Situations à risque ou ce qu'il ne faut PAS faire : – manipuler à main nues un bidon de produit car, dès qu'il a été ouvert, il peut contaminer les mains. – manipuler à mains nues des semences traitées car, malgré le pelliculage, on peut toucher le produit. Photos : P. Delval
Quatre exemples d'équipements utiles. 3 - Rétention sur une aire de remplissage-lavage. 4 - Lave-mains embarqué sur le pulvérisateur, à côté de la cuve d'eau claire. 5 - Séchoir à tabac converti en local de stockage phyto. 6 - Caisse à matériel embarqué (gants à usage unique, soufflette à buses, etc.) placée hors de la cabine. Photos : P. Delval
En novembre 2009, dans le n° 628 de Phytoma, nous avions évoqué l'expérience menée avec des viticulteurs en Gironde dans le cadre du programme Agriprotect 2. Aujourd'hui, nous présentons l'ensemble de la démarche Agriprotect et faisons le bilan de son expérimentation. Le concept Agriprotect a utilisé les connaissances acquises sur la contamination d'opérateurs exposés aux pesticides, pour développer un outil d'analyse et de gestion du risque de ces contaminations. L'outil est destiné aux formateurs pour qu'ils le mettent en œuvre auprès des agriculteurs dans le cadre de formations continues professionnelles. Il est vite apparu l'intérêt d'associer les agriculteurs et leurs proches à cette démarche de prévention. D'où la création d'Agriprotect 2 qui fait suite à un premier programme Agriprotect au cours duquel on avait fait un état des lieux des connaissances dans le domaine de la protection.
Le projet Agriprotect a permis de rassembler des acteurs concernés par les produits phytopharmaceutiques : structures publiques, fabricants, distributeurs, recherche, développement et utilisateurs (voir encadré). Sa conception a abouti au partage d'avis, de contraintes et de solutions. Le groupe est convaincu que la mise à disposition de produits moins dangereux pour l'utilisateur, l'ensemble des acteurs agissant pour sensibiliser l'utilisateur sur la gestion des risques et l'applicateur qui acquiert de bons réflexes (utilisation et protection) sont des éléments pouvant concourir à réduire le danger, l'exposition et donc le risque.
Première étape, être acteurs de sa formation
Dans le concept Agriprotect, la formation revêt une place importante. Celle-ci a été développée sous une forme participative.
Pour cela, les personnes ayant à utiliser des pesticides ont été mises au centre du dispositif de formation. Elles sont incitées à analyser leurs propres situations de travail et ainsi à identifier les situations à risque et leurs déterminants. Les temps d'échange entre les participants et les intervenants ont été privilégiés. Ils favorisent la circulation d'idées et la mise en place de solutions propres aux agriculteurs.
Le programme : un module participatif répété pour chaque phase de manipulation
Pendant la formation, il n'y a pas uniquement une démonstration de l'existence de dangers dus à la manipulation des produits. Et la réponse ne se limite pas à préconiser des équipements de protection individuelle. Elle propose une orientation centrée sur la gestion pratique du risque par une approche globale (organisation du travail, aménagement des lieux) puis par une phase de manipulation des produits sur une exploitation. L'opérateur a un rôle d'acteur et non plus d'assisté. Dans un groupe, il peut lui-même faire les propositions permettant de minimiser le risque lors de l'emploi des produits.
Le module de formation est axé sur un modèle qui se répète pour chacune des phases de manipulation des produits (du transport à la gestion des déchets) : présentation de situations à risque (ph. 1 et 2), questions sur les pratiques des agriculteurs, échange sur leurs solutions et bilan de l'analyse et de la gestion du risque.
Lister les idées toutes faites
Auparavant, une séquence est consacrée à combattre les principales idées reçues :
– les insecticides sont les produits présentant les dangers les plus élevés ;
– la seule phase à haut risque est la préparation des produits ;
– la contamination se fait essentiellement en inhalant les produits ;
– les petits résidus de produits sur le matériel, les emballages, etc., ne provoquent pas de contaminations pouvant avoir des incidences sur ma santé ;
– dans ma cabine ou avec mes équipements de protection, je suis protégé quoiqu'il arrive ;
– après l'application, le risque de contamination devient extrêmement faible ;
– de toute manière, la manipulation de produits dangereux fait partie de mon métier (cette dernière idée a été mise en évidence par l'équipe de sociologues présente dans le groupe de travail).
Le produit à la trace
Tout au long de la formation, il est fait mention non seulement des risques de contaminations directes liés au contact que le manipulateur a avec le produit (éclaboussures, chutes, embruns…) mais aussi des nombreuses possibilités de contaminations indirectes. Le produit peut être déposé sur un objet (le bidon), un matériel (le tracteur ou l'intérieur de la cabine), des vêtements ou l'environnement (la culture).
L'objectif final est bien de faire comprendre que le contact avec le produit peut se rencontrer à maintes occasions durant l'activité et que l'opérateur doit développer des pratiques lui permettant en toute situation de diminuer les contacts, les expositions aux produits et donc, finalement, le risque.
