Depuis l'an dernier, le plan Écophyto 2018 a fait évoluer le cadre des bonnes pratiques : décisions concernant l'offre de produits à utiliser, déploiement de « l'expérimentation certiphyto » et création de l'axe 9 du plan consacré à la sécurité des applicateurs. Évocation générale et exemples concrets, du sacre du purin d'ortie à l'encre invisible qui révèle les risques.
On sait que l'objectif du plan Écophyto 2018 lancé en 2008 suite au Grenelle de l'Environnement est de réduire l'utilisation de produits phytos « de 50 % si possible ». Mais le but de cette réduction est de faire diminuer les risques pour l'environnement et la santé humaine. Si l'on remplaçait les produits actuels par une quantité deux fois moindre des produits dix fois plus dangereux, on aurait atteint l'objectif médiatique mais pas le but qu'il est censé viser ni le bienfait recherché.
Or, le grand public ne le sait pas assez, tous les produits phytos ne sont pas équivalents entre eux. Bien plus, pour un même produit utilisé, les risques encourus dépendent beaucoup des pratiques phytosanitaires avant, pendant et après les traitements. D'où l'intérêt des bonnes pratiques, justement.
Produits, règles de choix
La question du « bio-contrôle »
Côté produits, Ecophyto 2018 encourage le « biocontrôle », c'est-à-dire l'emploi de produits alternatifs aux pesticides chimiques, comme moyen évident de limiter l'usage des pesticides chimiques en question.
Une mission parlementaire pilotée par le député Antoine Herth a remis son rapport à ce sujet le 19 avril 2011. Sur sa base, le ministre de l'agriculture, Bruno Le Maire, a publié le 20 avril une « feuille de route » pour le CNOS, comité national d'orientation et de suivi du plan Écophyto 2018, avec douze mesures en faveur du bio-contrôle à mettre en œuvre « dans les deux prochaines années ».
Ainsi les BSV, Bulletins de santé du végétal qui jusqu'ici ne conseillent pas de traitement, sont encouragés à évoquer les macro-organismes auxiliaires et les préparations autorisées à base de micro-organismes ou de phéromones (mesure 4 de la feuille de route). Les PNPP, préparations naturelles peu préoccupantes, sont citées dans la mesure 9.
De fait, le JORF(1) a publié le 28 avril l'arrêté ministériel autorisant la mise sur le marché du purin d'ortie (voir ci-dessous). De plus, une note de service du MAAPRAT(2) datée du 18 avril donne la « liste de référence des éléments naturels à partir desquels sont susceptibles d'être élaborées » ces PNPP. Cette liste « indicative et évolutive » comprend 34 noms d'éléments, tous issus de plantes.
Vingt-quatre sont utilisés en alimentation humaine : feuilles d'ortie, graines de fenugrec, sésame, coriandre, menthe toute entière, huiles de colza, de tournesol, de soja, d'olive, etc. S'y ajoutent 10 noms d'autres parties de plantes : feuilles d'olivier, feuilles, écorce et pépins d'agrumes, etc.
Conventionnel comme bio, viser le faible risque
L'origine naturelle d'un produit ne garantissant pas l'absence de risque, le rapport Herth propose des moyens pour que « ces alternatives à la lutte chimique soient aussi efficaces mais sans risque pour la santé et l'environnement ».
Il conseille ainsi de « veiller à l'innocuité (des micro- organismes) pour la santé des utilisateurs » et évoque les produits naturels « à faible risque ». Parmi ceux-ci, on peut compter les PNPP (préparations naturelles peu préoccupantes) tel le purin d'ortie déjà cité. Mais il y a aussi certaines substances naturelles purifiées. La logique est, citons le rapport Herth, d'encourager parmi les « méthodes non chimiques de prévention ou de lutte » celles qui sont « plus sûres pour la santé ou pour l'environnement ».
Il reste à encourager aussi, parmi les autres produits, ceux qui présentent les plus faibles risques.
Car, mais oui, les produits phytos de type « pesticide chimique » ne sont pas tous également (et méchamment) toxiques ! Certaines de ces substances actives sont à bon droit classées, au même titre que certaines substances naturelles, comme « substances à faible risque ». Leur proportion augmente et globalement, la toxicité moyenne de la phytopharmacopée diminue.
Le bon choix EST une bonne pratique
Mais quel rapport avec les bonnes pratiques, sujet de ce dossier ?
