Malgré sa petite taille, le Grand-Duché de Luxembourg (GDL) est doté d'une variation microclimatique importante entre le nord (Oesling) et le sud (Gutland), d'où une distribution géographique contrastée des maladies cryptogamiques du blé d'hiver. Au GDL, les paramètres climatiques sont en effet des facteurs déterminants de ces maladies, et les pratiques culturales (précédent, fumure, variété…) des facteurs secondaires. Le climat gouverne en grande part la pression parasitaire, l'expression des symptômes, le développement de l'épidémie mais aussi la population hôte. Nous présentons ici la variabilité de la distribution des maladies cryptogamiques du blé d'hiver entre l'Oesling et le Gutland, observée au GDL depuis 10 ans.
Le blé d'hiver constitue la principale culture au GDL (11 947 ha, voir Figure 1) et dans les pays limitrophes (201 481 ha en Belgique, 4 767 000 ha en France et 2 586 000 ha en Allemagne) (El Jarroudi et al., 2011b).
Dix ans d'observation des pratiques culturales
Diversité du travail du sol
Le blé est majoritairement semé entre fin septembre et le 20 octobre. Dans la Moselle par exemple, le travail du sol est effectué en deux passages, d'abord au cover crop puis avec une herse rotative. Il est réduit si le précédent cultural est le colza. Les semis sans labour sont de plus en plus pratiqués au GDL (40-50 %).
Fumure azotée : 3 applications !
Les conseils d'application en fumure azotée sont formulés par la Chambre d'agriculture dans le but d'éviter la surfertilisation et d'optimiser l'utilisation de l'intrant par la culture. Ces conseils sont basés sur des outils tels que les analyses de sol, de lisier et de cultures exportées, et d'autre part sur les plans de fumure et les observations au champ…
La fumure azotée est appliquée en trois fois :
– la première application se fait en sortie d'hiver (entre fin février et début mars) avec une dose variable selon le type de sol ;
– la deuxième dose est appliquée pendant les deux premières semaines d'avril au stade premier nœud avec une dose variable ;
– la troisième est appliquée durant la deuxième décade de mai (sortie de la dernière feuille).
Les herbicides
• Applications d'automne.
– Traitement en pré-émergence stricte, dit « préventif » car la population d'adventices ne peut être estimée que sur la base de l'historique de la parcelle. C'est un traitement combiné antidicotylédones et graminées (isoproturon).
- Traitement complet en post émergence très précoce, au prosulfocarbe, contre un grand nombre de graminées et dicots annuelles.
– Traitement complet entre les stades 1re feuille déployée et 3 feuilles. Le flufénacet, actif contre les graminées et quelques dicots, est appliqué après la levée de la culture pour des raisons de sélectivité mais, pour des raisons d'efficacité, avant que les adventices ne soient trop développées.
• Les traitements de post-émergence printanière, entre fin mars et fin avril. Les herbicides sont l'isoproturon seul ou associé à un antigraminées spécifique, ou le diflufénicanil.
Fongicides, deux à trois applications
Les agriculteurs luxembourgeois pratiquent souvent deux à trois traitements fongicides par campagne. Les conseils sont donnés par la Chambre d'agriculture. Le régulateur de croissance est appliqué souvent avec un herbicide ou un fongicide entre fin avril et début mai.
Un mélange de produits fongicides, qui varient selon les agriculteurs, est appliqué à chaque passage. Le premier traitement est appliqué au stade premier nœud, associé à un régulateur de croissance, et vise surtout le piétin verse et l'oïdium. Le deuxième traitement se fait au stade dernière feuille et vise la septoriose et la rouille brune. Le 3e traitement, entre fin épiaison et fin floraison, vise surtout la fusariose.
Contrastes météorologiques entre le nord et le sud
Pluviométrie
Le GDL est un pays sans littoral d'une superficie de 2 586 km². Au nord le plateau de l'Oesling, qui fait partie de l'Ardenne, culmine à 559 m. Le Gutland, au sud, s'élève à une hauteur moyenne de 250 m. Le tiers du territoire est couvert de forêts. Les terres agricoles se concentrent dans le Gutland sédimentaire au sud où la moitié des labours portent des céréales. Les superficies affectées à l'herbage progressent. L'Oesling, morceau d'Ardenne au nord-ouest, est moins propice à l'agriculture. La vallée de la Moselle, à l'est, abrite le vignoble. Les céréales constituent les principales cultures.
