Du 13 au 16 septembre dernier, la ville irlandaise de Carlow, ou Ceatharlach, à mi-chemin de Cork et de Dublin, était la capitale mondiale de la pomme de terre. En effet, 50 chercheurs et techniciens européens (10 pays représentés), israéliens, américains, russes et japonais s'y sont retrouvés pour parler de mildiou, alternariose, rhizoctone, gales, bactéries et ravageurs de la pomme de terre, et des moyens de protéger cette culture... Il s'agissait de la rencontre triennale de la section Pathologie de l'EAPR, Association européenne de recherche sur la pomme de terre. Cette rencontre a été organisée par le « Teagasc », centre de recherche de Carlow (Steven Kildea) et par l'institut Agri-Food and Biosciences, de Belfast (Louise Cooke).
En préambule, Dan Milbourne (Teagasc, Irlande), un des acteurs internationaux du Consortium de séquençage du génome de la pomme de terre, a présenté des travaux ayant impliqué une quinzaine d'équipes de recherche dans le monde pour identifier des gènes de résistance aux principales maladies et aux ravageurs importants. Ewen Mullins, lui aussi du Teagasc, travaille sur l'utilisation de diverses espèces de Rhizobium : Sinorhizobium meliloti, Rhizobium sp.NGR234 et Mesorhizobium loti, comme outil de transfert de gène (OGM) dans la pomme de terre. Les premiers résultats de recombinaison, déjà obtenus sur riz et tabac, sont encourageants sur pomme de terre ; des travaux sont en cours pour optimiser la technique.
Le mildiou d'abord
Son évolution : rappel historique
Le mildiou a été largement abordé. L'évolution de ses populations, avec l'augmentation d'agressivité de certaines souches, a été le sujet principal de nombreux exposés.
Plusieurs auteurs irlandais, pays qui a eu particulièrement à souffrir du mildiou, ont rappelé son arrivée en Europe et son évolution.
Introduit en Irlande en août 1845 (après avoir contaminé les mois précédents la région de Courtrai, en Belgique), il provoque un désastre. The Great Famine (An Gorta Môr) entraîne la mort d'un million et demi de personnes et provoque l'émigration d'un million d'Irlandais entre 1845 et 1850.
On ne sait pas encore comment le parasite responsable, Phytophthora infestans, est arrivé en Europe. On ne sait pas non plus si les populations des années 1840 contenaient déjà les deux types de souches sexuées : A1 et A2.
En effet, hormis au Mexique, la population dominante mondiale de mildiou jusqu'à la moitié du XXe siècle était du type A1 (US-1).
Son évolution : études en Irlande
L'importation de pommes de terre du Mexique et des États-Unis en 1976 (sécheresse donc faible production en Europe de l'Ouest) est la cause probable d'une évolution importante : les premières souches A2 sont détectées en Suisse et en Allemagne en 1980, en Irlande en 1987.
Les études moléculaires conduites dans cette île dans les années 90 montrent que la population ancienne, identique à la lignée US-1, a disparu. De nouvelles souches A1 se sont installées, les souches A2 restent alors peu fréquentes.
En revanche, elles ont très fortement progressé ces quatre dernières années.
Dès 2007, des souches « Blue 13 » (13_A2), déjà dominantes depuis 2006 en Grande-Bretagne, ont été détectées. En 2009, la surveillance du territoire en Irlande a démontré que plus de 50 % des souches appartenaient au « clone Blue 13 ». « Une fois de plus, le mildiou en Irlande est en mouvement. » C'est aussi le cas dans toute l'Europe.
L'épidémie fulgurante en 2009 en Irlande (un peu comme 2007 en France mais moins précoce que chez nous) semble trouver une explication dans l'évolution de la population du pathogène. La surveillance du territoire en Irlande a révélé, dès 2007, 17 % de souches du génotype 13_A2 ; en 2008, 25 % des isolats sont du type 13_A2 et le génotype 6_A1 est détecté. En 2009, la progression de ces deux génotypes s'amplifie avec plus de 50 % d'isolats du type 13_A2.