Dans le cas de l'expérimentation en vigne, il a même été développé un atelier pratique (cf. Phytoma n° 628, novembre 2010) permettant la mise en évidence des différentes facettes de la contamination à l'aide d'un traceur coloré.
Enfin, il est proposé aux participants de formaliser trois actions qu'ils désirent mettre en place à l'issue de la formation.
Deuxième étape : suivi sur le terrain
La deuxième partie du concept est de prévoir et préparer, quelque temps après la première session de formation, une réunion de retour d'expérience. Pour cela, des outils d'observations et de suivi ont été développés et peuvent être mis en œuvre par l'intervenant ou le conseiller.
Lors de la formation, nous avons vu l'importance d'impliquer les participants et de leur permettre de faire leur propre diagnostic.
Ce second outil permet à la fois de faire un état des lieux et de prendre des photos ou des films des situations rencontrées par des membres du groupe, ce qui permet de préparer une réunion d'une demi-journée.
Journée bilan : du réel
Cette rencontre a pour but de faire le bilan des actions mises en œuvre par les agriculteurs, maintenir les échanges dans le groupe et prolonger l'action de formation commencée.
L'intérêt principal est qu'elle est organisée, non plus à partir d'un module préétabli mais à partir de situations réelles rencontrées par les participants. L'esprit participatif est donc développé lors de cette réunion-formation.
Le travail réalisé
Les trois contextes
Le concept Agriprotect 2 a été expérimenté en 2008 et 2009 dans trois contextes différents :
– la Seine-et-Marne, avec l'aide de la chambre d'agriculture : exploitations couvrant pour la majorité plus de 100 ha de grandes cultures (céréales, maïs, colza, betteraves, pomme de terre, lin…), moyenne d'âge des agriculteurs 44 ans, environnement géographique et social très tourné vers l'extérieur (proximité de néo-ruraux, épouses travaillant hors de l'exploitation) ;
– le Pays d'Auge, avec l'aide de la coopérative Agrial : exploitations de taille plus modeste, avec souvent un élevage de bovins et une production végétale relativement simplifiée, moyenne d'âge des agriculteurs 38 ans, environnement très rural, femmes travaillant sur l'exploitation ;
– le vignoble bordelais, avec l'aide de la Chambre d'Agriculture, de l'IFV et de l'Université Bordeaux 1 : exploitations familiales de quelques hectares et grands châteaux de plus de 100 ha, donc un public touché assez large avec des fonctions différentes (chef d'exploitation, responsable qualité-environnement, salarié tractoriste, mécanicien, etc.), environnement social différant entre petites exploitations familiales et grosses structures à plusieurs salariés.
Approche participative appréciée
L'approche participative a été appréciée par une large majorité d'agriculteurs et salariés agricoles présents lors des différents stages.
L'ensemble du concept apparaît comme pratique et concret, notamment l'atelier proposé dans le secteur viticole.
L'atelier viticole en Gironde
Rappelons (Phytoma n°628) que son objectif était d'être simple, facilement reproductible et permettant de visualiser la contamination de manière concrète.
Diverses phases de l'activité sont mimées : habillage, préparation de la bouillie, nettoyage de l'appareil et déshabillage. Grâce à un colorant bleu représentant le produit phytosanitaire, on peut suivre les éventuelles impacts de contamination qui aurait eu lieu lors des phases de manipulation. Puis une discussion se met en place avec tous les participants. En particulier on observe la localisation des taches dues au contact avec le colorant. Ces éléments visuels incitent à la prise de conscience des viticulteurs du risque de contamination cutanée et de la nécessité d'éviter tout contact. L'atelier est aussi l'occasion de passer en revue les équipements de protection préconisés si le thème n'a pas été abordé en salle. Cette partie de la formation permet de visualiser les voies de pénétration, contacts directs et indirects, et de réfléchir sur les moyens techniques de les prévenir.
La durée et le contenu de la formation sont modulables. Une demi-journée est plus adaptée pour une initiation et une journée pour un approfondissement.
Bilan des boîtiers en Pays d'Auge
La coopérative Agrial étant équipée des boîtiers (photo en médaillon page 48) permettant une réponse aux questions en direct, nous les avons utilisés afin d'améliorer l'interactivité.
Ce dispositif est positif à plusieurs titres. Il permet :
– à l'ensemble des participants de donner leur avis sur les différents points de manière anonyme ; cet anonymat favorise l'expression de personnes habituellement réservées à l'oral ;
– au formateur de réagir et d'adapter le contenu en fonction des réponses du groupe qui s'affichent sur l'écran ;
– enfin de gagner du temps puisque le calcul et la visualisation des résultats par rapport aux questions est immédiat. Il y a certes certains aspects restrictifs :
– le travail de mise en forme du module de formation nécessite un investissement en temps (de l'ordre de 1 à 1,5 jours) ;
– il faut acquérir ou louer le matériel permettant la mise en œuvre du module adapté ;
– une partie du public (faible mais réelle) est méfiante par rapport à l'enregistrement des données malgré notre avertissement déontologique.
