du fait de la généralisation des bandes enherbées et zones tampons destinées à éviter le transfert de nitrates et pesticides dans les eaux.
D'autres facteurs semblent pouvoir moduler le risque. On peut citer un antagonisme entre Fusarium roseum et C. purpurea. En revanche, même si on arrive à produire en fermenteur des alcaloïdes sans formation de sclérote, en conditions naturelles, le mycélium ne se développe pas en saprophyte sur les débris de culture. Il n'est donc pas favorisé par les résidus de paille. Le précédent joue toutefois un rôle, mais l'ergot est favorisé aussi bien par un précédent où la culture est une graminée qu'une autre culture dans laquelle les graminées seraient mal contrôlées.
Rôle réservoir joué par différentes espèces de graminées
Panicoïdés épargnés, poiidés touchés
Bien que discret, C. purpurea est très commun pour un regard entraîné sans être forcément expert. On ne le trouve pas sur les panicoïdés tels que des graminées estivales comme le panic, la digitaire et la sétaire ou des cultures comme le maïs ou le miscanthus.
En revanche, on le repère assez facilement sur avoine à chapelets (Arrhenatherum elatius subsp. bulbosum), chiendent (Elytrigia repens), dactyle (Dactylis glomerata), fétuques (Festuca sp.), fléole (Phleum pratense), houlques (Holcus sp.), ray-grass (Lolium sp), vulpin (Alopecurus myosuroides) (photos ci-dessus, figure 1).
Pooidées, sensibilités variées
Toutes les graminées de la sous-famille des pooidées peuvent être infectées, mais plus ou moins. Un élément qui permet en grande partie d'expliquer la différence de sensibilité entre pooidés est le caractère plus ou moins ouvert de leur floraison. Les spores contaminent les stigmates lorsqu'ils sont apparents.
Le vulpin ou le ray-grass, qui sont allogames, sont plus souvent touchés que le brome stérile ou la vulpie qui sont cléistogames. Il peut être bon de savoir quelles espèces peuvent être moins sensibles à l'ergot, par exemple pour établir une bande enherbée. Selon une étude anglaise, la crételle des prés (Cynosurus cristatus) pourrait être intéressante à ce point de vue car elle ne serait jamais contaminée.
Quelles graminées pour quel rôle dans le maintien de l'ergot ?
Depuis longtemps, les chercheurs ont cherché à déterminer une spécialisation d'hôte. Et en effet on observe qu'une souche d'ergot obtenue à partir d'une espèce contamine plus facilement l'espèce dont elle est issue qu'une autre. Les souches expriment ainsi une affinité préférentielle pour un hôte ou une gamme d'hôtes.
Pathovars instables mais quand même trois groupes
Différents auteurs ont tenté d'établir un catalogue des variétés d'ergots (pathovars) selon ces patrons d'affinités. Mais, avec le recul, on s'est aperçu que ses variétés n'étaient que peu stables dans l'espace ; elles ne sont pas semblables d'un pays à l'autre. Les techniques de biologie moléculaire (RAPD, RFLP) n'ont pas non plus, permis de les confirmer.
En revanche, ces techniques ont permis de distinguer clairement trois groupes nommés G1, G2 et G3 qui se différencient également par d'autres critères (tailles des conidies ou densité du sclérote).
Or, il apparaît que si le groupe G3 semble lié à une spécialisation d'hôte, inféodé dans la nature aux seules espèces Spartina et Distichlis, espèces de la sous-famille des chloroideae qui vivent dans milieux écologiques particuliers (marais salés), les deux groupes G1 et G2 ont une gamme d'hôtes très large et la spéciation semble plus liée à une adaptation écologique qu'à une spécificité d'hôte. Les souches du groupe G1 se retrouvent préférentiellement dans des milieux ouverts comme les prairies ou les champs. Celles du groupe G2 apparaissent plutôt dans des milieux humides et ombragés.
Sur certaines espèces, on trouve essentiellement des souches appartenant au groupe G1 : céréales, ray-grass ou chiendent. Sur d'autres espèces, on rencontre essentiellement des souches du groupe G2 : pâturin annuel (Poa annua), molinie bleue (Molinia caerulea), baldingère faux-roseau (Phalaris arundinacea), roseaux du genre Phragmites...
Intérêt pratique
Ces informations présentent un intérêt pratique. Une souche contamine plus facilement son espèce hôte d'origine qu'une autre et en particulier les fécondations croisées entre espèces adaptées à G1 ou à G2 sont difficiles. Cela semble par exemple exclure que le pâturin annuel, sur lequel on observe la formation de conidies tout au long de l'année, puisse jouer un rôle dans la propagation de l'épidémie sur céréales. D'autres espèces semblent pouvoir être indifféremment hôte de souche G1 ou G2 comme D. glomerata ou A. myosuroides.
