dossier - POMME DE TERRE ET AUTRES CULTURES SPÉCIALISÉES

Pathogènes de qualité de la pomme de terre, protection en tous sens

Sébastien Vast* - Phytoma - n°650 - janvier 2012 - page 40

Produits et modes d'application pour protéger les plants, mais aussi les applicateurs
 ph. S. Vast

ph. S. Vast

Le traitement des plants permet d'éviter de démarrer des cultures infectées par le rhizoctone et/ou la gale argentée ; il freine leur contamination depuis l'inoculum présent dans le sol. ph. S. Vast

Le traitement des plants permet d'éviter de démarrer des cultures infectées par le rhizoctone et/ou la gale argentée ; il freine leur contamination depuis l'inoculum présent dans le sol. ph. S. Vast

1 - Rhizoctone sur tige : à ce stade des germes ont pu disparaître. Photos : S. Vast

1 - Rhizoctone sur tige : à ce stade des germes ont pu disparaître. Photos : S. Vast

2 - Rhizoctone sur tubercule, invendable.

2 - Rhizoctone sur tubercule, invendable.

3 - Zoom sur symptôme de gale argentée

3 - Zoom sur symptôme de gale argentée

4 - Zoom sur symptôme de dartrose.

4 - Zoom sur symptôme de dartrose.

5 - Dégâts de rhizoctone au champ : le sol est contaminé.

5 - Dégâts de rhizoctone au champ : le sol est contaminé.

Face aux « pathogènes de qualité » notamment rhizoctone et gale argentée, le traitement des plants de pomme de terre est indispensable pour assurer la qualité des plants destinés à produire de la pomme de terre pour le marché du frais. Et utile sur les autres marchés (industrie, production de plants...) Car ces pathogènes ont un impact quantitatif et/ou qualitatif. L'exigence « dictée » par les clients impose rigueur et bonne réalisation de la protection des plants pour assurer son efficacité. Il y a aussi, important, la sécurité des applicateurs. Satisfaire toutes ces exigences passe par le choix des fongicides et de leur mode d'application, et les bonnes pratiques d'application : bientôt un guide.

Comme vu dans l'article précédent, les principaux pathogènes « de qualité » de la pomme de terre (productions de plants ou consommation/ industrie) sont le rhizoctone brun, la gale argentée, la gale commune et la dartrose.

Identifier les pathogènes pour ne pas se tromper de cible

La gale commune est une bactérie du genre Streptomyces. Face à elle, nous n'avons pas de moyens de lutte chimique ou biologique performants à ce jour.

En revanche, les trois autres maladies sont dues à des champignons, et des solutions chimiques existent… pour deux d'entre eux : le rhizoctone et la gale argentée. Concernant la dartrose, il y a des produits en cours d'expérimentation et des demandes d'autorisation déposées.

Stratégies : traiter ou pas ?

Rhizoctone, norme pour les plants

La certification des plants par les organismes officiels impose le respect d'une norme sur la présence de rhizoctone : ne pas dépasser 5 % des plants atteints selon une échelle d'intensité donnée, pour la France. Autrement dit, la présence de sclérotes de rhizoctone sur des plants certifiés à destination est normale dans la limite de cette norme.

En revanche, il n'existe pas de normes sur la gale argentée et la dartrose car ces deux pathogènes sont évolutifs en conservation.

Pour la « conso », l'exigence visuelle

Pour le marché de la consommation et du frais, une protection complète rhizoctone/gale argentée s'impose, la qualité visuelle étant primordiale.

Pour l'industrie, forme et rendement

Quand la destination est l'industrie, la difficulté pour déclencher un traitement résiderait dans le fait de savoir si oui ou non le plant est porteur de rhizoctone. Certes le critère visuel importe peu pour faire des frites ou de la fécule à broyer par exemple. Mais une attaque importante de rhizoctone en végétation, à partir d'un plant contaminé, peut altérer fortement le rendement et provoquer des tubercules difformes.

Face à l'inoculum issu du sol

Et c'est là que cela se complique : un plant sain ou supposé sain n'est pas à l'abri d'une source d'inoculum venant du sol ! Cela est très fréquent, d'où la nécessité de protéger les plants quelle que soit la configuration finalement.

En effet, un traitement des plants avant leur mise en culture prévient, dans une certaine mesure, la contamination à partir de l'inoculum présent dans le sol. Donc, de manière générale, on ne peut s'affranchir d'un traitement de plant avec un fongicide performant (Tableau 1).