Des améliorations que l'on peut obtenir vite
Les diverses expérimentations menées ont permis de mettre en avant des solutions mises en œuvre par des agriculteurs (ph. 3 à 6 p. 49) :
– un véhicule frigorifique désaffecté possédant une rétention pour transporter les « phytos » en sécurité ;
– un ancien séchoir à tabac aménagé pour les stocker (ph. 5) ;
– une brouette pour les transporter du stockage au lieu de préparation ;
– des lave-mains près des lieux de manipulation (préparation, pulvérisateur, v. ph. 4) ;
– des plastiques pour protéger le siège du conducteur dans l'appareil ;
– un hangar pour stocker, préparer les produits et ranger le pulvérisateur ;
– une zone délimitée au sol interdisant l'accès aux enfants et touristes dans une ferme faisant l'accueil ;
– des consignes de travail des salariés affichées sur lesquelles on note les délais de rentrée.
Déterminants révélés
Le suivi de la formation a permis également de mettre en évidence un certain nombre de déterminants de la contamination :
– les lieux de préparation sont souvent exposants car pas assez aménagés ;
– sur certains matériels il faut descendre dans la culture traitée pour rincer la cuve au champ, au risque de contaminer la cabine ensuite ;
– les matériels de poudrage des pommes de terre sont très exposants de par leur conformation et leur localisation sur l'appareil ;
– les contaminations lors de la rentrée dans des parcelles traitées concernent les travailleurs et salariés de l'entreprise principalement en vigne, mais aussi les conseillers visitant les parcelles dans le cadre d'un suivi de cultures dans les deux groupes de cultures ;
– lors de l'intervention, tout incident dans la zone traitée (buse bouchée, flexible débranché, etc.) va être source de contamination ;
– les matériels ne sont pas toujours propres lors de l'entretien ce qui génère une exposition du mécanicien par contact indirect ;
– la mauvaise conception du matériel engendre des risques de contaminations ; outre le cas des poudreuses et l'obligation de descendre dans la culture pour rincer certains pulvérisateurs, il y a l'accès à la cuve : s'il exige de monter sur la roue et se coller contre l'appareil pour la remplir, la contamination des membres inférieurs est évidente ; autre point, si l'appareil n'est ni conçu ni équipé pour minimiser la dérive en cultures hautes (vignes hautes, arboriculture), les vitres de la cabine seront couvertes de produit après quelques passages et, pour manœuvrer, l'agriculteur ouvrira les vitres d'où risque de contamination... faut-il équiper sa cabine d'un système de nettoyage latéral en attendant de réviser ou changer son appareil ?
Troisième phase : être présent pour informer
Mise en ligne
L'ensemble des données recueillies lors du développement du programme seront mises en ligne en fin d'année sur le site de l'ACTA (www.acta.asso.fr), chef de projet d'Agriprotect 2.
Cela comportera le rapport final du programme, une bibliographie sur le sujet et une mise à jour régulière par la suite de l'ensemble des outils (modules de formation, outils de suivi…), ainsi qu'un historique d'utilisation des substances actives (index des index) élaborés en collaboration avec l'Institut de veille sanitaire.
Un débouché sur Certiphyto
Enfin, la formation étant modulaire, elle peut permettre dans sa globalité de couvrir les besoins dans le cadre de la formation continue, et aussi d'alimenter les formations prévues pour le certificat « Certiphyto 2009-2010 » mis en place par le ministère chargé de l'Agriculture.
C'est le cas en Gironde, où la Chambre d'agriculture partenaire dans le programme l'a déjà intégrée. Pour cela, il est prévu de conseiller la mise en œuvre d'un module « réduit » permettant d'entrer dans le cadre imposé.
Ouverture et liens professionnels
Le groupe Agriprotect Vigne participera également à l'action française en Gironde du programme « Safe Use Initiative » dont le maître d'œuvre est l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP).
<p>* Voir sa composition dans l'encadré ci-contre. En savoir plus : Philippe.Delval@acta.asso.fr</p>
Qu'est-ce que le groupe Agriprotect 2 ?
• Financement du programme Agriprotect 2
Ce programme a été mené avec la contribution financière du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (CasDAR) suite à un appel à projets.
• Partenaires impliqués
– ITA : ACTA [Chef de projet], Arvalis-Institut du végétal, ASTREDHOR, CETIOM, ITAVI, ITB, ITL, IFV.
– Recherche publique : InVS, Université Bordeaux 1 - Dépt HSE - IUT.
– Administration : MAAP (DSST)
– Organismes de développement : CCMSA, APCA, Chambres d'agriculture 33 & 77, Agrial, Champagne Céréales, MSA 33.
– Structures privées : Adivalor, UIPP.
– Enseignement supérieur : ESA Angers.