dossier - Qualité sanitaire des grains

Protection contre les rongeurs Mythes et réalité des intoxications

Romain Lasseur*, O. Mastain** et Ph. Berny*** - Phytoma - n°636 - septembre 2010 - page 34

Le point sur ce qu'il en est réellement pour les animaux non cibles et l'homme avec les rodonticides anticoagulants
 ph. R. Lasseur

ph. R. Lasseur

Charrue sous-soleuse utilisée pour distribuer des rodonticides contre les campagnols en milieu agricole. Elle permet d'enfouir les appâts. Cela évite leur ingestion notamment par des lièvres et lapins, principales espèces sauvages touchées par l'intoxication aux rodonticides. ph. P. Berny

Charrue sous-soleuse utilisée pour distribuer des rodonticides contre les campagnols en milieu agricole. Elle permet d'enfouir les appâts. Cela évite leur ingestion notamment par des lièvres et lapins, principales espèces sauvages touchées par l'intoxication aux rodonticides. ph. P. Berny

La paupière décolorée de ce chat est spécifique de l'intoxication aux rodonticides anticoagulants. Notre étude montre que les chats sont moins souvent intoxiqués que les chiens. ph. P. Berny

La paupière décolorée de ce chat est spécifique de l'intoxication aux rodonticides anticoagulants. Notre étude montre que les chats sont moins souvent intoxiqués que les chiens. ph. P. Berny

Les grains stockés figurent en bonne place parmi les denrées alimentaires consommées par des rongeurs qui risquent de dégrader leur qualité sanitaire. La lutte anti-rongeurs intègre divers moyens(1), y compris des rodonticides anticoagulants. Ces produits restent aujourd'hui irremplaçables dans certaines situations. En 2010 leur usage est régi, selon le type d'apport, par l'une ou l'autre de deux réglementations européennes différentes, les directives 91/414 /CE et 98/8/CE (dite « biocides »). Mais il s'agit bien des mêmes substances. Elles sont parfois accusées d'intoxiquer d'autres mammifères que les rongeurs : animaux domestiques (chiens, chats, etc.), faune sauvage et même l'homme. Qu'en est-il en réalité ? Réponses.

Nous sommes en période de bouleversement réglementaire sur le statut des produits de contrôle en général : la directive 98/8/CE dite « Biocides » est en cours de revue et le règlement CE n° 1107/2009 va remplacer à partir de juin 2011 la directive 91/414/CE sur l'autorisation des produits phytopharmaceutiques. Dans ce contexte, il est souhaitable d'avoir une vision exacte sur l'impact non intentionnel des produits de contrôle des rongeurs. Ceci afin d'éviter des décisions unilatérales de restrictions de ces produits là où les conditions d'emploi et d'encadrement des risques liés à leur utilisation doit se faire de manière spécifique selon l'usage (intérieur/extérieur), la cible (rats, souris, campagnols) et les risques posés par l'usage.

En Europe, seulement quelques documents de synthèse ont été réalisés sur la réalité des intoxications aux rodonticides anticoagulants en balayant les trois cibles : l'homme, l'animal domestique et la faune sauvage.

L'objet de cet article est de décrire, de la manière la plus précise et actualisée possible, les intoxications d'espèces non cibles générées par les anticoagulants rodonticides en France. En effet, il existe un certain nombre de croyances non fondées à ce sujet, le rodonticide étant très souvent incriminé (à tort, nous le verrons) dans la disparition d'un certain nombre d'animaux et d'intoxications chez l'homme.

Nous présentons ici une analyse complète que nous avons réalisée sur ce sujet à partir de trois bases de données officielles sur lesquelles les intoxications sont enregistrées.

Elle a permis d'identifier clairement, en France, quelques situations à risques : elles doivent être associées à des mesures d'accompagnement de réduction du risque car ce sont des usages particuliers de rodonticides. Mais il y a aussi un bon nombre d'autres situations où l'utilisation du rodonticide fait courir un risque tellement faible qu'il ne semble pas souhaitable pour la société de se passer de l'important bénéfice apporté par les rodonticides anticoagulants dans le domaine de la santé publique notamment.

