dossier - Végétaux d'agrément

Nouveau moyen biologique contre le papillon palmivore

Nicolas André* et Éric Chapin** - Phytoma - n°635 - juin 2010 - page 27

Des nématodes offrent une alternative biologique supplémentaire pour protéger les palmiers contre Paysandisia archon
Chaemerops humilis (ph. FREDON PACA)

Chaemerops humilis (ph. FREDON PACA)

Le papillon palmivore a fait dépérir ce palmier nain (en médaillon), ce palmier de Chine (à gauche) et ce palmier des Canaries (à droite). Photos : FREDON Langudeoc-Roussillon

Le papillon palmivore a fait dépérir ce palmier nain (en médaillon), ce palmier de Chine (à gauche) et ce palmier des Canaries (à droite). Photos : FREDON Langudeoc-Roussillon

Chenille de P. archon : à l'intérieur du palmier, elle est à l'abri... mais pas des nématodes. ph. FREDON Languedoc-Roussillon

Chenille de P. archon : à l'intérieur du palmier, elle est à l'abri... mais pas des nématodes. ph. FREDON Languedoc-Roussillon

Photos prises lors d'un essai de protection curative mené en 2008. À gauche, le témoin : larve en pleine forme dans sa galerie. À droite, larve morte dans un palmier traité avec S. carpocapsae. Cet essai est un de ceux qui ont ouvert la porte aux travaux menés en 2009 et détaillés ci-dessous. Photos : FREDON Languedoc-Roussillon

Photos prises lors d'un essai de protection curative mené en 2008. À gauche, le témoin : larve en pleine forme dans sa galerie. À droite, larve morte dans un palmier traité avec S. carpocapsae. Cet essai est un de ceux qui ont ouvert la porte aux travaux menés en 2009 et détaillés ci-dessous. Photos : FREDON Languedoc-Roussillon

Le papillon palmivore, Paysandisia archon, est devenu l'un des principaux problèmes phytosanitaires du palmier en France. Cette espèce invasive est présente en régions méditerranéennes dans tous les compartiments de la filière : parcelles de production, espaces de distribution, jardins de particuliers, espaces publics... Afin d'évaluer l'efficacité de diverses méthodes de lutte, des essais officiels (DGAL-SdQPV) ont été mis en place dès 2006. Après 4 ans d'expérimentation, des nématodes entomopathogènes ont des résultats satisfaisants.

Paysandisia archon Burmeister 1880 est un lépidoptère originaire d'Amérique du Sud et introduit en Europe au milieu des années 90. Sa chenille, inféodée aux palmiers, vit à l'intérieur de leurs stipes. Le cycle biologique de l'insecte est annuel ou pluriannuel : le vol des papillons et les pontes sont observés entre juin et début octobre avec un pic entre mi-juin et début août.

Parmi les palmiers hôtes, trois espèces présentent des niveaux d'attaque et de mortalité significatifs : le palmier de Chine Trachycarpus fortunei, le palmier nain Chamærops humilis et le palmier des Canaries Phoenix canariensis.

Situation en France

À ce jour, l'insecte est présent dans tous les départements du littoral méditerranéen où il se développe dans les jardins, les espaces verts publics et privés ainsi que les lieux de production et de distribution. Des détections ont eu lieu dans plusieurs départements du Sud-Ouest où il est probablement capable de se développer, ainsi que le long de la façade atlantique où certaines stations climatiques pourraient bien lui convenir...

Les populations du ravageur sont disséminées de façon massive et aléatoire via les échanges commerciaux puis, une fois introduites sur un territoire, colonisent les palmiers de proche en proche, étendant ainsi leurs aires de répartition. Par ce phénomène – classique – les pépinières et distributeurs introduisent l'insecte dans les jardins et les espaces verts où l'insecte n'est contrôlé par aucun moyen de lutte et aucune faune auxiliaire.

Les pépinières se trouvant dans une zone infestée subissent la pression du ravageur et peuvent abriter des palmiers infestés. Leur nombre varie selon le niveau des populations locales du ravageur et la stratégie de lutte appliquée. Le manque de spécialités insecticides autorisées sur cet usage ainsi que de stratégies de lutte efficaces à l'échelle individuelle et/ou collective sont un frein à l'intervention des propriétaires de palmiers.

Sans intervention, une attaque de papillon palmivore peut entraîner la mort d'un grand nombre de palmiers ou engendrer un risque de chute de palmes, non souhaité car dangereux dans les espaces fréquentés par le public.