Dans nos conditions européennes, il semble qu'on observe de gros écarts dans l'efficacité des fécondations croisées à partir de souches issues de dactyle dont on peut penser que certaines sont du groupe G1 et d'autres du groupe G2. Mais l'hypothèse reste à vérifier.
Pour notre part, nous avons constaté en 2009 des contaminations croisées entre vulpin et céréales ; une analyse moléculaire plus poussée de caractérisation des souches serait ici intéressante.
Si les graminées sauvages ou cultivées jouent un rôle important dans la dynamique de l'ergot, le champignon, de par sa plasticité, s'est adapté aux diverses conditions (climat, population et phénologies des plantes hôtes ou espèces potentielles d'insectes vecteurs). Il faut donc tenir compte de ces spécificités et des études menées au Canada, en Nouvelle-Zélande ou en Turquie ne sont probablement pas entièrement transposables en France. Il n'est donc pas inutile que des études soient menées en France.
Quels éléments pour préserver les cultures ?
Pour protéger les cultures, deux types d'approche sont possibles :
• On peut chercher à préserver la culture par un traitement fongicide destiné à protéger la fleur. Pour cela, il est possible d'établir un modèle qui simule à partir de données climatiques la croissance de la céréale et celle du parasite et indique, si besoin, quand traiter ; mais on peut penser que dans un contexte où l'on cherche à réduire les apports de matière phytopharmaceutique, c'est une solution qu'il faudrait chercher à éviter. Mais surtout la démarche est peu utile car, hormis pour le seigle, la prévalence de la maladie est extrêmement faible et, techniquement, protéger le stigmate est difficile. Les quelques essais réalisés dans ce sens sont logiquement peu concluants en termes d'efficacité.
• On peut chercher à repérer, dans les systèmes de culture, les facteurs principaux qui vont jouer sur la prévalence de l'ergot et voir comment ces effets interagissent. Ainsi on peut avoir l'ambition de déterminer dans quelle mesure les graminées, les insectes, le travail du sol ou la rotation sont à prendre en compte et donner des indications fondées sur la gestion des graminées de l'environnement ou la conduite de la culture. C'est plutôt vers ce genre d'approche de 'biovigilance' que nous nous orientons.
Conduite d'une enquête pour repérer les principaux facteurs facilitant l'ergot
Observations de 2009
Face à la récurrence de l'ergot au cours de cette dernière décennie, différents acteurs de la filière céréales se sont mobilisés. Pour n'en citer que quelques-uns, Arvalis, la FNAMS, des Services régionaux de l'alimentation et des Fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles, Makhteshim, Bayer Cropscience ont lancé des actions.
Pour sa part la Direction générale de l'alimentation du Ministère de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche a initié une thèse au sein de l'INRA (UMR Biologie Gestion des Adventices et Université de Bourgogne).
En 2009, des contaminations ont été observées sur seigle mais aussi localement sur diverses céréales (blé tendre, orge d'hiver et de printemps, triticale). En Bourgogne, le facteur explicatif prédominant était la présence de séquences pluvieuses de plusieurs jours pendant la floraison. Une première approche a permis de repérer facilement des ergots en juillet sur diverses graminées (18 espèces). En Bourgogne, on rencontrait en particulier des contaminations massives en bordure de parcelle sur chiendent (E. repens).
Informations en culture
Les informations concernant l'ergot ne circulent pas toujours facilement ; les agriculteurs qui sont confrontés la première fois au problème s'interrogent et des situations sont ainsi repérées. Par contre là où le problème est connu, une certaine discrétion semble régner tant que les conditions qui entraînent une déclaration obligatoire ne sont pas réunies au sens du paquet hygiène(4).
Tout semble mis en œuvre grâce à des tris adaptés, pour que le risque de contamination des lots commerciaux soit au final totalement négligeable et dans tous les cas, très en deçà du seuil imposé par la réglementation.
Sur graminées sauvages et dans les essais
Par ailleurs, l'ergot présent sur les graminées sauvages n'est généralement pas remarqué et peu de notations sont à conduire dans les parcelles d'essais à la période où les observations d'ergot seraient les plus faciles (une quinzaine de jours avant la récolte). De ce fait, les informations restent éparses... La réglementation n'imposant aucune pénalité lorsqu'il y a moins de 0,5 g par kilo de céréale, la très grande majorité des cas d'ergot pourrait être déclarée sans autre conséquence qu'une préconisation de surveillance attentive, et ceci d'autant plus que le phénomène de contamination par l'ergot reste peu fréquent sous le climat français comparativement à l'Allemagne ou aux pays d'Europe du Nord.