Entre l'Oesling, au nord et le Gutland, au sud, la différence du cumul de pluie peut atteindre plus de 200 mm par saison. La partie située à l'extrême sud-ouest du territoire luxembourgeois est caractérisée par une forte pluviométrie hivernale. En revanche, la Moselle et le nord-est du Gutland sont caractérisés par un régime pluviométrique hivernal le plus faible du territoire luxembourgeois (Figure 2).
Jours sans pluie
Le nombre de jours sans pluie est très faible dans l'extrême sud de la Moselle et au nord-est du Gutland. Or ces zones sont caractérisées par le plus faible cumul de pluie. Cela signifie qu'il y pleut souvent mais avec une intensité très faible. Le nombre de jours sans pluie est très important dans la partie centrale du Gutland, caractérisée par plus de beau temps que l'Oesling (Figure 2).
De grands contrastes pluviométriques existent donc entre le sud et le nord du Gutland et, d'autre part, entre le Gutland et l'Oesling.
Humidité relative et température
Le Gutland est moins humide et plus ensoleillé que l'Oesling, surtout dans le sud-est de la Moselle (El Jarroudi, 2005). Le nord-ouest du Gutland est caractérisé par une plus forte humidité, semblable à celle de l'extrême nord du pays, et une température plus faible.
L'extrême nord de l'Oesling est quant à lui caractérisé par le maximum d'heures avec pluie et température inférieure à 0 °C : c'est la partie la plus froide, la plus humide et la plus pluvieuse du pays durant l'hiver (El Jarroudi, 2005). Cependant, le nord-ouest du Gutland connaît une forte humidité en hiver, des températures de l'ordre de 3 °C en moyenne et un nombre d'heures avec pluie et température inférieure à 0 °C situé entre 34 et 68.
Le sud de Gutland et ses environs sont caractérisés par une température élevée (Figure 3). C'est aussi la région la plus ensoleillée du pays.
La Moselle et le centre du Gutland ont le plus faible nombre d'heures humides avec pluie et une température moyenne annuelle proche de 11 °C (Figure 3). Cependant, la région du nord-ouest du Gutland (Everlange) a présenté le plus grand nombre d'heures humides (pluie et température moyenne annuelle de 10,8 °C).
Ces contrastes météorologiques entre régions du GDL sont à l'origine d'une variation du potentiel des maladies cryptogamiques entre ces différentes régions du pays.
Maladies cryptogamiques, grand contraste aussi
Cinq principales sur dix ans
Le « grand écart » météorologique entre le Gutland et l'Oesling se répercute sur la distribution des maladies cryptogamiques.
Les cinq principales maladies sont :
- la septoriose causée par Septoria tritici ;
– la rouille brune due à Puccinia triticina ;
– la rouille jaune due à Puccinia striiformis ;
– l'oïdium causé par Blumeria graminis ;
– l'helminthosporiose causée par Drechslera tritici-repentis.
Nous présentons le fruit de plus de 10 ans d'observations phytotechniques et phytopathologiques de la culture du blé d'hiver au GDL, générées sur la base d'un suivi hebdomadaire de 4 sites représentatifs des situations topo-climatiques du GDL.
Septoriose, sévère au Gutland, faible dans l'Oesling
Entre 2003 et 2009, la sévérité de la septoriose (pourcentage de la surface foliaire présentant des lésions dues à S. tritici, voir photo ci-contre) était forte au Gutland (51 % de moyenne sur les deux dernières feuilles au stade maturité laiteuse, figure 4) et faible dans l'Oesling (16 % environ en moyenne, Reuler) (El Jarroudi et al., 2011b). La différence entre le Gutland et l'Oesling est hautement significative (Tableau 1).
Pour les années 2006, 2008 et 2009, la maladie n'atteignait même pas 6 % dans l'Oesling. Elle dépassait les 40 % au Gutland où la sévérité était plus forte à l'ouest et au sud par rapport à l'est (Christnach).
Rouille brune : sévérité forte en Gutland, faible en Oesling
Entre 2003 et 2009, la sévérité (pourcentage de la surface foliaire présentant des lésions dues à Puccinia triticina Eriks.) était forte en Gutland (photo page 53) et très faible en Oesling (Figure 5) (El Jarroudi et al., 2010).
Comme déjà écrit, les facteurs météorologiques du Gutland sont très favorables à la rouille brune. Ainsi, les températures printanières ont atteint en 2003 et 2007 respectivement 13,6 et 14 °C au sud du Gutland, et la sévérité de la maladie 66 % en 2003 et 57 % en 2007 (El Jarroudi et al., 2009b). En Oesling, où les températures printanières sont plus faibles, la sévérité n'atteint que 1 % entre 2003 et 2009. La différence entre le Gutland et l'Oesling est hautement significative quant à la sévérité de la rouille brune (Tableau 2).