Depuis février 2009, P. archon est déclaré organisme de quarantaine pour les établissements de production ou de distribution aux professionnels.

Les travaux conduits entre 2006 et 2008

Les essais réalisés

Une synthèse des essais conduits entre 2006 et 2008 a fait l'objet d'une communication lors de la deuxième COZNA (Andre et al., 2009), évoquée dans Phytoma en octobre dernier(1). Pour mémoire rappelons quelques éléments.

Les programmes annuels d'expérimentation avaient pour objectifs :

– d'élaborer des protocoles expérimentaux permettant l'évaluation des stratégies de lutte et/ou des spécialités insecticides,

– de définir les efficacités préventive et curative de spécialités phytosanitaires chimiques et biologiques.

Les premiers essais conduits en 2006 étaient des essais privés, réalisés dans le cadre d'une collaboration entre les FREDON Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte-d'Azur. À partir de 2007, ces essais ont été menés par ces FREDON dans le cadre du Programme national d'expérimentation de la DGAL-SDQPV.

Six essais ont été menés. Plusieurs spécialités phytosanitaires ont été évaluées selon deux types de stratégie : préventive ou curative.

Ces essais ont ainsi permis d'élaborer et d'optimiser des protocoles expérimentaux permettant l'évaluation préventive ou curative de spécialités phytosanitaires.

Ce qui en a résulté

Les essais ont mis en évidence des efficacités préventives satisfaisantes de spécialités commerciales à base de diflubenzuron et spinosad et une efficacité curative prometteuse de l'agent entomopathogène Steinernema carpocapsae (Weiser, 1955). Ce dernier, dans un premier test réalisé en 2008, a montré une efficacité de 75 % par rapport au témoin non traité, après une seule application à l'automne à la dose de 7 millions de nématodes par litre.

De façon plus large, les résultats obtenus montrent l'intérêt des stratégies préventives (et ce pour un large spectre de familles d'insecticides – y compris bio-insecticides) comparativement aux stratégies curatives dans la lutte contre ce ravageur. Cependant, au vu de la localisation et des niveaux des populations du papillon palmivore, force est de constater que les stratégies curatives sont particulièrement adaptées à une situation de détection tardive (très fréquente en jardins et espaces verts) et complètent les efficacités de la stratégie préventive.

Les résultats obtenus en 2008, ainsi que ceux d'autres centres d'expérimentation (Soto Sanchez, 2007 ; André et al., 2009 ; Ricci et al., 2009) ont ouvert la porte au travail sur des nématodes entomopathogènes mené en 2009.

Expérimentation 2009 sur les nématodes entomopathogènes

Le site expérimental

Le site expérimental est une serre chapelle fermée, non chauffée (parois blanchies), de 100 m² mise à disposition gracieusement par la Ville de Nîmes. La réalisation des essais dans une serre fermée a été rendue nécessaire par la forte pression du ravageur en Languedoc, rendant impossible tout essai semi-field en « plein air ».

De plus, les conditions d'essai garantissent le confinement du ravageur grâce à la manipulation exclusive de stades larvaires ainsi qu'à la destruction complète des végétaux à la fin des essais, avant toute émergence des imagos.

Le matériel végétal

Le modèle végétal choisi a été le Trachycarpus fortunei ou palmier de Chine.

Il s'agit d'un palmier rustique, supportant bien d'être maintenu en conteneur. De plus, l'absence d'épines sur les pétioles facilite sa manipulation et son observation.

Des observations de terrain avaient également montré un très bon développement du ravageur sur cette espèce de palmier, tout particulièrement le stade larvaire.

Pour toutes les expérimentations, le choix s'est porté sur des palmiers de Chine de 40 à 50 cm de stipe (placé dans des conteneurs de 50 à 60 l) indemnes de tout stade du ravageur.

Aucun traitement phytosanitaire autre que les applications expérimentales n'a été appliqué sur les végétaux durant la période des essais.

L'inoculum

L'inoculum, constitué de larves néonates âgées de 1 à 10 jours maintenues sur des fragments de palmiers, a été fourni par un élevage placé dans une enceinte confinée. Les infestations artificielles sont effectuées de façon manuelle. Ces infestations ont toujours été opérées en début de matinée, afin d'éviter les heures chaudes de la journée.

L'application des spécialités phytosanitaires

L'application des spécialités phytosanitaires est effectuée à l'aide d'un matériel de type ATH à pression maintenue (2 bars).

Pour les essais « stratégie préventive », comme pour les essais « stratégie curative », les spécialités ont été appliquées par pulvérisation des parties aériennes (palmes, rachis, stipe). Les filtres de l'ATH et de la lance ont été retirés afin d'éviter tout effet néfaste sur les nématodes.

