Pour réduire l'utilisation des herbicides en grandes cultures, plusieurs stratégies sont possibles. Cela ressort d'une étude menée dans les Deux-Sèvres par l'INRA et le CNRS. Ainsi, le diagnostic montre qu'on peut y arriver avec des rotations courtes voire en monoculture de maïs, même si les rotations courtes de cultures d'hiver sont fortes consommatrices. L'autre stratégie consiste à adopter des rotations longues avec éventuelle culture pluriannuelle, luzerne ou prairie temporaire, et des techniques défavorisant les adventices. Par ailleurs, l'étude a porté sur les impacts environnementaux et économiques des systèmes de culture. D'où un « éloge de la luzerne ». Mais pas seulement.
Les effets environnementaux de l'agriculture intensive sont objet de débats de société. Réduction des pollutions et préservation de la biodiversité sont des enjeux soutenus par des politiques publiques visant l'émergence d'une agriculture plus respectueuse de l'environnement. Concernant les pesticides, le plan Écophyto 2018 prévoit une réduction de 50 % de leur utilisation en agriculture d'ici 2018. Certains agriculteurs repensent leurs systèmes de culture pour moins dépendre de la lutte chimique. Ils ont des motivations diverses : d'ordre économique (mesures agro-environnementales, baisse de charges d'intrants, recherche de marchés spécifiques) ou de protection de la santé, l'environnement, etc.
En grandes cultures, on observe déjà une réduction notable de l'usage des fongicides et insecticides, mais des freins et craintes demeurent quant à la mise en place de systèmes économes en herbicides. Le manque d'outils d'aide à la décision, la crainte d'un « salissement » des parcelles à long terme et d'une perte de rentabilité freinent l'adoption de pratiques moins consommatrices d'herbicides.
L'étude réalisée
L'INRA de Dijon (UMR Biologie et gestion des adventices), en collaboration avec le CNRS (Centre d'études biologiques de Chizé), a réalisé une étude des pratiques agricoles sur le territoire sud Deux-Sèvres (zone atelier « Plaine & Val de Sèvre »).
Le premier objectif était d'identifier les stratégies agronomiques permettant aux agriculteurs économes en herbicides de se différencier des systèmes plus consommateurs. Le deuxième objectif était de comparer les performances de durabilité (économiques, sociales et environnementales) d'une diversité de systèmes de culture (SdC) contrastés en termes de niveau d'usage d'herbicides.
La zone atelier « Plaine & Val de Sèvre »
Située au sud du département des Deux-Sèvres (79), en région Poitou-Charentes, la zone atelier « Plaine et Val de Sèvre » s'étend sur près de 500 km² au sud de Niort (Figure 1).
Son agriculture est majoritairement céréalière et intensive (céréales, maïs, tournesol, pois et colza essentiellement), avec une présence décroissante de l'élevage bovin et caprin. Seul 15 % de la SAU est occupée par des prairies (artificielles, temporaires ou permanentes) contre 60 % en 1970.
Depuis 2003, la moitié de la zone a été désignée « zone de protection spéciale » (ZPS) au titre du réseau Natura 2000 pour la biodiversité remarquable des espèces de la directive Oiseaux. Les objectifs environnementaux principaux sont de restaurer la biodiversité et préserver la qualité de l'eau (bassins de captage d'eau potable du Vivier et de la Courance).
Les sols de ce territoire sont de type argilo-limoneux (groies), relativement peu profonds (20 à 40 cm), avec une réserve utile assez faible (50 à 80 mm). La zone bénéficie d'un climat océanique avec un fort ensoleillement, des précipitations annuelles de l'ordre de 800 mm (déficit hydrique estival fréquent) et des températures moyennes relativement douces (20 °C en période estivale, 5 °C en période hivernale).
Choix des 28 agriculteurs et réalisation de l'entretien
Un groupe de 28 agriculteurs a été constitué de manière à pouvoir observer des modalités variées de gestion des adventices, du zéro herbicide (agriculture biologique) jusqu'à un niveau d'usage d'herbicides plutôt élevé. Pour plus de diversité, l'échantillon est réparti sur deux types de sols (groies superficielles, groies moyennes et profondes) et 5 types de rotation (100H, 100P, HP4, HP5, Prairies, voir figure 2).