Depuis 2006, la maladie apparaît de plus en plus précoce au Gutland. Ce phénomène est principalement corrélé à l'augmentation progressive et significative (P<0,01) de la température printanière (El Jarroudi et al., 2010). L'apparition de plus en plus précoce de la rouille brune sur blé d'hiver pourrait être liée aux changements climatiques.
Oïdium : sévérité forte en Oesling, faible en Gutland
Entre 2003 et 2009, la sévérité de l'oïdium (pourcentage de la surface foliaire présentant des lésions dues à Blumeria graminis) était forte en Oesling (photo page suivante) et très faible en Gutland (Figure 6 page 58) (El Jarroudi et al., 2009a).
La différence dans la sévérité de la maladie est hautement significative (P < 0,001) entre le Gutland et l'Oesling. 2003 et 2009 ont connu la sévérité la plus forte avec respectivement 15 % et 40 % en Oesling, mais au Gutland la sévérité ne dépassait pas 1 %.
La maladie est apparue en Oesling de plus en plus tôt vers le stade pseudo-redressement (GS30) (Zadoks et al., 1974) alors qu'en Gutland, elle apparaissait au stade ligule dernière feuille formée (GS39).
En 2003 et 2009, la maladie a été observée en Oesling dans toutes les parcelles traitées, à des degrés variables selon le moment du traitement fongicide (Figure non montrée, disponible auprès des auteurs). Ceci montre que la gamme de produits testés dans nos essais n'assure pas une protection complète contre l'oïdium [résistance aux strobilurines et au quinoxyfène signalée depuis plusieurs années en Europe occidentale (Moreau, 2004)].
L'analyse de la surface foliaire présentant des symptômes de l'oïdium au stade GS53 et au début du stade GS71 des blés soumis aux divers traitements fongicides testés montre que les traitements réalisés avant l'épiaison étaient plus efficaces que ceux réalisés à l'épiaison (Figure 7). Le traitement en GS59 n'avait pas encore pu produire un effet lors de l'observation à GS53. La forte attaque à GS 59 révèle probablement une hétérogénéité de la distribution de la maladie dans l'essai. Les traitements assurés entre GS32 et GS37 assurent une bonne protection.
Cette forte sévérité de la maladie enregistrée en Oesling s'explique en partie par :
– le microclimat très favorable à la maladie : forte humidité en mai et juin (>80 %) et températures printanières proches de 15 °C ;
– les pratiques agricoles liées à un sur-épandage des engrais minéraux dans cette région.
Rouille jaune : des épidémies déclenchées par le contournement du gène de résistance Yr17
Entre 1999 et 2009, la sévérité de la rouille jaune (pourcentage de la surface foliaire présentant des lésions dues à Puccinia striiformis) était forte au Gutland et très faible en Oesling.
Durant les 11 années d'observations, une différence de sévérité très hautement significative a été observée entre les variétés possédant le gène de résistance Yr17+ (Achat, Akteur, Astron, Flair) et celles qui ne le possèdent pas Yr17- (Aron, Batis, Bussard, Drifter, Ritmo,Vivant) (El Jarroudi et al., 2011a). Les variétés Yr17+ présentent une forte sévérité (13 % en moyenne) tandis que les Yr17- ont présenté une très faible sévérité (0,2 %).
En 1999, les cultivars Yr17+ ont connu une très forte sévérité de l'ordre de 19 %.
En 2000 et 2001, la maladie a sévi avec une forte sévérité sur le cultivar Flair (Yr17+) à Everlange (respectivement 30 et 22 % de sévérité) et à Christnach (respectivement 50 et 11 %).
Sur la même période, les variétés Yr17- ont connu une très faible sévérité de rouille jaune (<1 %).
Entre 2002 et 2009, la maladie a été observée sur les variétés Yr17+ avec une moyenne de sévérité de 6 %.
Helminthosporiose : une maladie liée aux pratiques agricoles
Entre 2003 et 2009, la sévérité de l'helminthosporiose (pourcentage de la surface foliaire présentant des lésions dues à Drechslera triticirepentis) était forte au Gutland surtout Everlange et très faible en Oesling.
En 2009, la maladie a surtout été observée sur la variété Privilège à Everlange autour du 6 juillet. Son développement a été très soudain mais assez tardif, essentiellement durant la dernière décade de juin. D'aussi fortes infestations avaient déjà été observées entre 1999 et 2001 et ponctuellement en 2006 et 2007.
