dossier - qualité sanitaire des grains un enjeu majeur

Orges, fusarium et PCR, langsethiae démasquée

Régis Fournier*, Patrick Boivin*, Alain Froment** et Thierry Varraillon** - Phytoma - n°646 - août 2011 - page 22

Depuis 2009, la PCR permet de mieux connaître les Fusarium sp. autres que F. graminearum et leurs mycotoxines dans les orges de brasserie
Fusarium langsethae (ph. R. Fournier)

Fusarium langsethae (ph. R. Fournier)

Les moisissures du genre Fusarium représentent une part importante de la contamination fongique des orges, notamment comme productrices potentielles de mycotoxines. Et elles ne se limitent pas à F. graminearum et son DON. Depuis 2003, on dispose d'une méthode officielle d'identification visuelle après isolement pour caractériser 21 espèces différentes de Fusarium. Depuis 2009, les outils de la biologie moléculaire, notamment la PCR, permettent de caractériser les 7 principales espèces de Fusarium présentes sur orge de façon quantitative et plus rapide, et aussi avec des objectifs différents. Voici des résultats obtenus par l'IFBM-Qualtech sur des échantillons d'orge issus des récoltes 2009 et 2010, avec une attention particulière pour Fusarium langsethiae et Fusarium tricinctum et les fusariotoxines qu'ils sont capables de produire : trichothécènes de type A et enniatines.

Les observations réalisées par l'IFBM-Qualtech depuis 2003 (Fournier et al., 2003, 2005, 2009 ; Boivin et Benismail, 2005) sur les orges de brasserie ont montré que les populations de Fusarium sont sujettes à des variations annuelles entre espèces. Ces variations pourraient expliquer la présence et les proportions de contamination par les mycotoxines associées.

Fusarium sp. sur orge et mycotoxines associées : une évolution notable

Pourquoi s'intéresser aux espèces productrices des toxines T2 et HT2

En effet, les observations visuelles des contaminations en Fusarium de 2001 à 2011 sont cohérentes avec les données sur l'évolution de la proportion de lots contaminés par les trichothécènes de type A (toxines T2 et HT2) et de type B (principalement déoxynivalénol alias DON et nivalénol alias NIV).

Ces observations visuelles ont montré et montrent toujours que F. tricinctum est l'espèce majoritaire rencontrée sur orge de brasserie. Cette espèce ne produit pas de trichothécènes et est présente virtuellement sur tous les lots analysés : rares sont ceux qui en sont exempts.

Par ailleurs F. graminearum, productrice de trichothécènes de type B, était isolée assez souvent sur orges au début des années 2000. Mais les orges de brasserie présentent une relative « résistance » à la contamination naturelle par F. graminearum. De plus, elles ne sont qu'exceptionnellement contaminées par F. culmorum, autre producteur de trichothécènes de type B. En revanche, les analyses de laboratoire montrent une plus forte incidence de la présence de trichothécènes de type A. Aussi nous sommesnous intéressés à leurs espèces productrices F. langsethiae, F. poae et F. sporotrichioides.

Une arrivée discrète qui s'impose

L'apparition de F. langsethiae sur les orges vers 2003 a suivi la description de cette espèce dans les pays scandinaves en 1999.

Discret, provoquant peu de symptômes(1) et ne pouvant donc pas être associé au terme de fusariose (plutôt lié à F. graminearum, v. encadré), F. langsethiae a peu à peu assis sa présence sur la totalité des orges françaises jusqu'en 2007. Actuellement et depuis 2007, elle est retrouvée dans un grand nombre d'échantillons, et la présence des toxines associées (toxines T2 et HT2) est observée de manière systématique sur les orges. En 2007, 100 % des échantillons contenaient les toxines T2 et HT2 à un niveau détectable. Bien que les quantités observées ne soient pas alarmantes outre mesure, les toxines n'en sont pas moins présentes et une surveillance rigoureuse est nécessaire.

En effet, la biologie de la contamination, de la croissance, les facteurs influençant la production de toxines commencent seulement à être connus, et beaucoup reste à faire.

Contaminations artificielles au champ : F. langsethiae se rebiffe

Certes la contamination artificielle par F. langsethiae est maîtrisée en chambre phytotronique, ce qui permet d'obtenir des informations sur le mode de contamination. Mais les tentatives de réaliser des contaminations artificielles « au champ » en parcelles expérimentales d'orge ou de blé par F. langsethiae se sont révélées infructueuses. On n'a donc pas pu observer dans ces conditions, sur fond de contamination homogène, les effets sur la contamination de l'application d'intrants ou de pratiques culturales.