Rappelons que les traitements de semences (ou « traitement de semences et de plants » selon le nouveau catalogue des usages), n'entrent pas en compte dans le calcul des indices de fréquence de traitement (IFT).

Concrètement, que faire ?

Vu les sources d'inoculum

Pour chacune des quatre maladies, les sources d'inoculum peuvent être nombreuses :

– plants fortement contaminés,

– résidus du précédent ou d'interculture mal décomposés,

– autres espèces hébergeant les pathogènes dans la rotation (ex. : betterave pour le rhizoctone brun).

Rotation, chasse aux repousses, etc.

Il faut gérer la pomme de terre dans un système de culture judicieux en respectant la rotation de 5 ans minimum.

Il faut aussi éviter les repousses en ne laissant pas les « dessous de calibre » dans le champ lors de la récolte. C'est une source d'hébergement de pathogènes de tous types.

Autres précautions agronomiques : ne pas labourer la terre après une pomme de terre, planter dans un sol et avec un plant réchauffé, éviter le buttage définitif en sol mal ressuyé.

Implanter des plants protégés

Malgré toutes ces utiles mesures préventives, il faut quand même traiter les plants pour garantir la qualité finale demandée.

Puisqu'il faut traiter, quel produit utiliser ?

Autorisées contre le rhizoctone

Parmi les spécialités présentes sur le marché pour traiter les plants de pommes de terre (Tableau 1), celles autorisées contre le rhizoctone brun restent variées malgré l'interdiction des poudres pour poudrage à base de mancozèbe seul (AMM retirées en 2011(1)). Les principales substances actives utilisables sont :

– le fludioxonil,

– le flutolanil (seul ou avec du mancozèbe),

– le tolclofos-méthyl,

– le pencycuron

– et enfin l'iprodione.

Contre la gale argentée

Vis-à-vis de la gale argentée, la gamme de spécialités disponibles vient de diminuer considérablement à cause du retrait de plusieurs spécialités à base de mancozèbe seul(2).

Sont donc aujourd'hui autorisés contre cette maladie :

– l'association flutolanil-mancozèbe,

– l'imazalil,

– le fludioxonil.

Pour viser les deux à la fois

Pour viser les deux maladies à la fois, l'association flutolanil et mancozèbe (les Oscar, voir tableau 1) est bien adaptée.

Le fludioxonil (Celest 100FS) est lui aussi autorisé sur les deux usages. En cas de risque d'attaque forte de gale argentée, il pourrait être intéressant de l'associer avec l'imazalil (Diabolo), spécifique de cette gale.

Prise en compte de l'applicateur

La sécurité de l'applicateur peut être un critère de choix entre produits efficaces.

Elle dépend de deux données : le classement toxicologique du produit qui induit le degré de danger associé, et son mode d'application qui joue sur l'exposition.

Pour un mode d'application donné, un produit exempté de classement toxicologique (étiquette sans mention toxicologique au sens strict) sera plus sûr qu'un produit classé irritant (Xi sur l'étiquette), lui-même plus sûr qu'un produit classé nocif (Xn sur l'étiquette), lui-même plus sûr qu'un produit qui serait classé toxique ou très toxique (T ou T, mais aucun des fongicides cités n'est dans ce cas).

Par ailleurs, les produits n'auront pas le même effet selon leur mode d'application, car ce dernier change l'exposition de l'applicateur.

Il existe à ce jour deux modes d'application principaux autorisés (figurant sur les décisions d'autorisation et les étiquettes des produits) : le poudrage et la pulvérisation ; ce dernier terme regroupe l'UBV (pulvérisation ultra bas volume) et l'enrobage.

Les principaux modes d'application

Poudrage, en baisse pour cause de risque utilisateur

Le poudrage n'est pas nouveau. Il est encore autorisé et utilisé mais son utilisation tend à diminuer fortement.

Le poudrage est décrié du fait, non pas d'un manque d'efficacité mais des risques pour la santé de l'utilisateur. De moins en moins de producteurs utilisent la poudre, conscients des risques encourus par eux ou leurs employés.

Les firmes fabricantes n'ayant pas défendu les spécialités pour poudrage lors de leur ré-inscription à l'annexe 3 (une étape du réexamen européen), on évolue vers l'interdiction. Elle est déjà en cours pour les produits à base de mancozèbe seul (voir note 1 p. 40).

Pulvérisation UBV, sur les plants « ni froids ni germés »

Le principe de l'UBV est d'appliquer le fongicide sous la forme d'un brouillard de microgouttelettes, qui permet une répartition uniforme sur la surface des tubercules. Le volume de bouillie peut varier, selon les appareils, du produit pur à un volume maxi de 3 l par tonne.