Agressivité testée
Pour évaluer l'agressivité de ces nouveaux génotypes, des isolats contenant ces souches ont été testés sur diverses variétés dont certaines connues pour leur résistance au parasite : Sarpo Mira et Bionica.
Les isolats contenant 6_A1 et 13_A2 se montrent plus agressifs que ceux contenant 8_A1 et 5_A1 sur tous les types de variétés.
Et en Amérique
En Amérique du Nord, l'explosion du mildiou en 2009 sur pommes de terre et tomates est reliée certes aux conditions climatiques mais aussi à la mise en évidence de trois nouveaux génotypes.
L'auteur insiste sur la nécessité d'un suivi de ces phénomènes pour réussir une lutte efficace et « durable ».
Comment faire face ?
Résistances variétales à revoir
Plusieurs chercheurs ont travaillé sur l'impact des nouvelles souches sur les variétés. Notamment Stuart Carnegie en Grande Bretagne pose la question de l'évaluation de la résistance des variétés, lors de l'inscription aux catalogues officiels. En effet il a observé dès 2008 des baisses significatives du niveau de résistance face à des contaminations avec des souches 13_A2. Des variétés jusque là notées 5 et plus (sur un échelle de 9 à 1) voyaient leur note baisser parfois de 2 points.
Louise Cooke, en Irlande du Nord, conduit des essais sur variétés plutôt résistantes avec du mildiou contenant des souches 13_A2. Il en ressort qu'il est difficile de diminuer l'utilisation des fongicides sur des variétés notées jusque là résistantes comme Santé et Galactica. En revanche, cela semble rester possible sur certaines variétés comme Setanta, Sunset et surtout Sarpo Mira.
Cette très bonne « tenue » des lignées Sarpo face aux nouvelles souches est confirmée par David Shaw, du Sarvari Research Trust.
Qu'en retenir pour la France ?
On constate que le mildiou continue à évoluer partout et semble de plus en plus agressif. Il faut le vérifier en France par un dispositif de surveillance important. Si cela se vérifie, il faudra être d'autant plus prudent en conditions climatiques favorables à la maladie.
L'alternaria interpelle, mais est-il le problème ?
Pays-Bas, ne pas confondre les champignons
Lod Turkenstein et Jan Spoelder (Laboratoire HLB, des Pays-Bas) évoquent la difficulté à diagnostiquer l'alternaria. En effet, en présence de symptômes foliaires similaires, il peut s'agir d'Alternaria solani, vrai pathogène, mais on peut aussi avoir affaire à Alternaria alternata voire à Cladosporium cladosporioides. Or A. alternata n'est que très faiblement pathogène et C. cladosporioides ne l'est même pas… De plus, il existe d'autres causes possibles notamment des carences en magnésie, manganèse ou bore, mais aussi des excès de manganèse ou, enfin, de la phytotoxicité due à l'ozone.
C'est pourquoi ces chercheurs ont mis en place un réseau de surveillance, de détermination et d'information des producteurs.
Ainsi en 2009, sur 112 échantillons étudiés, 768 lésions visuellement attribuables à l'alternaria ont été examinées : 549 (74 % du total) ne présentaient aucun A. solani, dont 248 ni A. solani ni A. alternata. Et même 97 (12,6 % du total) ne présentaient aucun pathogène !
A souligner aussi : A. solani n'a été détecté qu'à partir du 21 juillet ; de plus, 50 % des échantillons contaminés l'ont été entre le 4 et le 18 septembre.
Important dans l'Idaho
Ceci dit, l'alternaria est considéré comme un pathogène très important aux Etats-Unis, notamment dans l'Idaho où sont produites 30 % des pommes de terres américaines.
Phillip Wharton, de l'université de cet Etat, présente la lutte contre la maladie. Les QoI, autorisés aux Etats-Unis dans les années 2000, ont vu leur efficacité diminuer rapidement. Une résistance a été démontrée. Ceci dit, les Américains pratiquaient 4 traitements QoI à 15 jours d'intervalle chaque année. Actuellement les QoI ne sont pas autorisés sur alternaria de la pomme de terre en France.
Qu'en retenir pour la France ?
