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Les chrysopes l'hiver et le printemps

Dominique Thierry*, Michel Canard** & Roger Cloupeau*** - Phytoma - n°637 - octobre 2010 - page 41

Occupation des sites naturels d'hivernage et reprise d'activité printanière des chrysopes vertes communes dans le centre de la France : mieux les connaître et mieux les favoriser
 ph. D. Thierry

ph. D. Thierry

Quelques sites de prélèvement des chrysopes :      1 - Habitations troglodytes désaffectées.      2 - Anfractuosité de roche karstique. 3 - Habitations périurbaines.      4 - Cavité de tronc d'arbre (dans le bois visible en médaillon p. 41). Photos : D. Thierry

Quelques sites de prélèvement des chrysopes : 1 - Habitations troglodytes désaffectées. 2 - Anfractuosité de roche karstique. 3 - Habitations périurbaines. 4 - Cavité de tronc d'arbre (dans le bois visible en médaillon p. 41). Photos : D. Thierry

Les larves de chrysopes, prédatrices de pucerons, de cochenilles voire de chenilles ravageurs des plantes cultivées, sont des auxiliaires appréciés des agriculteurs et des jardiniers. Pour favoriser leur action dès le printemps, on aide les adultes de chrysopes à passer l'hiver car c'est au stade adulte qu'hivernent les demoiselles aux yeux d'or. Là où les choses se compliquent, c'est qu'il existe plusieurs espèces de chrysopes. Elles se ressemblent beaucoup, mais ne jouent pas les auxiliaires au même étage... de végétation. Par ailleurs, ont-elles les mêmes sites et les mêmes conditions d'hivernage et de reprise d'activité ? Mieux les connaître peut permettre de les favoriser de la façon la mieux adaptée. C'est le but de l'étude menée en Touraine et rapportée ici.

Comment différencier entre elles des espèces animales qui semblent identiques à l'œil nu ? Dit plus scientifiquement, comment distinguer des entités spécifiques pratiquement indiscernables par la seule observation morphologique ? Les différences écophysiologiques entre ces groupes d'animaux morphologiquement voisins peuvent constituer des critères pertinents... et parfois plus aisés à saisir que l'analyse des données isoenzymatiques ou biomoléculaires. Ainsi des différences dans les modalités de la diapause, le régime de quiescence, les exigences alimentaires pourront être mises en relation avec le déroulement des histoires de vie respectives d'espèces affines.

Dans les régions tempérées d'Europe, les chrysopes vertes communes Chrysoperla carnea (Stephens, 1836) sensu lato développent au moins deux générations complètes par an. Les adultes de la dernière génération estivale et probablement les plus tardifs de la génération précédente entrent en diapause ovarienne sous l'effet du raccourcissement des jours en fin d'été dès leur émergence ou parfois après avoir commencé à se reproduire. Ces adultes passent l'hiver dans des refuges variés où ils attendent le printemps suivant pour commencer ou reprendre leur activité reproductrice. Cette aptitude a mené à la mise au point de refuges artificiels capables d'assurer une meilleure survie des populations hivernantes (voir encadré 3, p. 43).

Par ailleurs, la reprise de l'activité reproductrice est un élément-clé d'une gestion efficace de ces prédateurs aphidiphages. L'objet de cette note est de préciser les conditions de ces phases dans la dynamique de vie des chrysopes vertes communes dans le centre de la France.

Sites d'étude

L'étude a été réalisée dans la vallée de la Loire à proximité de Tours (Indre-et-Loire). Trois types de sites ont été prospectés :

– un boisement dans le lit majeur de la Loire à la confluence d'un petit affluent, la Cisse. La végétation des berges comprend des peupliers et des saules, tandis qu'ailleurs elle est de type ormaie-frênaie (photo en médaillon),

– des cavités d'origines diverses (habitations troglodytiques désaffectées, carrières souterraines, anfractuosités naturelles karstiques) des coteaux turoniens (photos 1 et 2),

– des habitations humaines en zone périurbaine (photo 3).

Prélèvements d'adultes

Des prélèvements d'adultes ont été faits régulièrement dans le boisement :

– sur 100 folioles sèches de marronnier ou d'autre essence, roulées et restées accrochées dans la ramure des arbres (photo 8),

– sur des touffes de lierre envahissant les arbres morts (photos 6 et 7).

Les prélèvements ont continué dans le même boisement, du printemps à l'automne :

– sur des repousses fraîches et des échantillons de la strate herbacée battue au-dessus d'un parapluie japonais,

– sur des prélèvements de litière, ceci par fraction de 20 litres environ,

– dans quatre cavités naturelles creusées dans des troncs d'arbre (photo 4),

– enfin, sous les écorces et dans les mousses qui se développent sur certains troncs.

Hors boisement, des pièges à interception constitués d'un grillage à mailles engluées sont placés aux ouvertures d'un grenier, de deux caves viticoles (photo 5) et de deux cavités naturelles.

Mouvements liés à l'entrée en hivernage

Les évolutions spatio-temporelles des deux espèces de chrysopes vertes communes sont résumées tableau 1.

Ces deux espèces sont hébergées en fin d'été dans leurs zones d'activité propres, c'est-à-dire à l'orée des boisements dans la partie basse de la couronne, sur les arbustes et dans la strate herbacée pour Chrysoperla affinis, ou dans les boisements et les vergers au niveau de la couronne des arbres pour Chrysoperla carnea.

Dès que la diapause ovarienne se manifeste, les chrysopes adultes se dirigent toutes vers les zones du paysage dans lesquelles elles vont pouvoir trouver une alimentation riche et abondante sous forme de pollens et de jus sucrés d'origine végétale (nectar) et/ou animale (miellats). Elles y prennent une nourriture permettant le stockage de lipides indispensables à une bonne tolérance au froid et par là, à un taux élevé de survie hivernale.

Les deux espèrent acquièrent ensuite une phototaxie négative : elles sont attirées par les zones sombres dans le paysage environnant comme les bordures forestières et/ou les zones d'ombre provoquées par les bâtiments. Il en résulte des rassemblements dans les sous-bois durant l'automne. Elles y recherchent des abris obscurs comme des feuilles sèches roulées retenues dans la frondaison et sur les arbustes sous-jacents (photo 8). En revanche elles n'occupent jamais la litière sèche gisant au sol.

Cette phase d'activité commune semble assez brève et les populations se séparent ensuite. Les adultes de C. carnea restent sur place pour passer l'hiver dans ces refuges relativement mal protégés et assez ventilés que sont les feuilles résiduelles de la strate arbustive et arborescente des sous-bois denses caducifoliés (= à feuilles caduques).

En revanche ceux de C. affinis entreprennent une véritable migration. Ils gagnent d'autres abris sombres, plus secs, non ou peu ventilés, toujours localisés hors boisement. C'est alors qu'on les retrouve presque exclusivement dans les endroits non chauffés des habitations humaines dès lors qu'une ouverture même de très petite taille est disponible, dans les tas de bois, les ruches abandonnées, etc.

Le grégarisme de ces insectes est tel qu'il est fréquent de dénombrer des centaines, voire des milliers d'adultes groupés. Ils passent là toute la mauvaise saison pouvant, à l'occasion de réchauffement suffisant de l'air ambiant, se mouvoir voire se nourrir s'ils ont de la nourriture à proximité.

Reprise de l'activité printanière

D'après ce que l'on sait à la suite d'expérimentations menées en laboratoire, la diapause reproductrice des chrysopes vertes communes est spontanément résorbée au cours de l'hiver.

Leur hivernage se poursuit cependant en quiescence thermique consécutive aux basses températures pouvant régner alors dans les sites d'hivernage. Quand la température augmente jusqu'au seuil d'activité motrice (environ 9 à 10 °C), les adultes dont le phototropisme s'est alors inversé quittent les sites d'hivernage.

Ils se dirigent et se rassemblent sur les plantes en fleurs porteuses de pollens nourriciers et de nectar. Ils s'y alimentent et amorcent les diverses phases de la reproduction : recherche du partenaire sexuel adéquat et accouplement si cela n'a pas eu lieu avant l'hivernage, maturation des ovaires, vittellogenèse et début de ponte.

Dans la région prospectée, nous avons constaté un décalage d'une quinzaine de jours dans la reprise progressive de l'activité reproductrice de C. carnea et de C. affinis qui a lieu en mars.

En conclusion

Les diverses espèces de chrysopes vertes communes présentes en France passent l'hiver suivant des modalités légèrement différentes. Une saine gestion des populations existantes doit prendre en compte ce fait au même titre que leurs exigences en matière de végétation support pour tirer rationnellement parti de ces auxiliaires polyvalents contre divers ravageurs.

<p>* IRFA, Université Catholique de l'Ouest. 49008 Angers Cedex 01.</p> <p>** 47, chemin Flou-de-Rious. 31400 Toulouse.</p> <p>*** 10, avenue Brullée. 37210 Vouvray.</p>

1 - La livrée change de couleur à l'automne

Carnea hivernant. ph. D. Thierry

Carnea hivernant. ph. D. Thierry

Une grande partie des adultes de chrysopes vertes communes passent progressivement durant l'automne de la livrée estivale verte (qui a donné le nom vernaculaire à l'espèce) à une livrée allant du jaune-rosé au brun-rougeâtre (d'où le nom scientifique de carnea), variable d'un individu à l'autre. On a compris après la partition entre les espèces jumelles constitutives du complexe que chacune manifeste un changement beaucoup moins aléatoire qu'on ne l'avait longtemps supposé.

Ce processus s'inverse en fin d'hiver (voir par exemple Lacroix, 1926). Les causalités de ces changements de coloration ont été discutées par divers auteurs, par exemple le Tchèque Honek (1976). Chez d'autres insectes hivernant à l'état d'adultes, de telles modifications de la coloration ou de la taille (comme chez les psylles) sont des indicateurs physiologiques étroitement liés à une diapause.

2 - Chant de cour et complexe d'espèces

Longtemps, on a cru que la chrysope verte commune était une seule espèce très polymorphe, vivant du cercle polaire aux tropiques sur tous les continents sauf l'Australie.

Mais vers les années 1980, on a entrepris des travaux sur diverses phases comportementales lors de l'accouplement et notamment les trémulations que pratiquent mâles et femelles durant les séquences préparatoires à la copulation proprement dite. On a ainsi discerné plusieurs entités morphologiquement jumelles mais biologiquement bien distinctes constituant ce qu'il a fallu alors appeler un complexe d'espèces. Cette barrière spécifique d'ordre comportemental improprement appelée chant de cour, analysée par Henry et ses collaborateurs (1979 et suivantes) a été ensuite confirmée par d'autres discriminants : morphologie fine des populations (Thierry et al., 1992) et leur équipement enzymatique (Cianchi & Bullini, 1992).

Trois espèces principales regroupées sous l'appellation vernaculaire de chrysope verte commune sont présentes en France dans les milieux cultivés qu'elles colonisent. Ce sont, par ordre d'importance numérique dans la faune du centre de la France :

Chrysoperla affinis, dite Cc4 dans le système de référence à son type de trémulation, qui peut constituer plus de la moitié de l'ensemble des Chrysoperla dans les cultures de l'ouest de la France (Villenave, 2006),

Chrysoperla carnea au sens strict, ou Cc2

• et Chrysoperla lucasina ou Cc1.

3 - Boîtes d'hivernage

Les caractéristiques propres des sites d'hivernage et le grégarisme des adultes diapausants de Chrysoperla affinis ont inspiré le concept de boîtes d'hivernage [Voir fig. 6, Phytoma n° 540, juillet-aout 2001 : 14-19 ].

Leur but : favoriser le regroupement hivernal de ces adultes dans des cages fournissant des conditions optimales à leur survie et les fixer à proximité des parcelles de culture pour bénéficier au mieux de la pression prédatrice des larves issues des adultes de printemps (Çaldumbide et al., 2001).

4 - Les trois chrysopes et l'agronomie

Les potentialités agronomiques des chrysopes vertes communes sont importantes car ce complexe constitue 83 % de l'effectif total des Chrysopidae dans le nord de la France (Canard et al., sous presse).

Or chaque espèce de base a des caractéristiques bien différentes en raison de l'extension géographique de sa distribution et de ses préférences écologiques dans la culture. S'il est vrai (et trompeur !) que les adultes de presque toutes les chrysopes se rassemblent durant la journée dans des sites ombragés et relativement frais favorables à leur repos, l'étude de la répartition des pontes et de l'environnement immédiat des larves (rappelons-le, seules phases prédatrices) nous renseigne sur les capacités réelles de ces insectes à limiter les ravageurs-proies qui les entourent :

Chrysoperla carnea est présente partout en Europe tempérée, spécialement le nord, l'ouest et le centre ; ses larves se cantonnent dans la canopée : utiles en forêt et arboriculture (fruitière et ornementale) surtout.

Chrysoperla affinis est nettement la plus abondante dans la partie nord de la région considérée ; ses larves plus eurytopes, peuplant à la fois la canopée, les strates arbustive et herbacée, sont intéressantes partout.

Chrysoperla lucasina a une répartition essentiellement méridionale et ses larves occupent exclusivement la strate herbacée : des auxiliaires des « cultures basses », donc.

Les références bibliographiques (9 références) sont disponibles auprès des auteurs.

Résumé

Les deux chrysopes vertes communes présentes dans le centre de la France hivernent à l'état d'adultes en diapause ovarienne. Ils le font suivant des modalités différentes quant aux étapes les menant sur leurs sites préférentiels. Seuls les adultes de Chrysoperla affinis se regroupent hors boisement, dans des lieux secs, peu ventilés et obscurs tels que les habitations non chauffées. Ceux de Chrysoperla carnea restent dans la nature principalement dans des refuges ventilés comme les feuilles mortes restées suspendues dans les arbres. À la reprise d'activité printanière, tous se retrouvent sur les plantes porteuses de pollens nourriciers.

Summary

The two common green lacewings occurring in the centre of France overwinter as adults in ovarian diapause. They do following different ways leading to their preferred winter locations. Only Chrysoperla affinis adults flock together outside woody places, in dark, stuffy and dry locations such as unheated buildings. Those of Chrysoperla carnea stay in the field, mainly in well-ventilated shelters such as dried leaves remaining hung in the trees. When removing spring activity, all migrate to plants bearing pollens for feeding.

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