Avec l'augmentation de la fréquence du blé sur blé au Luxembourg et la pratique du non-labour en Gutland, cette maladie mériterait une attention particulière.
Conclusion, une lutte à raisonner selon la région
Cette étude a montré une typologie variable des maladies cryptogamiques entre le Gutland et l'Oesling. Au sud, les conditions météorologiques du Gutland favorisent le développement de la septoriose et des rouilles. En Oesling, l'interaction entre le climat (fraîcheur, forte humidité relative) et les conditions phytotechniques favorisent le développement de l'oïdium.
Ces effets régionaux des maladies sont très intéressants et permettent d'adapter la lutte raisonnée selon chaque région.
Cette étude constitue un pas important pour la spatialisation des risques des maladies, où l'on pourrait inclure l'effet régional de chacune. Cette spatialisation consisterait à établir la cartographie de risque d'infection pour tout le Luxembourg sur la base d'indices agroclimatiques corrélés aux dates et fréquences optimales des traitements chimiques.
Cette cartographie des risques sera complétée par la modulation des traitements par saison selon la réalisation effective du risque, par exemple les fortes différences de sévérité de la septoriose durant les 3 années à Everlange et Burmerange. Elle donnera, pour chaque champ, un niveau de risque selon son itinéraire technique (date de semis, variété semée, précédent cultural, fumure azotée…) et selon une classification des topoclimats.
<p>* Université de Liège, Département en sciences et gestion de l'environnement, 185, avenue de Longwy, B-6700 Arlon, Belgique, e-mail : meljarroudi@ulg.ac.be</p> <p>** Laboratoire Biorizon/Staphyt, rue Magendie/Site Montesquieu, 33650 Martillac, France.</p> <p>*** Centre de Recherche Public - Gabriel Lippmann, Département Environnement et Agrobiotechnologies, (EVA), 41, rue du Brill, L-4422 Belvaux, Luxembourg.</p> <p>**** Earth & Life Institute, Université catholique de Louvain (UCL), Croix du Sud 2/3, B-1348, Louvain-la-Neuve, Belgique.</p>
Figure 1 - La place du blé (« froment ») au Grand-Duché de Luxembourg.
Surfaces (en ha) occupées par les principales cultures.
Figure 2 - Les pluies au Grand-Duché de Luxembourg.
Précipitation cumulée annuelle en 2004.
Normale climatique 1971-2000.
Ecart de 2004 à la normale 1971-2000.
Rapport de 2004 à la normale 1971-2000.
Réseau météorologique : Centre de recherche public Gabriel-Lippmann (CRP-GL), Administration des services techniques de l'agriculture (ASTA), Ministère de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire, Service météorologique de l'aéroport de Luxembourg.
Figure 3 - Les températures au Grand-Duché de Luxembourg.
Variation de la température annuelle en 2007. Source : Géohydrosystèmes et aménagement du territoire (Environnement et Agro-Biotechnologie, CRP-GL).
Figure 4 - La septoriose, plutôt plus sévère au sud.
Variation dans la sévérité de la septoriose entre l'Oesling et le Gutland :
– en 2003 (A),
– en 2009 (B)
– et en moyenne 2003-2009 (C).
Tableau 1 - Comparaison de la sévérité de la septoriose entre Gutland et Oesling pour la période 2003-2009.
Les classes de sévérité sont différenciées au seuil de 5 %.
Tableau 2 - Comparaison de la sévérité de la rouille brune entre Gutland et Oesling pour la période 2003-2009.
Les classes de sévérité sont différenciées au seuil de 5 %.
Figure 5 - La rouille brune, nettement plus sévère au sud.
Variation de la sévérité de la rouille brune entre l'Oesling et le Gutland :
– en 2003 (A),
– en 2007 (B),
– en moyenne 2003-2009 (C).
Figure 6 - L'oïdium, plus sévère au nord.
Variation dans la sévérité de l'oïdium entre l'Oesling et le Gutland
– en 2003 (A),
– en 2009 (B),
– en moyenne 2003-2009 (C).
Figure 7 - Oïdium et fongicides.
Variation du pourcentage de la surface foliaire présentant des symptômes d'oïdium en fonction des différents fongicides testés entre l'épiaison et le début de maturité laiteuse en Oesling (Reuler) en 2003.
L'échelle en abscisse correspond aux stades du blé lors de l'application du fongicide. Les fongicides appliqués sont : i) Opera (1,5 l/ha) pour les stades GS32 à GS39 et la première demi-dose appliquée au stade GS37 ; ii) Horizon (1 l/ha) pour le stade GS59 et la demi-dose GS59.