L'alternaria est certes un pathogène mais il doit bien être identifié et différencié de phénomènes de carences ou d'excès en minéraux. On en tiendra compte en période de végétation stabilisée, mais il faut être prudent sur l'usage des fongicides. En particulier, il est conseillé d'alterner les matières actives et modes d'action.
Pathogènes des tubercules
Autre sujet abordé, les pathogènes du sol qui affectent directement les tubercules. Ils semblent être un problème émergent.
Travaux sur les Fusarium sp. et la dartrose aux États-Unis
Gary Secor (Université du Dakota du Nord, états- Unis) a présenté des travaux sur les Fusarium sp. (champignons du genre Fusarium) qui peuvent s'attaquer à des tubercules blessés par d'autres bioagresseurs. Ainsi Fusarium gramineum progresse sur diverses cultures y compris pomme de terre dans le MidWest. Pour qu'il y ait infection, les blessures doivent être plus importantes que pour la contamination par Fusarium sambucinum. A noter qu'il n'a pas détecté de mycotoxine sur les tubercules infectés.
Concernant la dartrose, la méthodologie d'évaluation de la diversité génétique de Colletotrichum coccodes, agent de cette maladie, a été étudiée aux États-Unis. La technique permet de quantifier le pathogène dans les tubercules et le sol. Cela facilite la recherche des facteurs de développement de la maladie en culture et en conservation.
Rhizoctone, travaux en France
Le SRPV Nord-Pas-de-Calais a présenté plusieurs années d'essais de traitement du tubercule et de traitement du sol contre le rhizoctone du à Rhizoctona solani.
Le traitement du tubercule, très efficace sur l'inoculum présent sur le plant, est insuffisant si le sol est fortement contaminé. Les traitements de sol en localisé sont efficaces en sols moyennement contaminés mais pas assez en sols fortement contaminés. On attend l'autorisation de spécialités pour cet usage.
L'Inra de Rennes, représenté par Karima Bouchek- Mechiche, a présenté les études in vitro de bio fumigation avec Brassica juncea pour lutter contre R. solani et Streptomyces spp (gales communes).
Streptomyces et autres : plusieurs espèces au Royaume-Uni
Des Britanniques utilisent la PCR pour suivre la dynamique des espèces de Streptomyces responsables de la gale commune : S. scabies, S. acidiscabies et S. turgidiscabies qu'on peut trouver associées sur le même tubercule. Elles sont maintenant importantes au Royaume Uni. Les chercheurs tentent d'expliquer les contaminations lors de l'initiation du tubercule et d'évaluer l'effet de l'irrigation à ce moment-là. L'irrigation retarde de 1 à 3 semaines le développement des Streptomyces en favorisant les antagonistes présents dans la microflore bactérienne.
Par ailleurs, les Britanniques travaillent sur la mise au point d'un test moléculaire (PCR) de diagnostic quantitatif du sol pour évaluer les risques de maladies du sol. Ils peuvent déceler notamment l'oosporiose (Polyscytalum pustulans), la dartrose (Colletotrichum coccodes) et le rhizoctone (Rhizoctonia solani).
Le problème majeur est la mise au point de l'échantillonnage car la répartition des pathogènes dans le sol d'une parcelle peut être très hétérogène. Le travail a conduit à retenir une méthode avec 100 prélèvements pour 4 ha.
Pologne, l'effet supermarché
En Pologne, les habitudes de consommation évoluent avec le développement des supermarchés. Ces derniers vendent des tubercules lavés dont l'épiderme est ainsi visible. De ce fait, et comme en France, ils exigent un aspect le plus possible indemne d'altérations superficielles donc visibles. Les maladies du tubercule sont donc de plus en plus prises en compte.
Depuis 2005, les Polonais évaluent les sensibilités des variétés qu'ils cultivent aux gales argentée et commune ainsi qu'au rhizoctone.
Qu'en retenir pour la France ?
Au final on note, outre la grande implication de tous les pays pour lutter contre les pathogènes du sol qui endommagent les tubercules, l'utilisation des techniques moléculaires pour étudier la biologie et surtout l'emploi de méthodes de diagnostic avant implantation des cultures. Deux thèmes intéressants pour la France.
