1 - Phare de Point Reyes, pointe rocheuse d'un parc national au nord de San Francisco. En Californie, la nature sauvage côtoie les hautes technologies. 2 - Golden Gate Bridge entre San Francisco et Sausalito, longtemps le plus long pont suspendu du monde ; à son image, les ponts entre public et privé sont très fréquentés dans la région. Photos de la côte californienne : D. Fong
3 - Autre vue proche du phare de « Point Reyes ». 4 - Pebble Beach, entre Carmel et Monterey, au sud de San Francisco. 5 - Conifères torsadés typiques, des Cupressus macrocarpa ou cyprès de Monterey. La mission n'a pas permis d'aller les admirer mais elle a pourtant été dépaysante, ne serait-ce que par la découverte de mentalités différentes des nôtres. Photos de la côte californienne : D. Fong
Agrene, société de recherche développement membre du pôle de compétitivité Vitagora(1), a participé du 5 au 10 décembre 2010 à une mission « greentech » (soit « technologies vertes ») en Californie. Une découverte des innovations mais aussi des mentalités. Pragmatiques, les Californiens associent public et privé, produits naturels et produits de synthèse. Et foncent résolument sur l'innovation. Et voyage en images dans cette région côté nature.
L'objectif de cette mission était de prendre contact avec les centres de recherche et les start-up qui s'investissent dans les biotechnologies liées à l'agriculture. En effet, depuis quelques mois, certains fonds d'investissement (Venture Capital) s'intéressent (enfin ?) à l'agriculture, domaine délaissé car le retour sur investissement est trop lent.
Les progrès les plus marquants se situent dans deux domaines d'activité, à savoir :
– les technologies de l'acquisition et de la transmission de données, notamment pour améliorer les OAD (outils d'aide à la décision)
– et les bio-pesticides.
Du côté des capteurs
A l'UC Davis les exposés ont porté sur la mise au point de différents types de capteurs permettant de mesurer in situ :
– l'humidité du sol, sa compaction ;
– les paramètres du microclimat au niveau de la canopée des arbres ;
– l'évolution des populations de bioagresseurs et de prédateurs
Dans tous les cas, il s'agit de gérer au mieux l'irrigation et les traitements phytosanitaires.
Recherche publique, le règne de l'association
Produits naturels et de synthèse associés
Aussi bien à UC Davis(2) qu'au centre de recherche de l'USDA ARS, à Albany(3), les chercheurs travaillent à associer produits naturels et produits de synthèse pour renforcer l'activité de ces derniers ce qui permet de diminuer les doses voire le nombre de traitements. Les quatre chercheurs que nous avons rencontrés à Albany travaillent dans le domaine des substances naturelles produites par les plantes, les insectes (phéromones et kairomones) et les micro-organismes. Ils étudient les mécanismes de reconnaissance de ces substances par les insectes et les agents pathogènes au plan chimique et moléculaire et parallèlement élaborent les stratégies d'application au champ.
L'exemple des noix
Une application de la recherche en « chemogenomic » c'est-à-dire l'utilisation de sondes chimiques pour étudier au niveau moléculaire la voie de biosynthèse des mycotoxines a permis de sélectionner des produits naturels augmentant significativement la sensibilité des organismes cibles aux pesticides de synthèse. Ils permettent ainsi de réduire la teneur de certains fruits (noix) en mycotoxines tout en limitant l'emploi des pesticides de synthèse.
Public et privé associés aussi
En Californie, dès que les travaux de recherche permettent d'envisager des applications, les scientifiques cherchent des partenaires privés pour financer leur recherche. Celle-ci, de ce fait, se focalise sur l'applicabilité des résultats et tient compte des contraintes techniques et économiques de l'agriculteur.
Cette mission nous a permis de rencontrer plusieurs jeunes sociétés issues de la recherche et financées par des fonds d'investissement ou Venture Capital.
Visites de sociétés fabricantes
Gérer finement l'irrigation
Une jeune société, Pure Sense, propose des solutions innovantes pour l'utilisation efficace et raisonnée des ressources en eau.
Elle développe des systèmes intelligents d'évaluation en temps réel de l'impact des pratiques culturales sur la croissance et la santé des végétaux, ce qui permet aux agriculteurs de choisir la meilleure stratégie de gestion et de contrôle de l'irrigation. Ce système comprend trois composants : une station de contrôle reliée à des capteurs dans la parcelle, un logiciel personnalisé et un service de soutien permanent.
Dans cette région où les biotechnologies de l'information sont omniprésentes, tous les outils d'aide à la décision fournis par Pure Sense peuvent être mis à la disposition de l'agriculteur sur son téléphone. Il pourra ainsi gérer l'irrigation de ses parcelles même depuis un lieu de villégiature éloigné !
Protection des plantes, Agraquest
Dans le domaine de la protection des plantes avec des biofongicides, insecticides ou herbicides nous avons visité deux sociétés, Agraquest et Marrone Bio Innovations (MBI). Elles ont la particularité d'avoir été toutes deux créées par Pamela Marrone, actuelle présidente directrice générale de MBI.
Agraquest, créée en 1995, est la société détentrice des « Serenade », fongicides à base de Bacillus subtilis (deux spécialités autorisées en France). Agraquest souhaite élargir le marché du B. subtilis en créant de nouvelles préparations adaptées à de nouveaux usages(4). Elle cherche aussi à mettre au point de nouvelles préparations à base d'autres micro-organismes.