Les entretiens ont été réalisés début 2010. Ils avaient pour but de comprendre la structure de l'exploitation, discuter du choix de(s) la rotation(s) et expliciter la stratégie de gestion des adventices. Chez chaque agriculteur enquêté, on a choisi avec lui une parcelle représentative et désherbée de façon satisfaisante selon ses objectifs. Pour cette parcelle, l'itinéraire technique (ITK) moyen a été enregistré pour toutes les cultures de la rotation étudiée (pour les rotations simples, moyenne des opérations réalisées sur plusieurs années). Des relevés floristiques ont été effectués en mai (sur cultures d'hiver) ou juillet (sur cultures de printemps).
Comment comparer des systèmes de cultures (SdC) issus d'enquêtes ?
L'évaluation de la durabilité du système de culture (SdC) porte sur les pratiques enregistrées sur plusieurs années mais une seule parcelle, alors que certains critères d'évaluation s'estiment à l'échelle de l'exploitation (ex. contraintes d'organisation du travail). Pour ces critères, nous avons reconstitué pour chaque SdC une ferme « virtuelle » avec 1 UTH (unité de travail humain), et 130 ha cultivés entièrement selon le SdC étudié.
Les conditions pédologiques propres à chaque système de culture ont été conservées. En revanche les caractéristiques du matériel agricole (type de tracteur, débit de chantier, etc.), le prix des intrants (semences, pesticides), ainsi que les données climatiques et paysagères (station météorologique de Niort) ont été homogénéisés dans une base de données unique.
Trois scénarios économiques contrastés ont été utilisés pour évaluer les performances économiques, correspondant à différents niveaux de prix de vente des cultures et de prix d'achat des engrais (Figure 6 pour le détail des 3 scénarios).
Une grande diversité dans l'usage des herbicides
L'« indice de fréquence de traitement herbicide » (IFTH) a été choisi pour évaluer l'intensité d'utilisation d'herbicides à l'échelle de la rotation. Conformément à ce qui était attendu, notre échantillon traduit une grande diversité dans l'intensité d'usage des herbicides (figure 2), avec des IFTH variant de 0,43 à 3,09 de manière relativement continue, plus 7 systèmes en agriculture biologique (AB) à IFTH nul.
Quelles stratégies de gestion des adventices avec un faible niveau d'usage d'herbicides ?
Nous avons cherché à déterminer :
– si les faibles niveaux d'usage d'herbicides sont générés par la réduction des doses ou celle des fréquences des traitements,
– si la faible pression de désherbage chimique est compensée par la mise en place de systèmes de culture agronomiquement plus complexes, c'est-à-dire par la mobilisation de leviers agronomiques de gestion des infestations adventices : adaptations des itinéraires de travail du sol et de conduites des cultures, successions de cultures plus diversifiées...
Réduction de doses ou de fréquence ? Les deux !
Sur la gamme des systèmes de culture de l'enquête, une nette corrélation entre l'IFTH et le nombre de sorties du pulvérisateur est observée. Ceci montre que les faibles niveaux d'usage d'herbicides correspondent à des traitements moins fréquents que la moyenne. Pour autant, les doses relatives utilisées des systèmes à faible IFTH tendent à être plus faibles que celles des systèmes à fort IFTH. Ainsi, la réduction de dose est également une composante des stratégies de diminution d'IFTH.
La réduction du nombre d'interventions associée à une réduction de dose par traitement s'explique par la mise en place de cultures à cycle court (de printemps, un seul traitement) ou sans herbicides (luzerne parfois) et des rotations moins risquées en termes d'infestation en adventices (voir la partie Synthèse : le rôle des leviers agronomiques ).
Adaptation des itinéraires de travail du sol et de conduite des cultures ?
Le nombre moyen d'opérations de travail du sol (labour, travail superficiel et désherbage mécanique) varie beaucoup dans l'échantillon. Cependant, de façon étonnante, aucune corrélation n'a pu être mise en évidence entre l'IFTH et le nombre de passages de travail du sol pour les systèmes en agriculture conventionnelle (= hors AB). Un faible IFTH n'est pas systématiquement associé à une haute fréquence de labours. De même, qu'il ait un but de préparation du sol ou de faux-semis, le travail du sol superficiel est un levier agronomique utilisé de façon relativement homogène quelle que soit l'intensité d'usage d'herbicides.
En revanche et très logiquement, le désherbage mécanique est souvent utilisé dans le cas d'IFTH faible (1 an/3 au minimum).