Une étude rétrospective

Cette analyse est une étude rétrospective des cas d'intoxications potentiellement attribués aux anticoagulants rodonticides survenus chez l'homme et l'animal domestique sur la période allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2008, et sur la faune sauvage jusqu'en 2007.

Ainsi, nous avons interrogé trois sources de données afin de synthétiser les incidents suspectés et avérés avec des rodonticides anticoagulants.

Étude des données du Centre anti-poison humain de Lyon

Les centres de toxicovigilance humains ont, en France, une base de données commune, accessible depuis la base de données que nous avons consultée à Lyon. Chaque centre anti-poison a une expertise géographique. Une comparaison entre les données recueillies à Lyon et les données nationales a montré une similitude qui nous a permis d'approfondir notre étude sur les données de Lyon uniquement, qui représentent 16 % des données nationales en 2008.

Ainsi nous avons interrogé cette base de données afin de connaître la représentativité des intoxications aux rodonticides anticoagulants chez l'homme.

Nous avons collecté et analysé des informations comme l'âge des patients, la sévérité des signes cliniques et l'issue de l'intoxication, pour la période allant de 2004 à 2008.

Étude de données du Centre anti-poison animal et environnemental de l'Ouest

Des données collectées par le Centre antipoison animal et environnemental de l'Ouest (CAPAE, école nationale vétérinaire de Nantes) ont été analysées dans le cadre de cette étude pour la période de 2004 à 2008.

Ainsi, données démographiques (espèce, population), âge, circonstances d'intoxications, volume potentiellement ingéré, sévérité des symptômes cliniques observés et issue de l'intoxication ont été étudiés.

Chaque cas a été classé comme « suspect » ou « avéré » en fonction de l'historique de l'exposition, de la dose ingérée si elle est connue, du déroulement de l'intoxication et des signes cliniques développés par l'animal.

Étude de données du réseau de toxicovigilance de la faune sauvage (SAGIR)

Le Laboratoire de toxicologie de l'école nationale vétérinaire de Lyon est un laboratoire de référence pour l'analyse et les investigations toxicologiques pour la faune sauvage.

Un réseau de surveillance de la faune sauvage existe en France (réseau SAGIR). Très impliqué dans la recherche des causes de mortalité de cette faune, il fonctionne à partir d'échantillons de faune sauvage trouvés sur le terrain (par des chasseurs, agriculteurs, environnementalistes), pris en charge localement par les laboratoires vétérinaires départementaux réalisant un premier diagnostic. Si un échantillon nécessite un approfondissement toxicologique, il est transmis au Laboratoire de toxicologie de l'école vétérinaire de Lyon qui, par conséquent, enregistre la plus grande partie des intoxications aux rodonticides anticoagulants.

L'analyse des anticoagulants rodonticides est réalisée sur le sang ou le foie par HPLC couplée à une détection UV, détection par fluorescence ou détection par spectrométrie de masse si l'analyse le nécessite (Berny et al., 2007 ; Fournier-Chambrillon et al., 2004). Tous les cas sont « suspects » et deviennent des cas avérés si au moins un anticoagulant est détecté et que les molécules et doses retrouvées sont compatibles avec une intoxication certaine.

Résultats

Cinq ans du centre anti-poison humain de Lyon : moins de 1 % des appels et aucune mortalité

Sur la période de l'étude (2004-2008), le Centre anti-poison humain de Lyon a reçu au total (tous appels confondus) 124 897 appels pour une suspicion d'intoxication. 770 appels ont concerné des rodonticides anticoagulants soit 0,6 % du total. Aucune mortalité chez l'homme n'a été attribuée à ces rodonticides.