La technique exige un séchage rapide pour limiter le risque de phytotoxicité qui induirait des manques à la levée plus ou moins graves. L'application du produit pur ou peu dilué est alors un avantage car le séchage est quasi instantané.

Il est impératif de respecter deux principes simples.

Le premier est de ne pas traiter des plants froids (< à 8 °C). En conséquence, il faut :

- avant le traitement, ne pas oublier de laisser réchauffer les plants après la sortie de frigo et éliminer la condensation par séchage,

– après le traitement, assurer un séchage rapide ; cela implique de ne pas traiter si l'hygrométrie extérieure est élevée.

Le second principe est de ne pas traiter des plants déjà germés : au delà du stade point blanc, c'est trop tard. Au-delà, un délai de cicatrisation d'au moins 2 jours après l'égermage est à respecter. Les matériels utilisables en pulvérisation sont présentés dans le tableau 2.

Pulvérisation en enrobage, nouveau matériel

L'autre technique de pulvérisation est celle de l'enrobage. Elle n'est pas nouvelle non plus, mais elle vient de réapparaître sur le marché sous la forme d'un système récemment mis au point et commercialisé, l'Oscar System.

Le produit est appliqué par injection à l'entrée d'un cylindre : les pommes de terre, par brassage à l'intérieur dudit cylindre, s'enrobent de ce produit.

Cet appareil a initialement été développé afin d'optimiser l'application de l'Oscar WG, produit liquide efficace contre rhizoctone et gale argentée (voir tableau 1) et qui doit être appliqué à au moins 2,5 l/t.

Notons que tous les produits autorisés en pulvérisation peuvent être appliqués avec l'Oscar System, mais à raison d'une bouillie minimale proche de 2 l/t.

Un guide des bonnes pratiques pour la maîtrise des nouvelles techniques

Les professionnels de la production de plants (FN3PT), les organismes collecteurs, Arvalis-Institut du Végétal, en collaboration avec l'industrie phytopharmaceutique (Bayer) et le ministère en charge de l'agriculture (MAAPRAT, précisément sa DGAL, Direction générale de l'Alimentation), ont initié la rédaction d'un guide de bonnes pratiques de traitement des plants de pomme de terre. Ce guide sera accessible à tout producteur, organisme collecteur ou prestataire à façon.

L'objectif est de bien encadrer cette technique par des recommandations précises en fonction des différents scénarios de traitement : période d'application, mesures prophylactiques de séchage, de transport et de conservation, etc.

Ce guide concernera toutes les spécialités autorisées et disponibles sur le marché pour le traitement des plants de pomme de terre par pulvérisation, ainsi que les matériels d'application reconnus à cet effet (UBV et enrobage).

Le passage progressif généralisé de la pratique du poudrage au liquide (pulvérisation) n'est pas sans conséquence. Cette opération reste délicate et il faut éviter d'en arriver à une mauvaise utilisation de la technique. Elle nécessite l'emploi de solutions autorisées et d'appareils de traitement reconnus pour cet usage !

Rappelons par ailleurs qu'un traitement de plants réalisé en cours de conservation, en hiver, en respectant les conseils cités plus haut est tout aussi efficace qu'un traitement effectué juste avant plantation.

Autres modes d'application : deux déconseillés et un pas encore autorisé

Non au trempage, phytotoxique et favorable aux pourritures humides

Par ailleurs, deux usages sont déconseillés : le trempage et le traitement sur la planteuse.

Le trempage n'est plus du tout dans l'air du temps. D'une part, les risques de phytotoxicité sont bien trop importants. D'autre part, cette technique est très favorable à la contamination par des pourritures humides diverses, type Pectobacterium (Erwinia) ou Pythium.

Aussi les organismes techniques comme le Comité Nord Plant ne la cautionnent pas. Les firmes phytopharmaceutiques vont d'ailleurs dans le même sens.

Non au traitement sur la planteuse ni à la chute des plants ni sur bande ou godets

Par le terme de « traitement sur la planteuse », nous entendons deux variantes :

– le traitement à la chute de plants : cette technique ne permet pas un enrobage uniforme des tubercules qui passent à grande vitesse dans un faisceau de pulvérisation. Elle ne peut s'apparenter à un traitement ultra bas volume sur table à rouleau car ce dernier implique un temps d'exposition du tubercule de 3 ou 4 secondes pour recevoir la bouillie de façon uniforme. Or un traitement à la chute expose le tubercule pendant une fraction de seconde ! La dose théorique optimale d'efficacité est loin d'être atteinte ;

– le traitement sur bandes ou godets : utilisation d'une bouillie de 7 à 8 l/t voire plus, qui engendre un brassage des tubercules dans une « mélasse » très favorable au déclenchement de pourritures et de phytotoxicité, cause de manques significatifs à la levée.