Le dispositif des essais

Le dispositif expérimental choisi est une randomisation totale avec témoin inclus.

Pour chaque modalité, 8 répétitions ont été mises en place, une répétition correspondant à un palmier.

Premier programme testé : la stratégie dite « préventive »

L'objectif de ce programme expérimental a été de comparer l'efficacité des nématodes Steinernema carpocapsae et S. feltiae (Filipjev, 1934) dans le cadre d'une stratégie dite « préventive » : les traitements sont positionnés pendant la période de ponte (période estivale). Ici les nématodes peuvent agir soit sur les larves déposées (préventif), soit sur les larves logées dans les tissus superficiels de la plante.

Pour ce faire 3 applications ont été effectuées à une cadence de 15 jours. Ces applications ont été suivies de 4 infestations artificielles, pour un total de 15 larves néonates déposées par palmier (Figure 1).

Deuxième programme : la stratégie dite « curative »

Les objectifs de ce programme étaient de comparer les efficacités des deux nématodes entomopathogènes (S. carpocapsae et S. feltiae), à des doses différentes : 1 million, 6 millions et 10 millions de nématodes par litre de bouillie. Dans cet essai, 5 larves néonates sont déposées par palmier. Par la suite, un seul et unique traitement est réalisé un mois et demi après l'inoculation. Dans cette situation, les nématodes ne peuvent agir que sur les larves situées à l'intérieur du palmier. Lors du traitement, les symptômes d'agglomérats de sciure, de perforations de palmes et de dessèchements de palmes sont observés.

Les notations

Le premier paramètre évalué est la phytotoxicité : une observation hebdomadaire posttraitement des végétaux expérimentaux a été menée afin de mettre en évidence tout effet phytotoxique des spécialités commerciales. Le deuxième paramètre mesuré est l'efficacité : pour cela, une dissection de chaque palmier est effectuée afin de dénombrer les larves vivantes. Parallèlement, la taille de chaque larve, la description de leur état, la taille des galeries et leur position dans les galeries ont été notées. Cette notation a été réalisée trois mois après le premier traitement pour la « stratégie préventive » et deux mois après le traitement pour la « stratégie curative ».

Les conditions de température et d'humidité relative ont été enregistrées à l'intérieur de la serre (enregistreur Tiny Tag®, enregistrement horaire).

Ce qui en résulte

Bonne efficacité de la stratégie « préventive »

Dans les conditions expérimentales décrites ci-dessus, les niveaux d'efficacité varient de 94 % pour Steinernema feltiae à 100 % pour Steinernema carpocapsae comparativement au témoin non traité (Figure 2, p. 29).

L'analyse de variance ne différencie pas les efficacités des deux agents entomopathogènes. Ces résultats suggèrent fortement la possibilité d'utiliser l'un des deux nématodes en positionnant les applications pendant le pic de ponte des papillons.

Cette modalité reste à confirmer par des essais in situ, dans les conditions de la pépinière d'extérieur, d'un jardin ou d'un alignement urbain afin de vérifier la répétabilité de l'efficacité.

Stratégie « curative » : une espèce de nématodes supérieure à l'autre

Les résultats observés dans le cadre de cet essai viennent confirmer ceux obtenus en 2008 et corroborent les résultats de l'essai « stratégie préventive ».

Dans les conditions expérimentales citées ci-dessus, les niveaux d'efficacité obtenus avec S. carpocapsae varient en fonction de la dose testée entre 83 et 87 % par rapport au témoin non traité. De même, avec S. feltiae, les niveaux d'efficacité sont compris suivant les doses entre 43 et 87 % par rapport au témoin non traité.

À la lecture de ces résultats, il apparaît que S. feltiae présente une plus grande variabilité d'efficacité suivant les doses et nécessiterait d'employer des doses plus importantes que S. carpocapsae.

En effet, dans le cas de S. carpocapsae, la dose apportée ne semble pas modifier de façon significative le niveau d'efficacité : à 1 million de nématodes par litre on peut espérer obtenir une efficacité d'environ 83 %, avec un seul traitement !

Quoiqu'il en soit l'efficacité curative est démontrée en condition contrôlée. Il conviendrait de vérifier ces résultats par des essais in situ.

Conclusion et perspective

Le papillon palmivore est un problème phytosanitaire complexe du fait de la localisation des larves dans le stipe du palmier. Il est indispensable d'élargir la gamme des spécialités phytosanitaires, chacune étant adaptée à une situation particulière ou un contexte local bien précis.