La distribution de l'âge des patients ayant fait l'objet d'intoxications aux rodonticides anticoagulants est présentée par la figure 1. Des classes d'âge similaires (10 ans) ont été utilisées pour réaliser cette distribution, sauf pour les enfants de moins de dix ans et les personnes âgées de plus de 60 ans.

La principale classe d'âge touchée par les cas d'intoxication est celle de l'enfant d'un à 4 ans (41 % des cas sur la période d'étude).

Animaux domestiques : presque 9 % des cas, dont moins d'un sur 5 mortels

Dans l'étude des données collectées par le Centre antipoison animal et environnemental de l'Ouest (CAPAE, École nationale vétérinaire de Nantes), 14 145 cas suspects d'intoxication animale ont été enregistrés. 1 269 de ces suspicions ont concerné les rodonticides anticoagulants, soit 8,96 % des cas.

La mortalité associée à ces cas est de 18,16 % pour tous les rodonticides anticoagulants au moment de l'appel (230 cas de mortalité sur 1 269 cas). La distribution de l'âge des animaux intoxiqués est décrite figure 2. On voit que, de même que les enfants sont sur-représentés dans les intoxications chez l'homme (41 %), la classe adulte est sur-représentée dans les intoxications animales (28 %) mais la classe juvénile n'est pas négligeable (9,9 %).

Dans la mesure où l'espérance de vie diffère d'une espèce à une autre, nous avons classé l'âge par catégorie : « jeune : animal non sevré » ; « juvénile : du sevrage à l'âge de la reproduction » ; « adulte » et « animal âgé » (> 7 ans chez le chien, > 8 ans chez le chat).

La figure 3 présente l'ensemble des espèces concernées par l'étude et leur représentativité. Parmi ces animaux, le chien et le chat sont les plus largement représentés (84 % des cas).

Faune sauvage, 27 % de cas suspectés, 10,6 % avérés

Concernant la faune sauvage, 1 750 cas ont été enregistrés pour une suspicion d'intoxication, dont 476 cas étaient suspectés d'intoxication par des rodonticides anticoagulants (27,2 %). La présence de rodonticides anticoagulants a été vérifiée (toxicologie analytique) dans 185 cas (10,6 % de tous les cas suspectés). L'âge des animaux intoxiqués n'est pas assez systématiquement rapporté pour être précisé.

La figure 4 présente l'ensemble des espèces de faune sauvage concernées par l'étude, et leur représentativité dans l'étude. Parmi ces animaux sauvages, les lièvres et lapins sont très communs (environ 40 %) et les cas concernent aussi communément des prédateurs et consommateurs de cadavres de rongeurs (oiseaux de proie + autres prédateurs : 22 %). Enfin, les autres oiseaux sont très peu représentés dans les cas d'intoxication aux rodonticides anticoagulants, alors que par ailleurs, ils représentent les animaux les plus communément reçus au laboratoire de toxicologie, tous toxiques confondus (Berny, communication personnelle).

Pour tous, circonstances et substances

Les circonstances d'empoisonnement ont été étudiées dans les trois bases de données de l'étude et sont présentées dans la figure 5. La majorité des cas surviennent des suites d'une ingestion accidentelle (77 %), pour beaucoup d'un produit prêt à l'emploi (27 %).

Dans les différentes analyses que nous avons menées, nous avons eu accès aux matières actives anticoagulantes impliquées dans les cas d'intoxications. Ces résultats sont présentés dans la figure 6 (humain, animal domestique et faune sauvage). On voit que la représentativité des matières actives est différente pour chaque groupe dans cette étude :

– chez l'homme, les matières actives anticoagulantes suspectées sont très souvent identifiées (la matière active est inconnue dans seulement 12,6 % des cas). La plus représentée est le difénacoum (26,8 %), suivi de la chlorophacinone (21,4 %), puis de la bromadiolone (11,4 %) et de la diféthialone (8,6 %) ;

– chez l'animal domestique, les substances impliquées sont moins connues (19,7 % des cas pour lesquels elle est inconnue). La plus souvent recensée est la diféthialone (22,8 %) suivie du difénacoum (20,0 %), puis du brodifacoum (11,5 %) et de la chlorophacinone et la bromadiolone (10,9 % chacune).