Dans les systèmes en AB, le travail du sol a une place bien plus importante, avec en moyenne 3 à 4 interventions supplémentaires par rapport aux systèmes conventionnels, dues notamment aux interventions de désherbage mécanique. Malgré cela, le nombre total d'interventions reste inférieur en AB : moins d'apports d'engrais et pas de pulvérisation d'herbicides.
Diversité des cultures de la rotation ?
À première vue, le type de rotation ne semble pas expliquer le niveau d'usage d'herbicides (figure 2), sauf pour celles intégrant des cultures pluriannuelles (prairies, luzerne) qui tendent à avoir un IFTH faible et les rotations 100 % hiver (100H) qui ont toutes un IFTH élevé.
Une analyse plus fine montre que plus la fréquence de cultures de printemps et de cultures pluriannuelles dans la rotation est forte, plus l'IFTH est faible (Figure 3). à l'exception des monocultures de maïs, l'IFTH est toujours inférieur à 1,15 si la rotation comprend au moins 50 % de cultures de printemps et/ou de cultures pluriannuelles (luzerne ou ray-grass). L'alternance des périodes de semis (hiver vs. printemps ou été) et l'insertion de prairies temporaires ressortent comme des leviers forts permettant de réduire la pression herbicide. Ce résultat confirme que la diversification des cultures de la rotation permet d'éviter la spécialisation de la flore adventice qui deviendrait problématique, et ainsi de gérer plus facilement et efficacement les différentes espèces adventices.
La grande diversité d'IFTH entre les trois systèmes de monoculture de maïs de l'échantillon (de 0,66 à 3,09) est frappante. Elle suggère que, même à l'intérieur d'un système réputé très intensif, des marges de manœuvre existent.
Synthèse : le rôle des leviers agronomiques
On entend par leviers agronomiques l'ensemble des pratiques culturales contribuant à la maîtrise des adventices : succession culturale, travail du sol, variétés des cultures, densités et dates de semis, leur écartement, mise en place d'interculture... La combinaison de ces leviers génère une complexité des systèmes de culture (SdC) défavorable aux adventices.
Nous avons quantifié cette complexification à l'aide de l'« indice de complexité », en utilisant l'outil OdERA-Systèmes®. La note de complexité varie potentiellement de 0 à 100, avec des valeurs faibles pour les systèmes simplifiés et des valeurs élevées pour les systèmes complexes mobilisant un grand nombre de leviers agronomiques de gestion des adventices. La confrontation des indices de complexité avec les IFTH permet de distinguer 4 groupes de systèmes de cultures (figure 4) :
• Le groupe A : des SdC simplifiés avec un IFTH élevé soit supérieur à 1,5 (4 exploitations).
On y retrouve des systèmes sans alternance de date de semis : des rotations de cultures d'hiver (100H) et une monoculture de maïs (100P).
En réponse au « risque adventices » élevé dans ces systèmes, le recours aux herbicides est très fort. Très peu de réductions de dose [< 35 % par rapport à la dose homologuée (DH)] et d'impasses de traitements sont réalisées (2-3 interventions de désherbage chimique/culture). Ces pratiques reflètent la stratégie et les objectifs de l'agriculteur, à savoir une exigence élevée vis-à-vis de la propreté de ses parcelles (aucune prise de risque).
Notre échantillonnage visant la diversité de situations et non la représentativité, ce groupe est peu représenté dans notre échantillon alors qu'il représente une part importante des systèmes de culture en France selon les résultats de l'étude écophyto R & D (MAP-INRA), réalisée en 2009.
• Le groupe B : des SdC simplifiés avec un IFTH faible (8 exploitations).
On retrouve ici deux monocultures de maïs et des rotations de type « culture sarclée maïs, tournesol ou sorgho/1 à 3 blé tendre ». Le labour y est très présent (1 an/2 ou tous les ans) sauf un SdC en semis direct.
Dans ce cas, la réduction d'usage d'herbicides se fait surtout par de la réduction de dose (60 % par rapport à la dose homologuée, DH) et l'utilisation du binage pour désherber les cultures sarclées. En général, les agriculteurs de ce groupe ont des seuils d'interventions de désherbage plus élevés que ceux du groupe A.
• Le groupe C : des SdC complexes avec un IFTH faible (11 exploitations).