<p>* INRA, Biologie Gestion des adventices. 17, rue Sully. BP 86510. 21065 Dijon cedex. dominique.jacquin@dijon.inra.fr</p> <p>** Expert Biovigilance. Ministère de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche. SRAL Midi-Pyrénées.</p> <p>(1) Délos M., & al., La biovigilance, des OGM au général - <i>Phytoma</i> n° 589, janvier 2006, p. 44.</p> <p>(2) Fried G. & al., Mauvaises herbes du maïs, ce qui a changé en 30 ans - <i>Phytoma</i> n° 586, octobre 2005, p. 47. Fried G. & al., Flore adventice du tournesol - <i>Phytoma</i> n° 596, septembre 2006, p. 37. Fried G. & al., Réseau Biovigilance flore en grandes cultures - <i>Phytoma</i> n° 610, décembre 2007, p. 10.</p> <p>(3) http://www.ask.novartispharma.ca/download.htm?res=cafergot_patient_f.pdf</p> <p>(4) Règlement-cadre (178/2002 /CEE) et règlements associés 852/2004 ; 853/2004 ; 183/2005) dits « paquet hygiène ».</p>
1 - L'ergot, à rechercher ou à éviter : plus de 2 000 ans d'histoire(s)
L'homme de l'hémisphère nord côtoie depuis toujours l'ergot du seigle. On a retrouvé sa trace dans les viscères de l'Homme de Tollund (Danemark, IVe siècle avant notre ère). Son action et sa présence sont évoquées dans d'anciens textes babyloniens ou perses.
Cause de graves épidémies, l'ergot a depuis longtemps suscité de nombreuses études. Comme il entre par ailleurs dans la composition de médicaments, il était jusqu'à récemment un des champignons les plus cultivés pour lutter contre la migraine. Aussi l'intérêt à son sujet ne s'est-il jamais vraiment relâché. Les évolutions agricoles en faveur de l'environnement et de la biodiversité font craindre des évolutions favorables à cette espèce.
Histoires de méfaits
Au Moyen-Age, surviennent en Europe de terribles épidémies d'ergotisme, reportées parfois avec précision par les chroniques de l'époque. Ainsi l'épidémie de 857 est décrite par les annales de Xanten et celles 994 par Adhémar de Chabanne ou Raoul Glaber.
Un ordre religieux, les Antonins, fut instauré par le pape Urbain II pour lutter contre ce qu'on appelait le feu de saint Antoine. La « maladie » resta un problème de santé majeur jusqu'à être supplantée par l'apparition de la grande peste au milieu du XIVe siècle. L'intoxication chronique ne put vraiment être maîtrisée qu'à partir du XVIIe siècle lorsque l'on en comprit la cause. Même à l'époque moderne, la vigilance doit rester de mise pour éviter les accidents chez le bétail et même les hommes.
Dans un article sur l'ergot en France, on se doit d'évoquer l'affaire du « pain maudit de Pont-Saint-Esprit » où l'ergot fut d'abord accusé. Puis la justice a retenu l'hypothèse d'une intoxication mercurielle mais avec du recul, aucune des deux hypothèses n'est vraiment plausible. Voir dans Phytoma n° 323, l'article de R.-L. Bouchet. Aujourd'hui, on suspecte l'action d'Aspergillus fumigatus ou d'un agent blanchissant la farine, sans compter la publication récente d'une hypothèse américaine plus ou moins stupéfiante... L'affaire reste un exemple de crise alimentaire mal maîtrisée.
En éthiopie, en 1977-1978, la consommation d'orge provoqua la mort de 47 personnes. Des intoxications furent également reportées en 2001. C'était de l'avoine sauvage ergotée présente dans l'orge qui était la source de l'empoisonnement. En 1985, un cas d'intoxication par le seigle contaminé par l'ergot a été bien documenté en Allemagne. Des analyses de la présence d'alcaloïdes mettent en évidence une détection assez régulière dans les pains à base de seigle(1).
Histoires de connaissances
La première publication décrivant l'ergot et son usage en médecine date d'Adam Lonitzer en 1582 dans son Kräuterbuch. Mais on n'avait pas encore compris le lien avec l'ergotisme ni la nature fongique de l'ergot.
Au XVIIe siècle, on découvre que l'ergot est la cause du feu de saint Antoine. En Sologne en 1630, Thuiller, médecin français, nourrit des volailles avec de l'ergot. En 1676, une publication dans une des premières revues scientifiques, « le Journal des savants », par le médecin et botaniste français Denis Dodart, rapporte ces expériences. Il montre les liens de cause à effet entre l'ergot et la maladie et indique les mesures à prendre pour éviter les intoxications. Ces mesures permettront des améliorations sensibles de l'état sanitaire des populations, tout simplement en triant les grains. La nature de l'ergot était alors mal comprise ; on le considérait comme une malformation du seigle.