Tout simplement ceci : le choix d'une spécialité la plus sûre possible est une des premières bonnes pratiques à mettre en œuvre. Et un encouragement aux fabricants pour qu'ils développent de telles spécialités.
Pour un même usage et une même efficacité attendue, le « profil toxicologique et écotoxicologique » d'un produit peut donc être un critère de choix. Mais comment connaître ce profil ? Il existe des indications, à commencer par les étiquettes des spécialités.
En effet, tout produit phyto arbore une étiquette dont le contenu doit être divulgué avant l'achat. Elle doit être rédigée en français, sinon il y a fraude et la bonne pratique est de ne pas acheter. Elle doit donner le classement du produit et des indications sur le type de danger éventuel et les précautions à prendre. Encore faut-il savoir se servir de ces informations.
L'article p. 24 évoque l'évolution future des étiquettes. En attendant, « savoir lire les étiquettes » est un des objets des formations certiphytos. Mais pas le seul.
Certiphyto, rapport d'étape
L'expérimentation, la loi et le calendrier
Ces formations découlent du plan Ecophyto. Elles seront encadrées par les lois Grenelle(3), en particulier Grenelle 2 dont des articles traitent de protection des plantes(4). Ainsi l'article 94 de cette loi oblige les professionnels concernés par les produits phytos (ayant à les appliquer, les vendre, décider des applications ou les conseiller) à détenir des « certificats ». Un décret lancera le dispositif définitif « au plus tard dans un délai d'un an » après la promulgation de la loi donc d'ici le 13 juillet 2011.
En attendant, l'« expérimentation Certiphyto 2009-2010 » a démarré en 2009 dans le cadre d'Ecophyto avant le vote de Grenelle 2 et a été officialisée par un décret paru fin 2009(5). Prévue jusqu'au 30 juin 2010, elle a été prolongée jusqu'au 31 juillet 2011. Elle concerne une partie des publics qui seront concernés par l'obligation de certification et trois des quatre voies d'accès prévues (Tableau 1 p. 18).
Comme c'est d'ici juillet que doit paraître le décret instaurant le certiphyto définitif, celui-ci devrait prendre le relais. Si tout va bien.
Vendeurs et autres salariés « anciennement DAPA »
Les certiphytos des conseillers, distributeurs et salariés d'entreprises d'application en prestation de service (agriculture ou zones non agricoles) permettront aux entreprises ou organismes les employant d'être agréés.
Sauf pour les conseillers, cet agrément va remplacer celui en vigueur depuis 1996 de par la loi d'agrément de 1992(6). Or, pour obtenir cet agrément, une entreprise doit avoir une partie de son personnel titulaire d'un « certificat DAPA »(7), souvent dit « DAPA ». Pour l'instant, l'agrément et le DAPA restent valables.
D'abord, le titulaire d'un DAPA valide aujourd'hui sera reconnu comme certifié pendant la durée de validité de ce certificat, qui est de 5 ans.
Ensuite, durant une période de transition, les formations de type DAPA pourront continuer à être organisées pour donner des certificats valables. Un décret précisera la durée de cette période, de deux ans maximum.
Enfin, il se murmure que le certificat exigé des « décideurs » des entreprises de distribution de produits et de leur application en prestation de service pourrait couronner un parcours très proche de celui de l'actuel DAPA.
Conseillers, vendeurs et salariés prestataires « pas DAPA »
En parallèle, des formations de type « certiphyto expérimental » sont organisées pour les conseillers (un nouveau public) mais aussi pour des salariés d'entreprises de vente et d'application qui n'ont pas le DAPA. En effet, selon la loi d'agrément de 1992 seule une partie du personnel concerné par les produits phytos doit être certifiée DAPA pour que l'entreprise soit agréée. Mais selon Grenelle 2 tous les salariés en lien avec ces produits devront être certifiés.
Ainsi des formations pour les « UNAO », c'est-à-dire les « opérateurs en utilisations non agricoles » (jardiniers professionnels et autres applicateurs de produits phytos) ont été assurées. Ces sessions de deux jours commencent par un « QCM de positionnement » : questionnaire à choix multiple visant à repérer les points forts des stagiaires et ceux sur lesquels ils manquent d'informations. Ainsi le formateur adapte le programme aux besoins.