La complexification de ces SdC passe par l'intégration de prairies temporaires (luzerne ou ray-grass), une forte présence de cultures de printemps ou la réalisation de faux-semis successifs avant l'implantation d'une culture.
La réduction de l'usage d'herbicides s'explique d'une part par la complexification du système et, de ce fait, un risque moins élevé d'infestation en adventices. Par ailleurs, on trouve dans ces rotations des cultures à IFTH très faible voire nul (prairies temporaires). Enfin, des réductions de doses sont parfois réalisées (de 30 à 60 % par rapport à la DH). De même que pour le groupe B, des seuils d'interventions de désherbage plus élevés sont utilisés.
• Le groupe D : des SdC complexes avec un IFTH élevé (5 exploitations).
Ces systèmes sont définis comme complexes du fait de l'intégration dans la rotation d'une culture pluriannuelle telle la luzerne (1 cas) ou de printemps, ou bien de la combinaison fauxsemis + labour réalisée tous les ans. L'intensité d'usage d'herbicides reste cependant élevée. On aurait pu penser trouver dans ce groupe des agriculteurs ayant une activité d'élevage (où le désherbage chimique n'est pas toujours optimisé), mais cette hypothèse n'est en aucun cas confirmée.
Ces IFTH élevés sont dus à une réduction de dose relativement faible (35 % par rapport à la DH) et un nombre de passages élevé (2-3 traitements/culture). Il y a une volonté de ne prendre aucun risque quant à la présence d'adventices dans les parcelles. Il semblerait aussi que l'on retrouve une catégorie d'agriculteurs ayant diversifié leur rotation dans le but de respecter le cahier des charges de la mesure agro-environnementale (MAE) rotationnelle, sans modifier leurs pratiques de désherbage chimique.
Conclusion, deux stratégies pour réduire son utilisation d'herbicides
- Stratégie B : réduire sans complexifier son système de culture :
– par la réduction de dose (optimisation du désherbage chimique).
– par l'utilisation du binage sur maïs, sorgho et tournesol.
Attention, ce n'est possible qu'avec des successions culturales bien spécifiques : monoculture de maïs ou culture sarclée/1 à 3 blé tendre.
- Stratégie C : réduire en complexifiant son système de culture :
– par l'intégration de prairies permanentes et/ou de cultures de printemps (50 %),
– par l'utilisation de leviers agronomiques, – par la réduction de dose,
– par la mise en place de cultures zéro herbicide (luzerne ou ray-grass par exemple).
Évaluation multi-critères des systèmes contrastés
Faisabilité technique et organisation du travail
Aucune augmentation du temps de travail par hectare n'est observée pour les systèmes de cultures économes en herbicides, ni pour la charge totale de travail, ni pour le temps consacré au travail du sol.
Seuls les systèmes en AB présentent une charge de travail plus importante pour le travail du sol. Mais l'absence de pulvérisations et le moindre nombre d'interventions pour la fertilisation conduisent à une charge de travail totale équivalente aux systèmes traditionnels.
Les périodes de tension d'organisation du travail à l'échelle de l'exploitation ont été identifiées à l'aide de l'outil Simeq®, développé par Arvalis-Institut du Végétal.
Aucune dégradation de la faisabilité des opérations de semis et de travail du sol n'est observée pour les SdC complexes économes en herbicides. L'alternance des périodes de semis dans la rotation étale les chantiers et contribue à une bonne organisation du travail.
Dès lors qu'une culture prédomine dans la rotation (rotation à base de céréales d'hiver ou monoculture de maïs), des périodes de tensions importantes sont observées, notamment lorsque les conditions climatiques sont difficiles. En AB, la réalisation des opérations de travail du sol peut être problématique.
Risque pour l'agriculteur
L'évaluation toxicologique et environnementale a été réalisée à partir de l'outil Indigo® développé par les centres INRA de Nancy et Colmar.
Dans la classification des produits phytosanitaires, ceux classés T+ (Très toxique), T (Toxique) et Xn (Nocif) sont considérés comme dangereux pour la santé et pouvant provoquer des effets graves (cancers, perte de fertilité...). On évalue le risque de toxicité pour l'agriculteur par l'IFT cumulé de tous les pesticides classés T+, T ou Xn (insecticides, fongicides et herbicides).
Les résultats de l'étude montrent que la diminution de l'IFTH va de pair avec celle du risque de toxicité pour l'agriculteur (figure non montrée, disponible auprès des auteurs).