– pour la faune sauvage, la représentativité des matières actives est totalement différente. En effet nous trouvons essentiellement les deux substances autorisées pour la lutte contre les rongeurs en milieu agricole : bromadiolone (45,3 %), suivie de la chlorophacinone (39,2 %). Par ailleurs, des intoxications sont observées avec du difénacoum (8,8 %), molécule bien moins utilisée en extérieur.

Issues finales

Les issues des intoxications aux rodonticides anticoagulants (mort ou guérison) sont rarement accessibles en chiffres officiels (91,2 % d'issue inconnue chez l'homme par défaut de suivi clinique, 77,7 % chez l'animal domestique). Mais cette indisponibilité s'explique très facilement.

En effet, chez l'homme, il est montré une très claire absence de mortalité après une exposition aux rodonticides anticoagulants. Très souvent, il s'agit d'ingestions accidentelles chez l'enfant. La présence d'agents amérisants (ex : benzoate de denatorium) dans les appâts anti-rongeurs empêche l'enfant d'ingérer des doses toxiques d'anticoagulants car il recrache l'appât quasi-instantanément. Ceci peut être vu comme un vrai progrès dans la prise en compte de la sécurité de l'homme dans la mise au point des appâts anti-rongeurs. Par conséquent, la plupart des cas d'ingestion de rodonticide anticoagulant chez l'homme ne fait l'objet d'aucun suivi clinique puisque le risque de complication ou de mortalité est quasiment nul.

Des pistes de gestion

France-Angleterre, la cohérence

Cette étude réalisée sur les données de terrain des intoxications par des rodonticides anticoagulants, chez l'homme, l'animal domestique et la faune sauvage nous a permis d'identifier d'une part des situations dans lesquelles l'utilisation de tels rodonticides anticoagulants ne pose aucun risque pour les espèces non cibles et d'autre part des situations à risque. La figure 7 résume les situations à risques identifiées au travers de cette étude ainsi que des propositions de pistes de gestion du risque d'intoxication.

Les résultats présentés dans ce document sont très similaires à ceux présentés à la suite d'une étude menée par l'institut « Environmental Panel of the Advisory Committee on Pesticides » au Royaume-Uni en 2007, et d'une étude menée par le « National Poisons Information Service » au Royaume-Uni aussi, en 2008-2009.

Chez l'homme, ne pas confondre rodonticides et médicaments

En effet, il est clair que chez l'homme, l'utilisation de rodonticides anticoagulants n'est associée à aucune mortalité.

Les cas d'ingestion accidentelle ont lieu principalement chez l'enfant. Depuis quelques années, des amérisants ont été ajoutés aux formulations des rodonticides, ce qui évite que ces enfants n'ingèrent de dose toxique de ces appâts car ils recrachent très vite les produits mis en bouche. Cela se traduit par ailleurs par l'absence de suivi médical (par les centres antipoison humains) de ces jeunes patients du fait de l'absence de risque.

La situation est tout à fait différente avec les anticoagulants utilisés dans un but thérapeutique chez l'homme. Ces produits sont à l'origine de la majorité des incidents liés à des problèmes de sous ou surdosage du traitement anticoagulant (dans le cadre d'un traitement anti-thrombotique par exemple) chez des patients avec un degré de moindre ou d'hyper sensibilité au traitement (environ 17 000 hospitalisations et 4 800 cas graves, données étude EMIR, 2007).

Animaux domestiques, attention au chien AVANT le traitement

Chez l'animal domestique, le chien (quel que soit l'âge) est l'espèce la plus largement concernée par des intoxications aux rodonticides anticoagulants : elle représente 75 % des cas. Cette intoxication vient principalement de la consommation d'appât et beaucoup plus rarement de la consommation de rongeurs eux-mêmes intoxiqués.

En majorité, il s'agit d'appâts consommés avant leur utilisation et qui étaient mal stockés. Le cas peut se produire sur tous les lieux de stockage de grains si des rodonticides achetés avant la moisson ne sont pas stockés dans un lieu sécurisé (local phytosanitaire, etc.). Le chien a alors accès directement à l'emballage et va ainsi consommer une grande quantité d'appât.

Paradoxalement, les intoxications sont plus rares pendant le traitement c'est-à-dire quand les appâts sont disséminés dans la zone de présence des rongeurs. Dans ce cas, le chien a accès à beaucoup moins de produit et donc absorbe une dose moins importante et très souvent sub-létale.

Bien entendu, si les appâts sont protégés par un système sécurisé de type « poste d'appâtage », le risque d'intoxication baisse considérablement car le chien n'a pas accès aux appâts. Un argument en faveur de ces postes.

Faune sauvage, du lièvre « primaire » au prédateur « secondaire »

Pour la faune sauvage, il est nécessaire de distinguer deux scénarios d'intoxication :

– les intoxications primaires pour lesquelles les animaux sauvages consomment directement les appâts rodonticides disposés sur le terrain autour des bâtiments ou en milieu agricole ;

– les intoxications secondaires pour lesquelles des animaux sauvages consomment des rongeurs eux-mêmes intoxiqués par des rodonticides anticoagulants. Olea et al., 2009 décrivent ce type d'impact en Espagne.

Dans le cadre de notre étude, les intoxications primaires concernent surtout les lièvres et lapins et secondairement les perdrix. Ces animaux consomment essentiellement des appâts distribués en surface de parcelles agricoles dans le cadre de la lutte contre les pullulations de campagnols des champs.

Il semble donc important, si cette piste se concrétise techniquement, de réaliser la lutte contre les campagnols des champs en disposant les appâts non en surface mais sous terre par enfouissement afin d'éviter ces intoxications primaires.

Quant aux intoxications secondaires, elles concernent principalement les prédateurs des rongeurs prairiaux, notamment du campagnol terrestre. Ainsi, ces intoxications sont les plus nombreuses dans l'aire d'importante colonisation de cette espèce de campagnol et en particulier la Franche-Comté et l'Auvergne.

Les matières actives concernées sont essentiellement la bromadiolone et la chlorophacinone qui sont les deux molécules autorisées pour ce type de lutte. Les principales espèces impliquées sont les rapaces diurnes, le renard et les mustélidés en général, et les sangliers.

Ces intoxications secondaires peuvent avoir lieu si la lutte contre les campagnols est réalisée à des niveaux de populations de ces rongeurs qui intéressent déjà les prédateurs par la taille de l'espace colonisé. Dans ce cas précis, beaucoup de rongeurs sont intoxiqués et la probabilité est importante qu'un prédateur s'intoxique.

Ainsi, la lutte doit être réalisée bien avant que les prédateurs interviennent c'est-à-dire aux premiers signes d'envahissement des parcelles par des rongeurs qui n'intéressent pas encore les prédateurs vu leur faible densité.

Remerciements :

Les auteurs tiennent à remercier les personnes ayant participé à la réalisation de cette étude : Jordan Velardo (étudiant pharmacien), Dr. Corinne Pulce (Centre antipoison de Lyon), Dr. Andrea D'Amico (Centre antipoison de Lyon), Pr. Martine Kammerer (Centre antipoison animal et environnemental Ouest-école vétérinaire de Nantes), ainsi que les fédérations départementales, régionales et nationale des chasseurs et les laboratoires départementaux d'analyse vétérinaire.