« Nous alternons les parties en salle, avec exposés et discussion, et les manipulations concrètes très appréciées des praticiens », explique Isabelle Huguet, directrice de la FREDON(8) Ile-dede- France, fédération qui a formé 70 opérateurs en ZNA pour le certiphyto 2009-2010.
Ou l'encre invisible révèle
La FREDON utilise des appareils de traitement. « Nous faisons des exercices d'étalonnage et de révélation à l'encre invisible. »
Qu'est-ce ? « Simple : un stagiaire prépare et applique une bouillie en utilisant en guise de produit phyto un bidon d'eau dans laquelle on a mis un colorant non toxique et invisible en lumière normale. » Puis on va à l'obscurité, on éclaire l'opérateur en lumière révélatrice (photos)... « Et on voit ce qui brille : les gants, le front s'il s'est relevé une mèche de cheveux, le nez s'il se l'est frotté, les vêtements s'il y a eu éclaboussures. Cela fait voir les voies de contamination ! » La FREDON Ile-de-France a été la première à utiliser cette astuce inspirée du « jeu du traceur bleu » des sessions Agri protect(9). D'autres l'ont imitée. Tout lecteur de ce dossier peut en faire autant : il n'y a pas de droit réservé.
Du côté des agriculteurs
Mais le gros de l'expérimentation a touché les agriculteurs. Ils ont été qualifiés de « décideurs d'exploitation » en « utilisation agricole », en abrégé UADE, pour les différencier des salariés agricoles « opérateurs d'exploitation » (UAOE), pas inclus dans l'expérimentation.
Fin février, Vivea, le fonds d'assurance formation pour l'agriculture, annonçait « 80 000 agriculteurs formés » depuis l'automne 2009, dont environ 90 % par la voie D c'est-à-dire sans évaluation officielle (Tableau 1). Il espérait passer le cap des 100 000 d'ici le 31 juillet. Cela ressemble à un véritable engouement.
La gratuité des formations pour les agriculteurs est certes un atout car le certiphyto obligatoire sera probablement payant. Par ailleurs un sondage BVA réalisé à la demande de Vivea montre que les participants tirent un bilan positif de ces journées : informations reçues, échanges entre eux, manipulations concrètes. Et puis il y a les témoignages de formateurs. Ainsi la FREDON Ile-de-France : « 170 agriculteurs formés, en travaillant avec une seule coopérative. Soit 40 % de leurs adhérents ! compte I. Huguet en ajoutant : Ces sessions se passent très bien, avec des agriculteurs motivés. » La FREDON a là aussi « révélé à l'encre invisible ». Succès garanti et support de prise de conscience bienvenu.
Pour sa part, l'UIpp (10), pas agréée pour le Certiphyto car représentant des fabricants, a mis à la disposition d'organismes agréés les formateurs qui intervenaient dans son « école des bonnes pratiques » et tient le compte de leurs interventions. « Depuis le début de l'opération, ils ont participé à 1 100 sessions de formation d'agriculteurs, avec une moyenne de 12 à 13 stagiaires par groupe », soit 13 à 14 000 agriculteurs, calcule Ronan Vigouroux, chargé de mission Bonnes pratiques à l'UIPP. « Leur animation fait intervenir des boîtiers de vote Agrodiag », signale-t-il. Cela fait participer tous les stagiaires même les « taiseux », et c'est aussi un outil d'auto-évaluation.
Durée de validité, ça se précise
Pour les agriculteurs, les certiphytos expérimentaux sont valables dix ans. Leurs certiphytos définitifs auront-ils la même durée ? Rien ne le garantit. Il faut attendre le décret voire ensuite ses arrêtés d'application pour être fixé. En attendant, les sessions qui seront réalisées jusqu'au 31 juillet 2011 donneront droit, c'est sûr, à un certiphyto valable 10 ans.
On ne sait pas quelle sera la durée de validité des certiphytos des salariés d'exploitation (ouvriers agricoles).
Quant aux certificats des autres catégories de public, ceux des utilisations non agricoles, de la distribution et du conseil, leur durée de validité sera de 5 ans. Là, on en est sûr à 99 %.