Cela s'explique par la baisse du nombre d'applications d'herbicides mais aussi celle d'applications d'insecticides et fongicides qui l'accompagne souvent, les produits « restants » choisis n'étant pas plus toxiques. Ce résultat peut constituer un argument fort dans l'acceptation par les agriculteurs des objectifs de réduction d'usage de pesticides.
Pertes d'azote dans le milieu
Les pertes d'azote dans le milieu naturel, par volatilisation d'ammoniac (NH3) et lixiviation de nitrates (NO3), constituent évidemment un manque à gagner pour la culture. Elles peuvent aussi créer des problèmes de qualité de l'eau et de l'air et des risques pour la santé humaine. La modification des pratiques culturales pour la gestion de la flore adventice peut avoir un effet sur l'intensité des pertes d'azote dans le milieu naturel. La présence de sol nu, du fait des cultures de printemps ou de retard des dates de semis, est souvent pointée du doigt.
Cependant on observe que les systèmes de cultures qui ont intégré ces modifications ont réussi à stabiliser voire réduire les pertes d'azote par l'implantation de CIPAN (cultures intermédiaires pièges à nitrate). L'introduction dans la rotation de la luzerne, ne nécessitant aucune fertilisation azotée, permet également de réduire fortement ces pertes azotées.
Enfin, l'agriculture biologique présente de très bons résultats sur ce critère avec très peu de pertes d'azote (figure non montrée, disponible auprès des auteurs).
De façon générale, quelle que soit la voie de réduction d'usage des herbicides (stratégie B ou C, figure 4), les risques de pertes d'azote dans le milieu naturel tendent à diminuer.
Consommation d'énergie
Les postes de consommation d'énergie fossile associés à la conduite d'un système de culture sont nombreux : consommations directes (interventions au champ) et indirectes (fabrication des intrants : engrais, produits phytos).
La figure 5 montre la consommation totale d'énergie par hectare, sur une échelle de 0 (faible) à 10 (élevée), en fonction de l'IFTH.
La fréquence de labours et la présence de légumineuses dans la rotation ressortent comme les deux facteurs expliquant le mieux le niveau de consommation d'énergie. En effet, le labour est très énergivore. à l'inverse, l'intégration de légumineuses (pas de fertilisation de la culture et économie de fertilisation des suivantes), notamment de luzerne qui nécessite peu d'interventions au champ, permet de diminuer considérablement la consommation d'énergie à l'échelle du système de culture.
Avec la complexification du système cultural (stratégie C sur la figure 4), le bénéfice environnemental est double : réduction de l'usage d'herbicides et de la consommation d'énergie. Ce n'est pas le cas pour la stratégie B.
Les SdC conduits en AB sont également très peu consommateurs d'énergie : pas d'augmentation du nombre d'interventions par rapport aux systèmes « conventionnels » et pas d'intrants de synthèse.
Transfert de pesticides vers les eaux
Suite à l'application de pesticides, des transferts de résidus peuvent être observés vers les eaux souterraines (par infiltration dans les nappes phréatiques) et les eaux superficielles (par ruissellement). Ces contaminations constituent un risque important pour la potabilité des eaux et la préservation des écosystèmes. L'évaluation des systèmes de cultures de l'échantillon montre qu'une diminution de l'usage d'herbicides permet de réduire le risque de pollution des eaux profondes (figure non montrée, disponible auprès des auteurs).
Concernant les eaux superficielles, l'effet n'est pas net. C'est lié au fait que le parcellaire est sans relief et relativement éloigné de cours d'eau. Les résultats seraient probablement plus contrastés dans un contexte de sensibilité plus élevée du milieu (présence de pentes, proximité des cours d'eau).
Évaluation économique
Charges d'achat herbicides
Assez logiquement, les systèmes à faible IFTH correspondent à des faibles charges du poste « herbicides ». Les gros consommateurs en herbicides (IFTH d'environ 2,2) dépensent en moyenne 40 € de plus par hectare pour l'achat d'herbicides par rapport aux petits consommateurs (IFTH d'environ 1).
Ainsi, contrairement à ce qu'on aurait pu attendre, le faible IFTH n'est pas associé à un choix de produits plus complets et plus chers.