<p>* Institut Préclinique vétérinaire (ICIB). VetAgroSup campus vétérinaire de Lyon. (r.lasseur@vetagro-sup.fr).</p> <p>** Direction des études et de la recherche-Office national de la chasse et de la faune sauvage. (o.mastain@oncfs.gouv.fr)</p> <p>*** Laboratoire de toxicologie-VetAgroSup Campus École nationale vétérinaire de Lyon. (p.berny@vetagro-sup.fr)</p> <p>(1) R. Lasseur &amp; A. Bourret - <i>« Protéger les denrées contre les rongeurs. De nouveaux paramètres à intégrer lors de la mise en place de la lutte, des réponses « biocides » mais aussi physiques ». Phytoma</i> n° 624-625, sept. 2009, pages spéciales <i>« Qualité sanitaire des récoltes »,</i> p. IV.</p> <p><b>Photo médaillon : rat brun, rongeur très prolifique notamment en milieu urbain.</b></p>

Pourquoi utiliser des anticoagulants contre les rongeurs ?

Les rodonticides anticoagulants sont utilisés depuis de nombreuses années pour lutter contre les rongeurs, essentiellement sous forme d'appâts prêts à l'emploi.

La lutte contre les rongeurs a historiquement toujours existé. Elle se justifie par la nécessaire prévention des dégâts aux structures et des pertes de denrées (grains récoltés, etc.), mais aussi dans le cadre de l'hygiène et de la santé publique. Cette lutte a pu être menée de façon efficace à partir de la découverte des principales molécules rodonticides : les anticoagulants.

Ces substances agissent par prévention de la coagulation sanguine. Elles empêchent la production de vitamine K1 nécessaire à l'activation de certains facteurs de coagulation. Après ingestion de l'anticoagulant, il se met en place, de manière différée, un phénomène hémorragique dans un délai de 3 à 4 jours.

Éviter l'aversion

C'est précisément cette dernière caractéristique qui rend les anticoagulants bien appropriés pour la lutte contre les rongeurs. En effet, les rongeurs sont les rares mammifères à être capables d'associer la mort de congénères avec la présence d'un toxique qu'ils auraient consommé peu de temps avant. On parle alors d'un phénomène d'aversion alimentaire. Les anticoagulants agissant dans un délai de 3 à 4 jours après leur consommation, les rongeurs ne sont alors pas en mesure de faire le lien de cause à effet. Cela permet un très haut taux d'efficacité dans le contrôle de la population de rongeurs avec des produits à base d'anticoagulants.

Deux générations

On distingue deux générations d'anticoagulants rodonticides. La première (chlorophacinone, coumatetralyl, coumafène) est composée de molécules nécessitant d'être consommées à plusieurs reprises pour être efficaces. La seconde génération (brodifacoum, bromadiolone, difenacoum, difethialone, flocoumafen) est composée de molécules actives en une seule prise. Seules la chlorophacinone et la bromadiolone sont autorisées en extérieur (périmètre 91/414), surtout dans la lutte contre les rongeurs prairiaux.

Par ailleurs, si l'animal consommant l'appât rodonticide à base d'anticoagulants n'est pas l'espèce ciblée initialement, il est possible de mettre en place, dans un délai de 3 jours après l'ingestion, un traitement antidotique à base de vitamine K1 simple à mettre en œuvre en médecine vétérinaire et très efficace.

Anticoagulants thérapeutiques et rodonticides : des molécules bien distinctes

Chez l'homme, l'utilisation de molécules anticoagulantes existe aussi. Ces composés sont particulièrement indiqués dans le traitement des maladies provoquées par une mauvaise circulation du sang (maladies thrombo-emboliques). Entre 1 et 1,5 million de patients reçoivent à ce jour un traitement anticoagulant.

Mais les molécules anticoagulantes utilisées chez l'homme dans le cadre thérapeutique diffèrent de celles utilisées dans le cadre de la lutte contre les rongeurs, même si certaines sont issues de la même famille (celle de la 4-Hydroxy-Coumarine). Aucune molécule utilisée chez l'homme ne l'est chez le rongeur et inversement, à l'exception du coumafène. La spécialisation de chaque anticoagulant est donc complète.