Traitement sur la raie de plantation ? Demain, oui, peut-être

Reste le traitement dans la raie de plantation : cet usage et les spécialités phytosanitaires testées ne sont pas encore autorisés à ce jour. Ce traitement se différencierait du traitement sur planteuse sur le principe qu'il s'agirait d'appliquer le produit sur le sol, dans la raie de plantation, et non pas sur les tubercules. À suivre.

Conclusion

Les pratiques évoluent

L'évolution des pratiques est en marche dans le domaine de la protection des plants de pomme de terre. On s'oriente vers des traitements à la plantation (ou avant) par le biais des solutions liquides à appliquer en pulvérisation (UBV ou enrobage) avec le matériel d'application qui les accompagne. Toutefois, ces techniques restent délicates et une maîtrise professionnelle de la manipulation s'impose. Un accompagnement est nécessaire, le futur guide des bonnes pratiques va dans ce sens.

Des produits attendus

Les pathogènes de surface (ou « superficiels » ou « de qualité ») rencontrés aujourd'hui ne nous permettent pas, au vu des exigences qualitatives, de s'abstenir d'un traitement ciblé. Différentes spécialités sont à la disposition de l'utilisateur.

Mais la diversité des produits est devenue insuffisante face à la gale argentée, et on en manque encore face à la dartrose entre autres. La recherche n'est pas terminée sur le sujet…

<p>* Responsable expérimentation CNPPT, Comité Nord Plant de pomme de terre.</p> <p>(1) Pour Dequizèbe Bleu, Dequizèbe MZ, Leadazèbe et Trimanoc Bleu, le délai de distribution a expiré et celui d'utilisation expirera le 30/11/2012. Pour <i>Dequiman MZ Plus</i>, Manconyl 80, <i>Pennzèbe</i> et <i>Trimanoc 80 WP</i>, le délai de distribution expirera le 1er/07/2012 et celui d'utilisation le 1er/07/2013.</p> <p>(2) Il s'agit de 8 produits dont les AMM ont été retirées et les délais de distribution ont expiré en 2011. Pour <i>Sandozèbe</i> et <i>Sandozèbe DG</i>, le délai d'utilisation expire le 28/02/2011 ; pour <i>Dithane Bleu, Dithane LF, Dithane SH, Fore WP, Kavea</i> et <i>Spoutnik 80</i>, le délai d'utilisation expirera le 30/11/2012.</p>

Tableau 1 - Liste des spécialités titulaires d'AMM (autorisations de mise sur le marché) au 10-01-2012 et utilisables en traitement du plant de pomme de terre contre le rhizoctone (R) et la gale argentée (GA).

Tableau 2 - Les appareils de traitements par pulvérisation reconnus aujourd'hui par la profession.

Résumé

Cet article :

– explique l'intérêt du traitement des plants de pomme de terre contre les pathogènes dits « de qualité », rhizoctone brun et gale argentée notamment, pour les plants destinés à produire de la pomme de terre pour le marché de frais (qualité visuelle), mais aussi pour toutes les filières (productivité, risques de déformation des tubercules) ;

– rappelle les règles prophylactiques et agronomiques pour limiter les contaminations issues d'autres origines que les plants ;

– passe en revue les produits fongicides autorisés et commercialisés sur plants de pomme de terre contre le rhizoctone et/ou la gale argentée, avec l'évolution de la gamme ;

– souligne la nécessité de prise en compte de la sécurité de l'applicateur, liée au produit mais aussi au mode d'application ;

– compare les modes d'application : poudrage (en régression) et pulvérisation en UBV ou par enrobage (nouveau matériel) en présentant les 5 matériels de pulvérisation reconnus ;

– annonce la sortie d'un guide des bonnes pratiques de pulvérisation ;

– déconseille l'application par trempage et les traitements « sur la planteuse » actuels ;

– signale les travaux sur le traitement sur la raie de plantation.

Mots-clés : cultures spécialisées, pomme de terre, pathogènes de qualité, rhizoctone brun, gale argentée, fongicides, traitement des plants, mode d'application, poudrage, pulvérisation, UBV (ultra bas volume), enrobage, matériel de traitement, sécurité de l'applicateur, guide des bonnes pratiques.

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