Une baisse du même ordre des charges du poste « autres pesticides » est observée aussi chez les petits consommateurs d'herbicides, soit une différence de – 80 €/ha tous pesticides confondus par rapport aux gros consommateurs.
Rendement et productivité
Pour les systèmes conventionnels, les rendements en blé tendre tendent à être plus faibles dans les systèmes à faible IFTH que dans les systèmes à fort IFTH (–5 q/ha), tout en restant très supérieurs aux rendements de l'AB (–40 q/ha, figure non montrée).
Pour les systèmes à IFTH faible, les rendements plus faibles peuvent être en partie liés à la compétition plus importante exercée par une flore adventice plus abondante, mais probablement surtout aux adaptations des itinéraires techniques (variétés moins productives mais plus résistantes, dates de semis tardives, réduction de la fertilisation minérale).
Les faibles rendements en AB s'expliquent également par une multiplicité de facteurs : flore adventice plus riche et abondante, absence totale de fertilisation minérale, difficultés à gérer certains ravageurs-maladies, adaptations des ITK (itinéraires techniques)...
Énergie et protéines
Se baser uniquement sur les rendements en blé ne reflète que très partiellement le niveau de productivité du système de cultures.
L'énergie brute (calories) et la quantité de protéines digestibles produites par hectare et par an sont deux indicateurs permettant de quantifier la contribution des systèmes de culture pour l'alimentation humaine et animale.
À cette échelle, ces indicateurs discriminent et valorisent nettement les monocultures de maïs (très productives, en calories comme en protéines) des autres systèmes. Au sein de ces derniers, le niveau d'usage d'herbicides ne semble pas affecter la productivité en énergie et en protéines, mis à part les systèmes en AB, peu productifs sauf un cas. Enfin lorsque les fourrages (luzerne et ray-grass) sont présents dans la rotation, la production de protéines tend à être supérieure (Figure non montrée, disponible auprès des auteurs).
Marge semi-nette
La marge semi-nette (MSN) est utilisée comme indicateur de rentabilité. Elle est calculée de la manière suivante :
MSN = [Produit Brut + Aides PAC] – [Charges Opérationnelles et de Mécanisation] avec trois scénarios économiques différents :
• prix de vente des cultures élevé et prix d'achat des engrais élevé (campagne 2010-2011),
• prix de vente des cultures bas et prix d'achat des engrais bas (campagne 2001-2002),
• prix de vente des cultures bas et prix d'achat des engrais élevé (campagne 2009-2010).
Malgré des rendements parfois moindres, aucune perte de rentabilité n'est observée pour les systèmes économes en herbicides. Au contraire, quel que soit le scénario économique, la majorité des faibles en IFTH ont une rentabilité sensiblement supérieure (Figure 6).
En outre, ces systèmes semblent plus robustes, moins sensibles au contexte économique, avec une meilleure rentabilité dans un scénario critique de prix des cultures bas et prix des engrais élevé (en rouge figure 6). Cela s'explique en partie par la diversité des cultures dans la rotation (compensation économique entre cultures) et/ou par un recours réduit aux intrants. Les soutiens publics (aides PAC, mesures agroenvironnementales...) pèsent peu dans cette rentabilité puisque seule la MAE rotationnelle (32 €/ha) favorise les systèmes diversifiés, lesquels ont des IFTH très variés dans notre échantillon.
Les systèmes de cultures intégrant de la luzerne dans leur rotation sont les meilleurs exemples de robustesse économique. Ils présentent des marges supérieures et la variabilité des prix ne semble pas affecter dangereusement leur rentabilité. La luzerne, vu ses faibles coûts de mécanisation et sa quasi-indépendance vis-à-vis des intrants, semble une culture très intéressante y compris sur le plan économique. Enfin, les systèmes conduits en AB ont une bonne rentabilité et, surtout, sont plus robustes face aux baisses de prix des récoltes (indépendance vis-à-vis des intrants de synthèse, davantage de soutiens publics).
Conclusion
Concernant la rotation
La diversification des cultures et/ou l'intégration de prairies temporaires dans la rotation jouent un rôle important dans la gestion de la flore adventice.
L'utilité de ces leviers agronomiques a déjà été démontrée expérimentalement et ils s'avèrent très efficaces pour favoriser la réduction d'usage des herbicides.