Les patients présentant des affections associées à un mauvais processus de coagulation, sont par ailleurs des personnes chez qui une surveillance médicale rigoureuse va s'opérer lorsqu'un traitement anticoagulant va être mis en place car les accidents thérapeutiques sont très nombreux chez l'homme.

La précision de ce dernier point est cruciale. En effet, il est plus que nécessaire de réaliser la distinction entre les situations à risque (intoxications d'espèces non cibles) générées par les anticoagulants à but rodonticide des anticoagulants utilisés à but thérapeutique.

Figure 1 -

Distribution de l'âge des patients concernés par une ingestion de rodonticides anticoagulants.

Figure 2 -

Classe d'âge des animaux concernés par une intoxication aux rodonticides anticoagulants.

Figure 3 -

Différentes espèces domestiques concernées par une intoxication aux rodonticides anticoagulants.

Figure 4 -

Différentes espèces sauvages concernées par une intoxication aux rodonticides anticoagulants.

Figure 5 -

Circonstances d'intoxications chez l'homme, l'animal domestique et l'animal sauvage par des rodonticides anticoagulants (le trait orange dans la figure souligne les catégories « humaines »).

Figure 6 -

Matières actives d'anticoagulants contenues dans les rodonticides et leur implication respective dans les intoxications chez l'homme, l'animal domestique et l'animal sauvage.

Figure 7 -

Résumé de l'étude des intoxications par rodonticides anticoagulants chez l'homme, l'animal domestique et l'animal sauvage. Situations à risque et solutions globales permettant théoriquement de réduire le risque d'intoxication évoqué.

Bibliographie

Environmental Panel of the Advisory Committee on Pesticides, Rapport d'activité, UK, 2007.

National Poisons Information Service, Rapport d'activité, UK, 2008-2009.

Office national de la chasse et de la faune sauvage (www.oncfs.gouv.fr), Réseau SAGIR.

Berny P., 2007 - Pesticides and the intoxication of wild animals. Journal of Veterinary Pharmacology Therapy 30: 93-100.

Fournier-Chambrillon et al., 2004 - Field evidence of secondary poisoning of freeranging European Mink (Mustela lutreola) and other riparian mustelids by anticoagulant rodenticides in France. International Conference on the Conservation of the European Mink,

Olea et al., 2009 - Lack of scientific evidence and precautionary principle in massive release of rodenticides threatens biodiversity: old lessons need new reflections. Environmental Conservation 36 (1): 1-4.

Pour plus de détails bibliographiques, s'adresser aux auteurs.

Résumé

La lutte contre les rongeurs ravageurs des grains stockés (et tous les rongeurs en général), utilise des rondonticides anticoagulants. Ces derniers sont souvent accusés d'intoxiquer des animaux voire des humains. Une étude rétrospective a été menée en France sur cinq années de signalements d'intoxications humaines, cinq années de signalements d'intoxications animales et quatre années d'analyse de mortalité de faune sauvage.

Les résultats, cohérents avec ceux obtenus au Royaume-Uni, montrent :

– chez l'homme, peu de signalements liés aux rodonticides anti-coagulants : 0,6 % des appels et aucune mortalité ; l'adjonction d'amérisants dans les produits a rendu le risque acceptable ;

– chez l'animal domestique, les rodonticides anticoagulants représentent 8,96 % des cas signalés, 18,16 % d'entre eux étant mortels ; 75 % des cas sont des intoxications de chiens, en majorité survenues avant traitement (absorption d'appâts mal stockés) ;

– sur la faune sauvage, 27 % des mortalités signalées sont suspectées être dues à ces rodonticides et 10,6 % sont avérées : intoxications primaires surtout de lièvres puis de perdrix et intoxications secondaires de prédateurs.

Des conseils sont donnés pour prévenir les intoxications d'animaux domestiques et sauvages.

Mots-clés : qualité sanitaire des grains, rongeurs, rats, souris, campagnols, rodonticides anticoagulants, intoxications, chien, faune sauvage.

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