Les différents essais conduits ont permis de mettre en évidence l'intérêt des nématodes et tout particulièrement de S. carpocapsae qui offre donc de nouvelles possibilités dans la mise en place de stratégies préventive et/ou curative contre P. archon.

À partir de ces résultats, il conviendra par la suite de vérifier les efficacités dans des essais de valeur pratique et dans les différentes situations : la pépinière, le jardin et les espaces verts (Prévu dans le cadre du programme PAYSARCH).

Par ailleurs, l'intérêt du positionnement d'un traitement curatif au printemps est en cours d'évaluation dans le programme d'expérimentation de la DGAL-SDQPV 2010.

Remerciements : Les auteurs tiennent à remercier la Ville de Nîmes, et tout particulièrement Jean Cabot, en charge des espaces verts, pour le soutien technique qu'ils nous ont accordé.

Ces quatre années d'expérimentation sont le fruit d'une collaboration entre le SRAL Languedoc-Roussillon, le SRAL Provence-Alpes-Côte-d'Azur et les FREDON Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte-d'Azur.

Les auteurs tiennent enfin à souligner l'implication et l'intérêt des sociétés Biobest et Koppert dans la recherche de solutions face à cette problématique.

<p>* FREDON Languedoc-Roussillon - 8, rue des Cigales 34990 Juvignac.</p> <p>** FREDON Provence-Alpes-Côte-d'Azur, 224, rue des Découvertes - 83390 Cuers. ericchapin.fredon@orange.fr</p> <p>(1) E. Chapin, d'après trois communications à la COZNA d'Angers - Papillon palmivore, charançon du palmier : un panel de solutions possibles, dans <i>Phytoma</i> n° 626-627, octobre 2009, p. IV des « Pages spéciales ZNA ».</p>

Figure 1 - Présentation du programme de l'essai « Stratégie préventive ».

T = traitement

I = infestation

Figure 2 - Résultats obtenus sur l'essai « Stratégie préventive », avec les deux espèces de nématodes S. carpocapsae et S. feltiae.

Figure 3 - Résultats obtenus sur l'essai « Stratégie curative », avec les deux espèces de nématodes : S. carpocapsae (Carpocapsae System) et S. feltiae (Entonem).

Bibliographie

André N., Chapin E., Villa C., 2009 - Paysandisia archon : synthèse de 3 années d'expérimentation phytosanitaire. AFPP – 2e COZNA, Angers, 28 et 29 octobre 2009, 62-72.

Chapin E., 2006 - Paysandisia archon : situation 5 ans après son signalement. AFPP – 1re COZNA, Avignon, 11 et 12 octobre 2006, 157-163.

Soto Sanchez A., 2007 - Ensayos de eficacia del producto « Biorend R palmeras » a base de Steinernema carpocapsae (Rhabditidae : Sternematidae) y quitosano sobre Paysandisia archon (Burmeister, 1880) (Lepidoptera, Castiniidae). Compte rendu d'essai de l'Instituto Agroforestal Mediterráneo E.T.S.I.A., Universidad Politécnica de Valencia.

Ricci E., Nardi S., Lozzi R., Marozzi F., Ladurner E., Chiabrando F., Isidoro N., Riolo P., 2009 - Impiego di nematodi entomopatogeni per il controllo di Paysandisia archon nelle Marche. XXII Congresso Nazionale Italiano di Entomologia, Ancona, 15-18 Giugno 2009, 331.

Résumé

Contre le papillon palmivore Paysandisia archon, très nuisible ravageur du palmier, des essais de lutte à l'aide d'insecticides chimiques et biologiques menés de 2006 à 2008 avaient suggéré l'intérêt de nématodes entomopathogènes du genre Steinernema.

Les FREDON LR et PACA ont donc, dans le cadre du programme national d'expérimentation de la DGAL-SDQPV, testé en 2009 les deux espèces Steinernema carpocapsae et Steinernema feltiae en conditions contrôlées (infestations artificielles sur palmiers Trachycarpus fortunei avec confinement).

Les essais ont montré l'efficacité des applications préventives des deux espèces et l'efficacité des applications curatives (six semaines après inoculation) de S. carpocapsae (S. feltiae se montrant plus irrégulier).

Mots-clés : ZNA zones non agricoles, palmier, papillon palmivore Paysandisia archon, lutte biologique, nématodes entomopathogènes, Steinernema carpocapsae, lutte préventive, lutte curative.

L'essentiel de l'offre

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