Éloge de la luzerne
Parmi ces cultures de diversification, les légumineuses, notamment la luzerne, ont un atout supplémentaire vis-à-vis des flux d'azote, de la consommation d'énergie et du résultat économique. Cela renforce l'intérêt porté à cette famille de cultures.
Ces résultats ont été présentés aux acteurs du monde agricole du territoire sud Deux-Sèvres. La discussion qui a suivi a fait ressortir les freins et leviers de cette diversification des rotations, notamment concernant la luzerne.
À ce jour, 70 à 80 % de la luzerne consommée en Poitou-Charentes est importée, surtout d'Espagne. La dépendance de l'élevage vis-à-vis du soja sud-américain et de la luzerne espagnole suggère un fort potentiel de valorisation des protéines d'origine française. Les éleveurs et les techniciens de l'élevage ont souligné plusieurs fois l'intérêt de la luzerne dans la ration alimentaire des ruminants (fibres, appétence, protéines), argument pour développer cette culture. Tout semble réuni pour que les débouchés de la luzerne puissent être assurés... Mais le marché est aujourd'hui mal organisé.
Il faut une réelle concertation entre éleveurs et céréaliers afin de définir les besoins et contraintes de chacun et favoriser les échanges en circuit court. Ensuite, il faut réfléchir à la mise en place de filières, sous l'impulsion des coopératives et chambres d'agriculture. Enfin, la luzerne, certes culture ancienne, exige une technicité spécifique. Des moyens de recherche, au même titre que pour les céréales, doivent être mis en œuvre pour optimiser sa maîtrise technique.
Réduction des herbicides, deux stratégies possibles
La principale conclusion de cette étude est que la réduction de l'usage des herbicides est possible, à la fois sur le plan agronomique et sur le plan économique. Ce processus semble déjà en marche chez certains agriculteurs puisqu'on a trouvé sans grande difficulté des systèmes de culture à faible utilisation d'herbicides sur le territoire sud Deux-Sèvres.
Deux stratégies de gestion de la flore adventice économes en herbicides se dégagent : d'une part l'optimisation du désherbage chimique avec réduction de dose, avec éventuellement binage pour les cultures sarclées, d'autre part la combinaison de leviers agronomiques (lutte préventive) se traduisant par des systèmes agronomiquement complexes.
Par ailleurs, même si certains agriculteurs enquêtés ont exprimé des craintes par rapport aux évolutions réglementaires sur les herbicides, l'étude montre que la réduction d'usage de ces produits présente des bénéfices environnementaux et peut être économiquement viable. Concernant la durabilité technique des systèmes (maintien en état ou salissement des parcelles), les 28 parcelles de l'enquête seront suivies par le CNRS pour l'évolution de leur flore sur la base du relevé floristique de 2010.
<p>* UMR INRA-UB-AgroSup, 1210 Biologie et gestion des adventices (BGA), 17, rue Sully, 21065 Dijon cedex. Francois.Boissinot@antilles.inra.fr, Munierj@dijon-inra.fr, breta@cebc-cnrs.fr</p> <p>** Centre d'études biologiques de Chizé, CNRS, 79360 Beauvoir-sur-Niort.</p>
Figure 2 - Indice de fréquence de traitement herbicides (IFTH). En dessous, échantillon de système de cultures obtenus à partir d'enquêtes auprès d'agriculteurs.
Figure 4 - Les quatre grands groupes de système de culture (SdC) observés dans l'enquête : deux voies de réduction de l'usage des herbicides (flèches oranges). *Indice de complexité faible = risque adventices fort. Indice de complexité fort = risque adventices faible.
Source des données économiques
• Coûts de mécanisation : tarifs 2010 Cuma Poitou-Charentes.
• Prix de vente des cultures : statistiques Agreste 1997-2010 et coopératives.
• Prix d'achats des engrais : statistiques Agreste 1997-2009 et négociants.
• Prix d'achats des produits phytosanitaires : Tarifs 2010 Arvalis-Institut du végétal.
Méthodes d'évaluation utilisées
• OdERA-Systèmes® : outil d'évaluation du risque en adventices dans les Systèmes de culture (Agro-Transfert Ressources et Territoires).
• Simeq® : organisation du travail en grandes cultures (Arvalis-Institut du Végétal).
• Indigo® : méthode scientifique d'évaluation de l'impact environnemental des pratiques agricoles sur l'air, le sol, l'eau de surface et l'eau souterraine (INRA Nancy et Colmar).