Les études réalisées jusqu'à présent sur le groupe de Fusarium producteur de trichothécènes de type A (toxines T2 et HT2), les F. langsethiae, sporotrichioides et poae, sont donc basées sur l'observation de contaminations naturelles.

La PCR, une solution

L'impossibilité des contaminations artificielles a été contournée par les observatoires et le développement de méthodes d'identification rapide et de quantification par PCR.

La quantification de la biomasse par espèce permet de réaliser des suivis des populations, espèce par espèce, au cours de la croissance et à la récolte. On peut ainsi estimer l'impact d'un intrant au cours de la culture, par exemple, ou de la modification d'une pratique culturale, sur une population donnée.

Détection et quantification : les techniques

Identification visuelle, 21 espèces par méthode officielle

Initialement, les observatoires réalisés sur les orges de brasserie françaises ont permis de sélectionner les espèces de Fusarium les plus fréquemment rencontrées sur cette espèce végétale et de dresser un portrait précis et véritable de cette population fongique.

Une méthode officielle publiée par le ministère de l'agriculture permet d'identifier 21 espèces de Fusarium en plus de M. nivale ou M. majus. Sa référence : « MH-03.16 : version B Toutes céréales, Détection et identification des espèces de Fusarium spp. et Microdochium nivale sur grains de céréales par isolement mycologique semi-sélectif et étude microbiologique ».

Sept espèces principales

Les observatoires nous ont permis de déterminer 7 espèces majoritairement présentes sur orge de brasserie : F. graminearum, culmorum, poae, langsethiae, sporotrichioides, avenaceum et tricinctum. Ces 7 espèces ne sont pas les seules sur orge (on y retrouve notamment et régulièrement, en très faibles proportions, Fusarium proliferatum, equiseti, oxysporum, sambucinum), mais semblent présenter une affinité plus importante sur l'orge.

C'est pourquoi nous avons mis au point leur détection et leur quantification par la technique PCR (Polymerase Chain Reaction).

La PCR, qu'est-ce que c'est ?

On sait que la PCR repose sur la détection par amplification de séquences d'ADN. Comme cette macromolécule est très résistante aux traitements subis lors de la transformation des matières premières, elle reste présente dans la plupart des produits de transformation. La PCR a été décrite par ailleurs. Elle permet, en dupliquant et redupliquant l'ADN (« amplification ») grâce à des amorces spécifiques, de le détecter même s'il est présent en faible quantité.

Pour pouvoir quantifier l'ADN (à partir de mycéliums isolés ou d'échantillons d'orge complets), l'établissement de la cinétique d'amplification permet, par rapport à un standard de concentration, de déterminer le nombre de cibles présentes dans l'échantillon initial.

Les amorces mises au point ciblent les 7 espèces suivantes : F. graminearum, F. culmorum, producteurs de trichothécènes de type B (DON, NIV), F. langsethiae, F. sporotrichioides, producteurs de trichothécènes de type A (DAS, MAS, toxines T2 et HT2), F. poae, producteur de trichothécènes de type A et B, F. avenaceum, F. tricinctum, non producteurs de trichothécènes mais producteurs d'enniatines.

La spécificité de ces amorces a été vérifiée expérimentalement sur les 21 espèces de Fusarium potentiellement présentes sur les céréales, mais aussi sur les moisissures dites de stockage (Penicillium spp, Aspergillus spp), sur Alternaria spp, autre genre de champignon filamenteux souvent trouvé au champ, sur d'autres moisissures isolées au cours des observatoires ainsi que sur l'ADN des plantes hôtes de ces moisissures (essentiellement grandes cultures : orge, blé tendre, blé dur, maïs, soja).

Utilisation systématique de la PCR à partir de 2009

En plus de l'établissement du portrait de contamination par la méthode visuelle réalisé depuis 2003, la méthode d'identification par PCR est désormais utilisée pour étudier la composition de la flore fusarique sur les orges de brasserie. Les analyses par PCR n'ont été réalisées systématiquement qu'à partir de 2009, quand l'utilisation de l'ensemble des 7 couples d'amorces Fusarium sp. a été validée en PCR quantitative. À partir de cette date, un grand nombre d'échantillons a été analysé par IFBM-Qualtech afin de mettre en place une base de données en quantité d'ADN de chaque espèce, sur un grand nombre d'échantillons de la récolte.