Mathieu Tillet (1755), suite à des observations précises, comprit que la formation d'ergot était due à un organisme extérieur. Mais il pensait qu'il s'agissait de vers microscopiques ! En 1815, Augustin de Candolle découvrit la nature fongique du sclérote. En 1853 enfin, les frères Tulasne décrivirent le cycle du champignon.
Histoires d'utilisation
La maladie maîtrisée, la biologie de C. purpurea comprise, le champignon continua à faire l'objet d'intenses recherches. L'utilisation de ses alcaloïdes devint même un enjeu majeur. Autrefois on récoltait l'ergot pour l'utiliser en obstétrique, nous l'avons vu chez Lonitzer. En France, au XIXe siècle, des ouvrières triaient le blé dur dans les fabriques de pâtes alimentaires d'Auvergne pour récupérer les ergots et les vendre aux pharmaciens.
Au début du XXe siècle, la mortalité infantile restait considérable et l'ergot utilisé en cas d'hémorragie post partum était difficile à manier car de composition très variable. Aussi la compétition entre équipes pour parvenir à extraire les alcaloïdes était vive ; cela transparaît encore par une dénomination : l'ergométrine est dite ergonovine outre-Atlantique.
Le premier alcaloïde, extrait en Suisse en 1917 par Arthur Stoll, chez Sandoz, est l'ergotamine. Le dernier alcaloïde extrait est l'ergobalansine (issue d'un autre clavicipitacée, Balansia) en 1994, par Jenett-Siems. Tous dérivent de l'acide lysergique(2). Leur valeur commerciale avait suscité un net développement de la culture plein champ d'ergot sur seigle, procédé alors compétitif vis-à-vis des cultures de Claviceps en fermenteur ; ce n'est plus le cas.
(1) Gisela Bark, Werner Hübel and Anita Richt, 2006 - Ergot alkaloids in cereal products Results from the Bavarian Health and Food Safety Authority Mol. Nutr. Food Res., 50, 437-442 DOI 10.1002/mnfr.200500192 437.-
(2) Le LSD, diéthylamine de l'acide lysergique (Lyserg Säure Diäthylamid en allemand, langue de son découvreur) est un dérivé semi-synthétique de cet acide lysergique.
2 - Appel de l'auteur principal sur l'Enquête 2010
Après avoir éclairé votre connaissance sur le sujet de l'ergot, à mon tour de demander au lecteur qui aurait apprécié cet article de m'éclairer en retour.
Il s'agit pour moi d'avoir une vue plus juste de la situation de l'ergot en France (ou en Europe) : je suis intéressé par les éléments que les lecteurs, agriculteurs ou techniciens en lien avec eux, pourraient me transmettre sur l'ergot, que celui-ci soit observé sur les graminées de l'environnement ou dans les cultures (prairies, céréales).
Pour avoir une idée du potentiel d'ergot dans l'environnement et les milieux naturels (bordures de route, friches, fossés, pelouses, forêt, etc.), je serais tout particulièrement preneur d'échantillons d'ergots accompagnés du descriptif du lieu et de la localisation, de la date de récolte et du nom de la plante hôte (ou, si la détermination n'est pas évidente, ajouter un échantillon de la plante voire une photo de bonne qualité). Pour les prairies, des renseignements sur la conduite de la parcelle seraient également souhaitables.
Pour les cultures de céréales, les éléments suivants sont si possible à noter :
Espèce, variété.
Localisation de la parcelle (au moins la commune).
État de salissement de la parcelle (en particulier l'importance des graminées : vulpin, ray-grass, chiendent, etc.)
Travail du sol (labour, travail simplifié...)
Date de semis, dates de floraisons.
Type de bordure : bande enherbée, talus enherbé, fossé, etc.
Rotation culturale type ?
Utilisation de semence de ferme ?
Notation : quelle fréquence de l'ergot sur la parcelle, l'exploitation, la commune ? Première fois, très occasionnel, sporadique mais régulier, assez commun mais jamais à forte densité, autre...
Il serait intéressant de récolter des échantillons d'ergot d'adventices et de céréales issus de la même parcelle ; les observations sur vulpin ne doivent pas être trop tardives car il perd rapidement ses graines.
Dominique Jacquin
INRA Biologie Gestion des Adventices
17, rue de Sully - BP 86510 - 21065 Dijon Cedex
Tél. 03 80 69 33 45
mél : Dominique.jacquin@dijon.inra.fr