Deux espèces d'altises du genre Epitrix, nouvelles en Europe, s'ajoutent à la liste

En 2004, des producteurs de pomme de terre portugais commencent à constater des dégâts sur leurs tubercules de pomme de terre et des attaques sur feuillage. Les responsables semblent être des insectes, apparemment des altises (coléoptères de la famille des Chrysomelidae). Oui, mais lesquelles ? En fait, on finira par découvrir qu'il ne s'agit pas de « bonnes vieilles » espèces habituelles subitement devenues nuisibles, mais bien de deux espèces originaires d'Amérique du Nord et nouvelles en Europe. Elles se nomment Epitrix similaris et Epitrix cucumeris. Présentation.

Au Portugal, des symptômes d'attaque ont été observés sur pomme de terre depuis 2004 dans la région de Porto puis à la frontière avec la Galice, vers le nord, et jusqu'au Tage, vers le sud. Dans un premier temps, une altise encore inconnue en Europe appartenant au genre Epitrix a été mise en cause (Oliveira et al., 2008). Une recherche poussée faisant appel à des spécialistes européens du groupe a mis en évidence la présence de deux espèces de ce genre, originaires d'Amérique du Nord et nouvelles pour l'Europe, Epitrix cucumeris (Harris) et Epitrix similaris Gentner (Doguet, 2009).

Pour situer ces deux bioagresseurs

Origine et distribution

E. similaris semble avoir une distribution limitée aux États-Unis, essentiellement en Californie (Seeno & Andrews, 1972). Elle n'a été différenciée d'E. cucumeris par Gentner (1944) que dans les années 40. En Europe, elle est présente dans les zones de culture de la pomme de terre au Portugal mais aussi dans le nord-ouest de l'Espagne à la frontière avec le Portugal (Boavida & Germain, 2009).

E. cucumeris est plus largement distribuée au Canada et aux USA. En Europe, cette espèce n'est signalée qu'au Portugal et dans une aire beaucoup plus restreinte qu'E. similaris.

Sept autres Epitrix sur solanacées

En Amérique du Nord, quatre autres espèces du genre Epitrix sont considérées comme nuisibles aux Solanacées : E. fuscula Crotch, E. hirtipennis (Melsheimer), E. subcrinita (LeConte) et E. tuberis Gentner. Seule E. hirtipennis était déjà introduite en Europe (Italie et Grèce), elle s'attaque aux cultures de tabac (Sannino et al., 1984 ; Lykouressis, 1991).

Par ailleurs, trois espèces d'Epitrix sans réelle importance agronomique sont présentes en France : E. atropae, E. intermedia et E. pubescens (Doguet, 1994). Elles se développent sur Solanacées sauvages et E. pubescens est donnée sur aubergine (Solanum melongena) et tomate (Lycopersicon esculentum).

Hôtes

Une gamme pour deux

E. similaris et E. cucumeris se développent sur la pomme de terre (Solanum tuberosum) mais aussi sur d'autres solanacées : tomate, aubergine, tabac (Nicotiana tabacum), les Capsicum spp et des adventices (Datura stramonium, S. nigrum). Les adultes peuvent se nourrir sur d'autres familles végétales (Chenopodiaceae, Cucurbitaceae, Fabaceae).

Description

Le genre Epitrix

Toutes les espèces d'Epitrix citées se ressemblent et sont très petites. La taille des adultes varie de 1,5 à 2 mm.

Il s'agit de coléoptères (présence d'élytres), de la famille des Chrysomelidae : les tarses sont crypto-pentamères, c'est-à-dire composés de 5 articles dont 4 bien visibles, le 4e étant niché dans le 3e. Ce sont des altises : elles font partie de la sous-famille des Alticinae caractérisée par un fémur postérieur élargi, adapté au saut (photo en médaillon).

Enfin, le genre Epitrix est caractérisé entre autres par la présence d'un sillon transversal sur la partie postérieure du pronotum et une pubescence élytrale marquée.

Les deux espèces

Les caractères morphologiques différenciant les deux espèces E. similaris (photo 2) et E. cucumeris (photo 3) sont difficiles à appréhender.

Seule l'observation de l'appareil génital du mâle (édéage) ou de la femelle (spermathèque) est vraiment pertinente pour assurer la spéciation. Mais elle reste du ressort de spécialistes.

Chez les adultes, E. cucumeris porte une pubescence plus dense qu'E. similaris. La ponctuation sur le pronotum est serrée et les points assez gros alors qu'elle est grossière et moins serrée chez E. similaris. Le sillon basal du pronotum est nettement moins profond chez E. simila ris. Les angles antérieurs du pronotum sont plus anguleux et nettement dentiformes chez E. cucumeris (photos 2 et 3).

Les élytres sont souvent brun-noir chez E. similaris et noir brillant chez E. cucumeris.

Les larves, relativement longues et fines, 5 mm, ont un corps rosé à presque blanc, une tête brune et 3 paires de pattes thoraciques (photo 4). Les segments du corps sont subdivisés dorsalement. Elles sont mobiles mais, en phase d'alimentation, se fixent perpendiculairement à la surface du tubercule hôte.

Biologie

Il n'y a pas d'informations sur le cycle biologique d'E. similaris mais on peut penser qu'il diffère peu de celui des espèces voisines chez lesquelles les adultes hivernent dans le sol ou des débris de végétaux. Ils émergent au printemps. Les femelles pondent alors leurs œufs au pied de la plante-hôte. À l'émergence, les larves se dirigent vers les racines ou tubercules pour se nourrir. Il peut y avoir une ou plusieurs générations par an suivant les espèces.

Il semble qu'E. cucumeris n'ait qu'une seule génération par an en Amérique du Nord.

Dommage et lutte

Dégâts dus à E. similaris...

Chez E. similaris, la plus nuisible des deux espèces, les véritables dégâts sont dus aux larves même si les adultes s'attaquent aux feuilles des plants de pomme de terre pour se nourrir.

Ils y font des criblures caractéristiques (trou d'environ 1 mm de diamètre) (photo 5), mais sans incidence notable sur le rendement.

Les tubercules touchés par E. similaris présentent de longues cicatrices liégeuses et de petites verrues superficielles (photo 6). Ces lésions sont provoquées par les larves qui se nourrissent au niveau de l'épiderme laissant des galeries superficielles. Elles n'affectent pas la chair du tubercule et ne semblent pas avoir d'effet sur le rendement mais les tubercules couverts de ces cicatrices pourraient voir leur commercialisation difficile après lavage.

... et à E. cucumeris

Les dégâts causés aux tubercules par E. cucumeris sont mineurs. Les larves se nourrissent essentiellement au niveau des radicelles mais peuvent aussi s'attaquer aux tubercules. Seules de fortes populations peuvent avoir un impact négatif, les prises alimentaires réduisant la quantité et la qualité des tubercules.

Il pourrait également y avoir transmission d'agents pathogènes (OEPP/EPPO, 2005).

Lutte : rotation et puis...

Parmi les méthodes de lutte préconisables à ce jour, il y a lieu de recommander des rotations longues par rapport à toutes les solanacées, cultivables ou adventices. Par ailleurs actuellement la lutte chimique est privilégiée au Portugal, le choix de produits se faisant sur la base de l'efficacité sur un autre coléoptère, le doryphore, Leptinotarsa decemlineata.

Conclusion : à étudier

De ces deux nouvelles espèces, E. similaris est la plus présente et la plus dommageable aux tubercules de pomme de terre. La présence de cicatrices superficielles induit une perte de qualité de la production et la possible perte de marché à l'exportation.

Curieusement, il n'existe pas de travaux sur la biologie de cette espèce en Amérique du Nord où elle ne semble pas être nuisible. Sa probable propagation en Europe de l'Ouest rend urgent le développement de programmes d'études pour mettre en place des moyens de lutte et de contrôle adaptés.

<p>* LSV Station de Montpellier. CBGP Campus international de Baillarguet, CS 30016, FR-34988 Montferrier-su-Lez cedex. germain@supagro.inra.fr</p> <p>** GERMICOPA, Station de recherche Kerguivac'h, FR-29520 Châteauneuf-du-Faou. catherine.chatot@germicopa.fr</p>