La collecte de ces données va se poursuivre dorénavant, en plus de l'isolement des espèces en présence par la méthode traditionnelle d'isolement sur milieu sélectif, afin de disposer du matériel biologique et de suivre l'évolution des souches des différentes espèces. La détection annuelle de souches par isolement permet de valider la spécificité des amorces en fonction de l'évolution des souches.

Évolution de chaque espèce

Fusarium graminearum et DON, décroissance d'abord

Durant la dernière décennie, l'incidence de F. graminearum, déjà faible initialement, n'a cessé de décroître. Cette observation a été réalisée dans nos observatoires en suivant la population de F. graminearum sur orge de brasserie par observation visuelle, jusqu'en 2008.

L'année 2007 semble représenter un tournant dans la composition de la mycoflore que nous avons observée sur orges de brasserie. Des études aussi systématiques sur d'autres céréales ne sont pas réalisées, mais il est possible que l'incidence de la climatologie ait été aussi forte sur les autres céréales cette année-là.

Mais retour depuis 2007

En effet, en 2007, la climatologie avait été très humide notamment autour de la floraison, ce qui a favorisé la contamination par les Fusarium. On sait que l'humidité aux abords des pièces florales, fragiles et offrant des portes d'entrée vers les tissus internes de la plante, crée une niche confortable pour les spores et leur germination. Les éclaboussures dues aux gouttes de pluie rebondissant sur les structures au sol (débris du précédent cultural) portent par effet mécanique les spores depuis le sol jusqu'aux étages supérieurs de la plante. Sur les plantes en floraison, les spores peuvent alors être projetées près des pièces florales voire dedans et, après germination, entrer dans le végétal.

Depuis 2007, nous avons observé un retour de F. graminearum sur les orges de brasserie, à la fois en observations visuelles et en PCR. Entre 2009 et 2010, F. graminearum a montré son implantation sur orges d'une manière constante en valeur médiane (Tableau 1), avec des maximales plus importantes en 2010. La présence de F. graminearum est bien corrélée avec celle de DON, dont les quantités moyennes et médianes ont été constantes ces deux années.

Fusarium langsethiae, Fusarium sporotrichioides et toxines T2 et HT2

C'est en 2003 que pour la première fois les toxines T2 et HT2 ont été quantifiées de manière significative sur orge de brasserie. Entre 2003 et 2007, la proportion d'échantillons contenant ces toxines de manière quantifiable n'a cessé d'augmenter pour avoisiner 100 % en 2007. Depuis lors, cette proportion a été relativement stable et élevée, sans recul significatif.

A noter : c'est de 2003 à 2007 que les populations de F. graminearum ont diminué fortement, suggérant un échange d'occupation des biotopes. On ne sait pas encore si les populations de F. graminearum qui se sont réimplantées sur les orges ensuite sont les mêmes ou des variants (sous espèces ?) des souches d'avant 2003. Le même constat est fait sur F. sporotrichioides. Cette espèce était présente bien que rarement isolée puis a « disparu » durant quelques années. Elle a opéré un retour à partir de 2007 avec des isolats présentant en 2007 et 2008 des capacités de production de toxines T2 et HT2 jusqu'à 100 fois plus fortes que les isolats du début des années 2000. On voit que le profil fusarique peut varier non seulement au niveau spécifique (entre espèces), mais aussi au sein des espèces.

Entre 2009 et 2010 (Tableau 1), les populations de F. langsethiae et sporotrichioides ont diminué (valeurs médianes) et une moindre quantité d'ADN a été retrouvée. Il y a corrélation avec le léger retrait des toxines T2 et HT2, à la fois en concentration et en proportion d'échantillons contaminés par ces toxines.

F. tricinctum et enniatines

Enfin F. tricinctum reste la principale espèce présente sur orges de brasserie. Elle fait l'objet de peu d'attention car elle n'est pas génétiquement équipée des outils de production des trichothécènes ni d'aucune autre toxine réglementée. Mais, nous l'avons montré, cette espèce (en fait un complexe d'espèces) est la principale productrice d'enniatines.

D'après les observations visuelles réalisées depuis 2003, il est clair qu'elle est bien implantée sur orges de brasserie et, de plus, peu sensible à la pression des autres populations et à leurs fluctuations. Ces dix dernières années, sa population est restée relativement constante et peu influencée par les variations climatiques annuelles. La production d'enniatines quant à elle est également constante et suit les variations annuelles de la population de F. tricinctum.