Points en projets
Axe 9 : écophyto s'occupe des applicateurs
D'autres volets du plan Ecophyto 2018 concernent les bonnes pratiques. Ainsi, même si ce plan issu du Grenelle de l'environnement vise d'abord l'effet environnemental, la question de la sécurité des applicateurs de produits phytos a fini par se poser. En novembre 2010, l'axe de travail « santé et protection des utilisateurs » a été ajouté aux 8 pré-existant(11). Il comporte huit actions réparties en quatre chapitres :
– « Matériel », amélioration des pulvérisateurs en amont mais aussi « développement des règles d'hygiène », bonne pratique ;
– « EPI » comme équipements de protection individuelle, avec deux actions en amont (surveillance et normalisation) et l'action « recommandations en fonction des caractéristiques du produit », conseil de bonne pratique ;
– « Zone de préparation et de nettoyage », avec les actions préparation et gestion des fonds de cuve d'une part et une ergonomie-gestion des pulvérisateurs d'autre part ;
– « Veille sanitaire », avec son action sur la méthodologie des études épidémiologiques ; bonne pratique... de chercheurs !
Depuis lors, trois groupes de travail ont fonctionné. Celui sur les EPI espère publier des documents courant juin ; celui regroupant les travaux des chapitres 1 et 3 avancerait aussi. Dès que possible, nous évoquerons leurs résultats. En attendant, les thèmes de travail du chapitre 3 sont évoqués dans les articles p. 27, p. 35 et p. 41.
Décret HVE
Enfin, le projet de décret sur la certification environnementale a été mis en consultation publique jusqu'au 8 mai 2011.
Certes l'objet de cette certification est plus large que celui de la protection phytosanitaire. Ainsi, il y aura trois niveaux de certification, le premier étant le respect des lois et le fait d'avoir fait auditer son exploitation. Quant aux exigences de la certification de deuxième niveau ou « certification environnementale de l'exploitation », elles comprennent quatre volets(12), dont un intitulé « adapter l'utilisation de produits phytopharmaceutiques en fonction de la cible visée », excellent principe général. Enfin le troisième, le fameux HVE (Haute valeur environnementale), sera basé sur des indicateurs qui seront « fixés par arrêté du ministre chargé de l'Agriculture ».
Bref, le point réglementaire de notre prochain dossier « Bonnes pratiques » pourrait évoquer la mise en place de la HVE, les avancées de l'axe 9 d'écophyto et le Certiphyto définitif... Pour l'instant on s'en tiendra là.
<p>* Phytoma.</p> <p>(1) Journal officiel de la République française.</p> <p>(2) Ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Ruralité et de l'Aménagement du territoire. N.B. La note du 18 avril est répertoriée sous le sigle : DGAL/ SDQPV/N2011-8095.</p> <p>(3) Loi Grenelle 1 : Loi n° 2009-967 du 3 août 2009 <i>« de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'Environnement »</i>, publiée au JORF le 5 août 2009. Loi Grenelle 2 : Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 <i>« portant engagement national sur l'environnement »</i>, publiée au JORF du 13 juillet 2010.</p> <p>(4) Voir <i>« Et la protection des plantes, Grenelle ? »</i>, dans Phytoma n° 636, août-septembre 2010, p. 8 à 11.</p> <p>(5) Décret n° 2009-1619 du 18 décembre 2009 <i>« relatif à la création, à titre expérimental, du Certificat « Certiphyto 2009-2010 »</i>, publié au JORF du 24 décembre 2009.</p> <p>(6) Loi n° 92-533 du 17 juin 1992, dite « Loi d'agrément », appliquée depuis le 1er janvier 1996.</p> <p>(7) Distributeur, Applicateur de Produits Anti-parasitaires à usage agricole (= produits phytos).</p>
Le purin d'ortie autorisé
La première autorisation de PNPP promise a été publiée au JORF du 28 avril 2011 dans un arrêté du MAAPRAT daté du 18 avril. C'est celle du purin d'ortie.
Les préparations de ce purin, si elles sont fabriquées suivant la recette figurant en annexe à l'arrêté (première publiée, d'autres pourraient suivre), sont désormais « autorisées à être mises sur le marché en tant que substance de base à usage phytopharmaceutique ». Elles bénéficient de la mention EAJ (emploi autorisé en jardins d'amateurs) donc peuvent être vendues aux amateurs, ce qui ne les interdit pas pour autant aux professionnels.
Si on veut vendre un purin d'ortie, c'est désormais possible en toute légalité, à condition de respecter la recette et aussi de :
– le déclarer auprès de la DGAL, simple déclaration sans attendre de réponse ;
– porter certaines mentions (indiquées en annexe de l'arrêté) sur l'emballage, l'étiquette ou une notice jointe si l'étiquette et l'emballage sont trop petits.