Bactéries, pourritures et jambe noire
Plants importés contrôlés en Israël
Les « pourritures bactériennes » sont de plus en plus dommageables.
Lea Tsror (Centre de recherche, Israël), en collaboration avec le service israélien de contrôle à l'importation du plant européen de pomme de terre, met en évidence les contaminations par Dickeya spp, auparavant nommé Erwinia chrysanthemi.
Ce pathogène de quarantaine en Israël peut provoquer de 0,2 à 30 % de perte en « 2e culture » (plant « fermier » de la récolte obtenue avec le plant certifié européen).
Les taux de contamination sont : 51 % pour les lots néerlandais, 30 % pour les allemands, 5 % pour les français, nul pour les écossais.
De la Finlande...
Les bactéries ne frappent pas qu'au sud. En Finlande, Asko Hannukkala évoque la progression des Dickeya spp plus agressives que Pectobacterium spp (ex Erwinia carotovora). Ces Dickeya spp peuvent provoquer, dans des essais, des pertes allant jusqu'à 50 %.
… aux Pays-Bas
Plus près de chez nous, aux Pays-Bas, les problèmes de jambe noire s'amplifient. Selon Jan van der Wolf (Université de Wageningen), de nouvelles souches, notamment Dickeya solani, semblent prendre la place de D. dianthicola en Europe. D. solani colonise très rapidement le système racinaire. Puis il contamine les tubercules fils via les stolons.
Au plan épidémiologique, il semble que Dickeya sp. et Pectobacterium sp. ne contaminent les pommes de terre qu'en seconde année de multiplication (la 1ere année est produite à partir de mini tubercules sains).
L'hypothèse est que les bactéries s'introduiraient via les matériels agricoles durant la culture et la récolte. Puis, à partir des premiers tubercules pourris, l'eau libre du sol contribuerait à la dissémination.
PCR au Royaume-Uni
John Elphinstone (FERA) et plusieurs équipes britanniques cherchent à mettre au point des tests PCR pour détecter et identifier rapidement les espèces de Dickeya pathogènes.
En effet, rappellent-ils, le pathogène nommé auparavant Erwinia chrysanthemi a été reclassée en six espèces de Dickeya. De nouvelles espèces, notamment Dickeya solani, se développent en Europe. Ailleurs dans le monde, à côté de P. atrosepticum et D. dianthicola, d'autres Dickeya sp. attaquent la pomme de terre. Les Irlandais du Nord, face à cette agressivité de D. solani, ont mis en place depuis 3 ans un programme de surveillance pour caractériser les bactéries à l'origine de la jambe noire et de la pourriture des tubercules.
Au départ, il s'agissait de surveiller les importations de pommes de terre pour la transformation et le plant. Puis le dispositif s'est élargi aux productions locales : échantillonnage sur tubercules et tiges ainsi que dans l'eau d'irrigation.
Qu'en retenir pour la France ?
Que retenir de cette partie ?
D'abord, que les problèmes de jambe noire et de pourritures bactériennes s'amplifient ; le développement de souches plus agressives et le réchauffement climatique semblent en être les causes essentielles.
Ensuite et là encore, que des dispositifs de surveillance sont mis en place.
On notera également l'importance des pratiques culturales. Il faut être très prudent dans les échanges de matériel agricole ; nettoyage et désinfection sont à faire régulièrement.
Trois points essentiels
Cette session de travail a été très intéressante. Nous en retenons trois points essentiels.
D'abord deux constats concernant des phénomènes émergents :
– celui de l'accroissement de l'agressivité de plusieurs pathogènes,
– celui de leur extension géographique (réchauffement climatique, échanges internationaux, changement de pratiques culturales…)
Ensuite on constate une nécessité :
– celle de la mise en place de dispositifs renforcés de surveillance du territoire vis-à-vis des pathogènes et ravageurs les plus préjudiciables et de « diagnostics prédictifs » pour lutter de façon efficace et « durable » contre les nombreux ennemis de la culture de pomme de terre.
<p>* Expert Pomme de Terre, membre CA EAPR, comité rédaction Phytoma serge.duvauchelle@gmail.com</p> <p>** Pathologiste, Germicopa catherine.chatot@germicopa.fr</p>