De 2009 à 2010, on observe une diminution des contaminations en enniatines, en parallèle avec une forte baisse de la contamination quantitative en F. tricinctum. En effet, même si des échantillons très contaminés ont été trouvés (maximum plus important en 2010 qu'en 2009), la distribution médiane s'est fortement décalée vers une valeur plus faible (Tableau 1).

Liens des espèces entre elles : analyse en composantes principales

Recherche de relations d'associations entre les espèces (Figure 1)

Les données accumulées ces deux dernières années ont été utilisées pour vérifier s'il existait une relation entre la présence des espèces de Fusarium sur les orges. Parmi tous les échantillons analysés au laboratoire au cours des deux campagnes de récoltes, les données obtenues sur les échantillons dont l'analyse est complète (pour lesquels le profil avait été établi pour les 7 espèces de Fusarium en plus des deux espèces de M. nivale) ont été compilées à travers une analyse en composantes principales (ACP).

Cette analyse permet, par obtention de représentation graphique simplifiée, de rechercher la meilleure corrélation par classement entre un grand nombre de variables obtenues. Dans le cas de l'analyse PCR en temps réel, un grand nombre d'échantillons a été analysé. Neuf données ont été obtenues pour chacun.

La dynamique des populations de chacune des espèces étudiées (ici les 9 espèces de moisissures, par approximation car il est fait abstraction du reste de la population microbienne) sur un biotope particulier (ici l'épi, là aussi par approximation car on ne tient pas compte du reste de la plante) est très étroitement liée justement au biotope et à toutes les interactions de cohabitation des micro-organismes sur le biotope (compétition, synergie, symbiose, etc.)

F. langsethiae associée à F. sporotrichioides

L'analyse des données a permis de repérer des associations de présence entre certaines espèces.

Ainsi, et de manière significative, les espèces productrices de trichothécènes de type A strictes (F. langsethiae et F. sporotrichioides, alors que F. poae peut produire les deux types de trichothécènes) apparaissent associées de façon très significative en opposition avec les autres espèces, et ceci en 2009 comme en 2010.

La même association a été observée avec F. culmorum, mais sa faible fréquence sur les lots analysés ne permet pas de tirer de conclusion solide à ce sujet.

Lien entre espèces et mycotoxines

F. graminearum et DON, on savait déjà

Avec la distribution agricole, Syngenta Agro mène depuis 2005 des enquêtes terrain sur orge en France, avec l'analyse des trichothécènes (Clé des champs). Pour une centaine d'échantillons de 2009, une analyse par PCR a également été menée.

Plusieurs études avaient tenté d'appréhender les relations entre espèce et mycotoxines, afin de répondre à la question suivante : y a-t-il une relation linéaire entre la présence d'une espèce donnée, productrice d'une mycotoxine donnée et la production de cette mycotoxine ?

À titre d'illustration, la corrélation entre la quantité de F. graminearum et la quantité de DON dans une série d'échantillons avait été montrée à plusieurs reprises, à chaque fois dans un contexte donné. En simplifié, quand F. graminearum est présent, alors il produit le désoxynivalénol, en proportion de sa présence massique, comme mesuré par PCR.

Trichothécènes de type A, la surprise tricinctum

Concernant, les trichothécènes de type A, la corrélation a été très difficile à mettre en évidence car les producteurs sont multiples : trois espèces avec trois biologies de développement et de métabolisme différentes.

Etonnamment, la meilleure corrélation est celle entre la quantité de F. tricinctum (équivalent biomasse de l'espèce estimée par PCR quantitative en temps réel) et la quantité de toxines T2 et HT2 (mesurée par HPLC/MS/MS).

« Étonnamment », parce que F. tricinctum n'est pas un producteur de trichothécènes de type A, n'étant pas équipé génétiquement pour en produire. Les séquences spécifiques des gènes codant les enzymes responsables de la biosynthèse de ces toxines n'ont pas été trouvées dans son génome alors que cette recherche avait été effectuée sur plusieurs isolats de F. tricinctum.

Toutefois, nous l'avons déjà écrit, on peut considérer qu'une espèce n'existe pas isolément sur un épi ou sur une plante mais subit l'influence de l'ensemble des autres micro-organismes et facteurs sur sa croissance et son métabolisme. On peut supposer, pour expliquer cette relation surprenante, qu'un des facteurs « environnementaux » favorisant la production des toxines T2 et HT2 est la présence d'autres moisissures. F. tricinctum pourrait, par compétition ou synergie, favoriser la croissance ou certains pans du métabolisme d'espèces productrices de trichothécènes de type A.

Du côté des enniatines, F. tricinctum supposé...

Lors des essais in vitro réalisés par IFBM-Qualtech sur la caractérisation du potentiel de production de mycotoxines de chacune des espèces, nous avions montré que F. tricinctum et F. avenaceum étaient capables de produire des enniatines. Tous les isolats F. tricinctum que nous avons testés se sont montrés capables de produire de grandes quantités d'enniatines.

Mais ces essais étaient réalisés sur milieu de culture abiotique (orges stérilisées par autoclavage) et contamination mono-espèce. F. tricinctum, déposée sur le milieu sous forme de mycelium, ne rencontrait aucune compétition de la part d'autres espèces et aucune limitation en nutriments. Dans ces conditions, elle pouvait exprimer à son maximum son métabolisme, en l'absence de stress autre que celui des conditions de culture (ex. assèchement au fur et à mesure des 10 jours d'incubation).

La question se posait de savoir si la moisissure peut exprimer ce potentiel sur l'épi au champ dans des conditions plus complexes : présence de facteurs environnants divers et variés tels qu'influence de la climatologie, micro-organismes en présence ou réaction de la plante hôte à l'infection. Ces facteurs capables d'influencer la production des toxines et la croissance des moisissures sont absents de la boîte de Petri lors d'observation in vitro.

... et confirmé

Les meilleures corrélations obtenues (Figure non montrée, disponible auprès des auteurs) confirment que la production de toxines de la famille des énniatines (somme des quatre enniatines mesurées, pour lesquelles l'IFBM-Qualtech dispose d'une méthode de quantification par LCMSMS) est liée principalement à la présence mais aussi à la quantité de F. tricinctum.

La relation n'est pas aussi visible pour F. avenaceum, mais sa plus faible incidence rend les données plus délicates à interpréter.

Dans tous les cas, les corrélations sont loin d'être parfaites. Mais il faut considérer la complexité de l'organisation des paramètres qui influencent la croissance et le métabolisme des moisissures : facteurs abiotiques (disponibilité en nutriments, fluctuations d'humidité et de température) et biotiques (présence d'autres micro-organismes dans le milieu, mais aussi santé de la plante hôte), eux-mêmes influencés par des facteurs biotiques et abiotiques dépendants ou indépendants (composition du sol par exemple).

Différences observées entre blé et orge

IFBM-Qualtech, disposant d'amorces de PCR permettant de caractériser et quantifier les 7 espèces de Fusarium trouvées majoritairement sur orge, amorces mises au point sur les espèces de Fusarium isolées de l'orge de brasserie française, les a utilisées pour étudier les contaminations sur blé tendre.

En 2010, nous avons fait le portrait des contaminations sur 27 échantillons de blé tendre par cette technique, et nous l'avons comparé avec celui obtenu par identification visuelle après isolement sur milieu sélectif.

Les résultats (Tableau 2) ont montré que les espèces trouvées sur blé sont les mêmes que celles trouvées sur orge. Mais en proportions différentes. En effet, nos observations ont montré que si les populations productrices de trichothécènes de type A (toxines T2 et HT2) sont présentes de façon comparable sur les deux céréales, il n'en est pas de même pour les populations productrices de trichothécènes de type B. F. graminearum est l'espèce majoritaire sur blé alors que F. tricinctum est peu représenté, à l'inverse du profil fusarique observé sur orge. Quant à F. langsethiae, il a été détecté sur tous les échantillons analysés, ce qui montre sa très bonne implantation sur les céréales en France, associé avec F. sporotrichioides.

Ce résultat est cohérent avec un des résultats d'études menées par Syngenta concernant l'impact des précédents culturaux sur les contaminations des céréales. C'est le fait qu'un blé précédant une orge favorise la contamination de celle-ci par F. langsethiae.

Conclusion

La mise au point des outils biomoléculaires est un atout important pour ce type d'étude pour trois raisons.

D'abord, ils permettent d'analyser des lots complexes et d'obtenir une « photographie » du profil fusarique au moment de la récolte, même si l'analyse est réalisée plusieurs mois après. L'ADN étant une molécule très stable dans les conditions de stockage des lots d'orge ou d'autres céréales, on peut même générer ces données après des années de stockage.

Ensuite, ils permettent de s'affranchir de la recherche par culture en milieu sélectif donc des délicats problèmes de baisse de la viabilité des souches au cours du temps de stockage, puis de la compétition observée lors de la culture sur milieu sélectif. Ces problèmes peuvent fausser l'appréciation de la contamination. Il est très rare d'obtenir plusieurs (même deux) espèces différentes à partir d'un seul grain d'orge, alors qu'une analyse PCR montre souvent la présence d'au moins deux espèces différentes.

Enfin, ils permettent d'obtenir un grand nombre de données.

Les observatoires, reconduits d'année en année, bien qu'abordés différemment en 2009 et 2010, confirment la bonne implantation de F. tricinctum et de F. langsethiae sur les orges de brasserie. La présence des toxines associées à ces deux espèces (respectivement celles de la famille des enniatines et les toxines T2 et HT2) est récurrente et stable. Il existe une relation avec l'occupation des milieux (la plante hôte) par ces espèces.

Les observatoires sont en cours de réalisation de la même façon sur la récolte 2011, afin d'étayer et vérifier la continuité de nos hypothèses et observations, et aussi de surveiller la survenue éventuelle d'autres facteurs pouvant influencer la présence des espèces et leur potentiel de production de toxines.

<p>* Institut français de la brasserie et de la malterie, 54512 Vandœuvre-lès-Nancy. regis.fournier@ifbm-qualtech.com</p> <p>** Syngenta. 1, avenue des Prés, CS10537, 78286 Guyancourt. alain.froment@syngenta.com</p> <p>(1) <i>F. langsethiae</i> se traduit par une contamination de grains isolés qui deviennent petits et noirs, mais sans « systémie » sur l'épi. Elle peut passer inaperçue.</p>

Pourquoi on en sait moins sur F. langsethiae que sur F. graminearum.

Le terme fusariose désigne traditionnellement les infections dues à F. graminearum. L'infection envahit l'épi qui souvent rosit. Les grains deviennent impropres à la consommation ou à la transformation technologique. C'est dû à la présence de mycotoxines, DON (déoxynivalénol) notamment, et, pour la bière, à l'altération de la structure biologique du grain l'empêchant de germer. Du fait de la visibilité des symptômes et de la nuisibilité manifeste, F. graminearum a été étudié alors même qu'on ignorait F. langsethiae.

Les conditions favorisant les contaminations, artificielles ou naturelles, d'orge ou de blé par F. graminearum et F. culmorum sont bien décrites : stade de contamination, modalités de l'infection, climatologie, pratiques culturales (précédents, travail du sol, etc.) Ces espèces sont donc souvent utilisées comme modèles pour les études de contamination fongique des céréales, blé notamment.

Figure 1 - Analyse en composantes principales des résultats obtenus par quantification des espèces de Fusarium et Microdochium sur des lots d'orge des récoltes 2009 et 2010.

Bibliographie

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Remerciements

Ce travail a été réalisé sous l'égide et avec les financements de Malteurs de France, de Brasseurs de France et en collaboration avec la société Syngenta Agro.

Résumé

Depuis 2003, les observatoires de la qualité sanitaires des orges de brasserie de l'IFBM-Qualtech bénéficient d'une méthode officielle d'identification visuelle après isolement des Fusarium sp. et M. nivale ou M. majus. Ils ont suivi les évolutions de la flore fongique des orges, en particulier la montée en puissance de Fusarium langsethiae. Cette espèce est discrète au champ mais produit des trichothécènes de type A (toxines T2 et HT2).

Depuis 2009, la PCR a permis d'intensifier les analyses et de croiser leurs résultats avec davantage d'autres données, en particulier celle des observatoires au champ type « Clé des champs » de Syngenta Agro.

On a ainsi progressé dans la connaissance de F. langsethiae, espèce délicate à étudier au champ, et des relations des espèces :

– entre elles,

– avec les taux de toxines présentes,

– avec les pratiques culturales (précédent cultural, etc.)

Ainsi F. tricinctum, productrice d'enniatines (non réglementées) mais pas de trichothécènes, pourrait favoriser la production de trichothécènes de type A par d'autres espèces en sa présence.

Mots-clés : qualité sanitaire des grains, orge, Fusarium, mycotoxines, fusariotoxines, Fusarium langsethiae, trichothécènes de type A, toxine T2, toxine HT2, Fusarium tricinctum, enniatines, identification visuelle, PCR polymerase chain reaction, IFBM-Qualtech Institut français de la brasserie et de la malterie.

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