MBI, le B de « bio » pour dire... destiné à la protection intégrée
Marrone Bio Innovations est une société créée en 2006 par P. Marrone qui avait quitté Agraquest.
Au départ, l'entreprise s'appelait Marrone Organic Innovation (MOI) ; en anglais, le terme « organic » fait référence à l'agriculture biologique (« organic farming »). Le nom a changé en 2009 pour manifester le fait que les produits, d'origine biologique, peuvent intéresser les agriculteurs conventionnels.
Quoiqu'il en soit, MBI travaille à la découverte et au développement de biopesticides à partir d'extraits de plantes, de micro-organismes ou d'insectes.
La preuve par deux produits
Elle a déjà mis sur le marché nord-américain l'herbicide GrennMatch et le fongicide Regalia. Le premier, herbicide de contact d'origine végétale, a été évoqué dans l'article p. 16 à 18.
Le second, lui aussi d'origine végétale (extrait de renouée de Sakhaline) est un activateur des mécanismes de défense de la plante à très large spectre d'action. Il est intéressant contre les oïdiums, mildious, bactérioses, pourriture grise, etc., lorsqu'il est appliqué en association avec des fongicides de synthèse.
Ici, l'intégration des méthodes de lutte est plus qu'un slogan, c'est devenu une réalité. Le dépliant publicitaire ne présente pas de résultats d'efficacité de Regalia appliqué seul mais seulement en application combinée avec différents fongicides de synthèse.
De part et d'autre de l'Atlantique
Pour conclure, je soulignerai deux aspects qui ont retenu mon attention, tous deux liés au pragmatisme de nos collègues californiens.
Le naturel ? « Intégré d'office »
D'abord, l'absence de frontière entre produits naturels et produits de synthèse. Ils ont notamment à l'esprit qu'il convient de limiter l'emploi de produits aux effets indésirables reconnus tout en maintenant voire en augmentant la productivité. L'association entre produits naturels et produits de synthèse constitue un thème central de recherche, et ceci qu'il s'agisse de la lutte contre les maladies ou contre les insectes.
Au contraire, en Europe, on cherche à développer des produits naturels efficaces par eux-mêmes. Et c'est seulement par la suite, parfois tardivement, que l'on regarde dans quelle mesure ils peuvent être mis en œuvre dans des programmes de traitement. À ma connaissance, l'association produits biologiques et produits de synthèse n'est jamais abordée à l'origine d'un projet de recherche.
La mise sur le marché ? Ils y vont.
Le pragmatisme de nos collègues américains se manifeste aussi dans leur attitude face à la mise sur le marché de procédés qui, aux yeux du chercheur, n'ont pas encore atteint la performance optimale. En d'autres termes, ils n'attendent pas d'avoir tout compris avant d'aller à l'application.
Dans le cas de la société Pure Sense (voir plus haut), leur système de gestion de l'irrigation est loin d'être parfait ; mais, comme il permet d'économiser 20 % d'eau et simplifie le travail de l'agriculteur, rien ne sert d'attendre avant de commercialiser ; la commercialisation permet même d'acquérir des données qui serviront à améliorer le système de gestion.
C'est dans ce contexte que nous devons nous attendre à voir arriver sur le marché européen des produits et des procédés « made in USA ». Alors même que de prometteuses innovations issues de recherches menées en Europe ne sont pas encore commercialisables chez nous.
<p><b>En médaillon en haut de page : photo extraite du site d'Agraquest, une des sociétés visitées, illustrant la présentation des <i>« associations avec des produits de synthèse »</i>. On y explique que les <i>« low chemical input »</i> (<i>« intrants avec peu d'ingrédients chimiques »</i>) sont l'avenir de la production alimentaire. Et que les produits biologiques associés à des produits chimiques peuvent résoudre les problèmes de résistance et de résidus. Significatif.</b></p> <p>* Conseiller scientifique d'Agrene.</p> <p>(1) Pôle de compétitivité Goût-Nutrition-Santé, situé à Dijon.</p> <p>(2) Université de Californie à Davis, ville située à 120 km au nord-est de San-Francisco ; c'est un des dix campus universitaires publics californiens.</p> <p>(3) Service de recherche agricole du ministère fédéral de l'Agriculture (USDA = United States, sous-entendu « of America », Department of Agriculture ; ARS = Agricultural Research Service) d'Albany, ville toute proche de San Fransisco.</p> <p>(4) NDLR - Notamment en traitement des semences ! Voir l'article en p. 16.</p>
Pour situer cette mission
La mission d'information à l'origine de cet article a été organisée à l'initiative du Super Cluster F2C Innovation dont Vitagora est membre fondateur aux côtés d'Agrimip(1) et de Valorial(2).
Cette mission a bénéficié du soutien logistique et financier de la DGCIS(3) et d'Ubifrance.
(1) Pôle de compétitivité agricole et agro-industriel en Midi-Pyrénées, basé à Castanet près de Toulouse.
(2) Pôle de compétitivité agricole et agroalimentaire de l'Ouest, basé à Rennes.
(3) Direction générale de la Compétitivité, de l'Industrie et des Services du ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie.