Elles se nomment « Les cochenilles : ravageur principal ou secondaire » et « Conférence internationale sur les ravageurs en agriculture » ou « CIRA ». Ces conférences ont été organisées par l'AFPP (1) à Montpellier SupAgro (2) les 25, 26 et 27 octobre 2011. Des étudiants en agronomie, spécialisation Protection des plantes et environnement (PPE), y ont participé. Voici leur bilan général et leurs « palmarès personnels » : coccinelle dominante, champignons anti-charançon, oiseaux voraces, plantes-pièges, vagues de pucerons en équation... Laissons-les raconter.
Nous avons été actifs à la préparation de cette 9e CIRA et de la conférence introductive et étions donc impatients d'y découvrir les intervenants et leurs présentations. Tout était à la hauteur de nos attentes : plus de 400 participants, 76 communications orales et 56 affichées dont 24 posters étudiants (PPE, posters de stage de fin d'étude ex-PPE et ENSAT principalement).
Journées denses
Interventions et échanges
Le grand nombre d'interventions et le temps disponible restreint ont rendu le programme très dense, avec peu de place pour le débat à la fin de chaque intervention. Les exposés judicieusement regroupés par thèmes ont néanmoins permis de rassembler les questions communes. Cela a permis quelques discussions par thématiques. L'organisation de la succession des présentations a donc été un point-clé de cette conférence.
Durant les intermèdes, les participants ont pu échanger librement sur les sujets présentés, ce qui complétait la courte période réservée aux questions à chaque fin de présentation. Ainsi, la rencontre des différents spécialistes a permis à chacun d'acquérir une vision transversale des problèmes de ravageurs en agriculture.
Internationale, côté francophonie
La CIRA a attiré de nombreuses structures de toute la France mais aussi des intervenants et auditeurs venant de l'étranger. Avec une seule présentation en anglais, elle est restée très francophone avec un intervenant de Belgique et 18 interventions orales (sur 76 au total) sur des études au Maghreb (Algérie, Maroc, etc.)
Les intervenants venant du Maghreb nous ont fait part des problématiques liées aux ravageurs dans leur pays comme le criquet migrateur (Schistocerca gregaria), le pou noir de l'oranger (Parlatoria ziziphi), la cochenille du figuier (Ceroplastes rusci) et la mineuse de la tomate (Tuta absoluta). Cela nous a sortis du schéma agricole français et nous a sensibilisés aux problématiques des pays d'Afrique du Nord.
Conférence introductive « Les cochenilles : ravageur principal ou secondaire »
Tout savoir sur les cochenilles
La conférence introductive nous a permis de jeter un regard neuf sur un sujet peu abordé en cours : les cochenilles. L'objet de cette journée était de débattre de l'importance agronomique de ces insectes : sont-ils des ravageurs primaires ou secondaires en agronomie ?
Un recensement des cochenilles les plus problématiques nous a été présenté en introduction par Jean-François Germain, chercheur à l'Anses. Il a ainsi parlé de la particularité de leur taxonomie, de leurs diverses origines et de leur identification souvent difficile. En effet, de nombreuses espèces sont cryptiques, c'est-à-dire que l'identification de nouvelles espèces n'est pas possible au regard de leur morphologie et nécessite des analyses ADN.
La lutte, surtout biologique
La lutte contre ces ravageurs n'est pas tâche facile : une fois installées, les cochenilles sont difficiles à éradiquer, d'autant qu'elles sont souvent réparties de manière disparate dans la parcelle. Les mesures les plus adaptées sont les mesures prophylactiques (taille, fertilisation) et les traitements phytosanitaires d'hiver.
L'intervention sympathique et dynamique de Philippe Kreiter, chercheur à l'INRA de Sophia-Antipolis (« La lutte biologique et les cochenilles, plus de cent ans d'histoire ») nous a éclairés sur la lutte biologique contre ces ravageurs. Il a rappelé les plus grands succès à travers l'histoire, Rodalia cardinalis contre Icerya purchasi étant le principal exemple. Il a exposé les étapes de la mise en place d'un programme de lutte biologique : étude de la biologie et des interactions entre l'hôte, le ravageur et l'agent de lutte biologique, élevage de l'agent, puis lâchers, avec les difficultés de chaque étape. Un paramètre majeur à prendre en compte est la plante hôte : l'efficacité de la lutte biologique en dépend souvent. Philippe Kreiter a ajouté à ce sujet que la lutte biologique contre Pseudococcus viburni s'est avérée efficace en vergers de pommiers mais a échoué en serres de tomates.
L'élevage sur milieu artificiel n'étant pas souvent approprié, le chercheur a insisté sur la difficulté d'élever des auxiliaires.
Les procédés de lâchers (introductif, inoculatif, ou inondatif) n'ont pas changé depuis 50 ans, il serait intéressant de se pencher sur les évolutions possibles de ces pratiques, pas optimales aujourd'hui, pour les rendre plus facilement transférables et moins coûteuses.
La conclusion est plutôt pessimiste : la résurgence de cochenilles ravageuses due à la réduction du nombre de substances autorisées pour la lutte va demander un effort de recherche de plus en plus fort alors que les chercheurs en lutte biologique sont de moins en moins nombreux et que la lutte biologique représente à l'heure actuelle un marché mineur.
À propos de l'importance agronomique des cochenilles, les intervenants de la conférence s'accordent à dire que ces ravageurs font de gros dégâts mais sur de petites surfaces. A l'avenir, ces ravageurs ne seront sûrement plus secondaires dans le raisonnement de la lutte.
Neuvième édition de la « CIRA », impression générale
Déroulement et thèmes
Lors de la CIRA, de nombreux thèmes ont été abordés et les interventions et présentations de posters correspondantes ont été regroupées en différentes sessions. Le mercredi 26 octobre, deux sessions ont abordé la biodiversité et la résistance.
L'après-midi, trois sessions ont été proposées en parallèle : une sur vigne, arboriculture et culture légumière, une sur les zones non agricoles et la dernière sur les cultures tropicales et méditerranéennes.
Le jeudi 27 octobre, la matinée a comporté une session sur les grandes cultures et l'après-midi a été consacrée à la présentation de nouvelles molécules et l'utilisation de produits naturels. Les thèmes et sujets des différentes interventions de cette CIRA ont été variés et diversifiés. Ils ont permis de balayer l'ensemble des nouveautés et de la recherche actuelle sur les ravageurs des cultures. Les études ont présenté des solutions innovantes et intéressantes telles l'utilisation d'essences naturelles comme répulsifs ou des solutions plus classiques, comme de nouveaux produits phytosanitaires.
Les exposés qui nous ont marqués
Sus à la coccinelle
La coccinelle asiatique est-elle l'aphidiphage dominant dans les agro-écosystèmes ?
– Paul : « La présentation d'Axel Vandereycken sur la dominance ou non de la coccinelle asiatique Harmonia axyridis dans les agro-écosystèmes fut pour moi très enrichissante. En plus d'une simple analyse de la dominance ou non de la coccinelle dans différentes cultures, l'étude a cité les effets potentiellement négatifs de cet agent de lutte en abordant des concepts intéressants tels que la prédation intraguilde, les effets dans les vergers, etc.
Cette présentation m'a donc permis de voir une approche différente de l'approche classique en lutte biologique en évoquant des nuisances peu abordées habituellement, comme la pollution visuelle ou olfactive par exemple. »
Deux champignons, un charançon, des palmiers
– Christophe : « L'exposé de Samantha Besse « Efficacité de deux souches de Beauveria bassiana sur le charançon rouge du palmier, Rhynchophorus ferrugineus » fut très intéressant car il traitait de lutte microbiologique, sujet que j'aime particulièrement. Deux souches de Beauveria bassiana, champignon entomopathogène, sont testées contre Rhynchophorus ferrugineus, charançon invasif originaire d'Asie du Sud qui met en péril depuis 2006 la présence du palmier en milieu méditerranéen.
D'après les résultats présentés, c'est une souche isolée sur charançon du bananier qui paraît avoir un effet satisfaisant. Mais d'autres études sont nécessaires afin de préciser la tendance et pouvoir procéder à une homologation.
Par ailleurs, le thème de cette présentation m'avait aussi intrigué car la lutte microbiologique est en général trop coûteuse en protection des cultures. Mais, dans ce cas-là, en espaces verts, l'usage de B. bassiana sur palmier semble envisageable. En fait, son utilisation est pratique sur plantes ornementales comme le palmier car ce champignon entomopathogène ne présente pas de risques pour la santé humaine.
C'est intéressant de se rendre compte que le choix du traitement dépend plutôt de contraintes sociales en zone non agricole et de contraintes économiques en zone agricole. »
Des plantes pièges, un aleurode, des poinsettias
– Léa : « J'ai trouvé l'intervention d'Alain Ferre sur « l'utilisation de plantes pièges pour contrôler Bemisia tabaci » captivante, car je m'intéresse particulièrement aux idées innovantes de la lutte biologique en serres. Les plantes pièges sont un moyen efficace de lutte contre certains ravageurs en cultures sous serres.
A. Ferre nous a présenté les résultats d'une expérimentation sur le contrôle de B. tabaci en cultures de poinsettia par la mise en place de plantes pièges. Ce sont des plants d'aubergines attractifs pour les aleurodes. Les pontes réalisées sur ces plantes sont ensuite détruites par effeuillage ou par l'utilisation d'un auxiliaire (Amblyseius swirskii par exemple).
Les résultats sont très satisfaisants, la rupture du cycle du ravageur est efficace. La méthode est, de plus, simple et permet d'optimiser la production biologique intégrée, extrêmement utilisée sous serres.
Un bémol est l'existence d'un autre biotype de B. tabaci qui expliquerait les échecs chez certains producteurs. L'utilisation de cucurbitacées à la place des aubergines semblerait régler le problème. »
Des oiseaux, des grandes cultures, une enquête nationale
– Florence : « Lors de la session grandes cultures, on a évoqué les dégâts causés par les oiseaux. Ces pertes sont difficiles à étudier et peu de données sont disponibles. La présentation de Nathalie Robin a retenu mon attention car elle était fondée sur une enquête auprès d'agriculteurs. Leur ressenti sur le sujet était intéressant à connaître.
Cet exposé montrait que ce problème préoccupe réellement les agriculteurs, les solutions existantes semblent aujourd'hui insuffisantes. Dans les régions les plus touchées, des agriculteurs ont rapporté avoir été contraints d'abandonner certaines cultures à cause des oiseaux.
Bien sûr, cette enquête a besoin d'être complétée par d'autres données (observations, comptage, etc.) mais elle indique déjà que les agriculteurs sont en attente de solutions efficaces, qu'elles passent par de nouveaux enrobages de semences, par la lutte active avec, par exemple, des canons à gaz ou par l'association de différentes méthodes et la participation d'autres acteurs du monde rural comme les chasseurs. »
– Johan : « Nous avons découvert grâce à cette intervention que certains oiseaux créent des difficultés à un nombre important d'agriculteurs (30 % sur plus de 1 000 interrogés), selon une enquête réalisée en 2009 par Arvalis. Il semble que les corvidés soient les plus nuisibles en consommant le maïs au semis ou à la levée, en fouillant le sol ou en arrachant les plantules pour obtenir la graine. Les pigeons attaquent quant à eux plutôt les cultures de colza et de tournesol à maturité. La présence d'oiseaux semble être favorisée par la proximité d'arbres, de points d'eau et du type de culture entre autres. On regrette néanmoins qu'aucun chiffre n'ait été donné pour estimer ces pertes, bien évidemment difficiles à calculer. »
Pucerons, céréales, modèle
– Christophe : « L'intervention de Mamadou Cissé sur « Modélisation spatio-temporelle de l'invasion saisonnière du puceron des épis des céréales en France » m'a particulièrement marqué car elle était claire et interactive alors que la modélisation est un thème assez théorique et abstrait. D'ailleurs, on a pu constater que l'assemblée a vraiment apprécié vu les forts applaudissements qu'elle a manifestés.
Le modèle était assez original car il se basait sur des équations de type réaction-convectiondiffusion. Après avoir décrit succinctement les équations du modèle, la présentation s'est concentrée plus longuement sur les résultats à l'échelle du territoire français.
Il était intéressant d'observer comment la vague d'infestation du puceron des épis Sitobion avenae se déplaçait du sud-ouest de la France jusqu'au nord-est. Le modèle est théoriquement capable de prévoir l'infestation du puceron dans l'est à partir de la situation préalablement observée dans l'ouest. Ce n'est pas une tâche aisée car les pullulations de cet insecte sont sporadiques et difficilement prévisibles.
L'utilisation de ce modèle pourrait ainsi permettre d'identifier les années où un traitement est nécessaire. Généralement, les traitements systématiques contre ce puceron ne sont utiles qu'une année sur cinq. »
Communications affichées
Lors de cette 9e édition de la CIRA, de nombreux posters ont été exposés, avec des créneaux fixés à l'avance afin de permettre un échange avec les rédacteurs de ces posters. Les posters scientifiques ont abordé des sujets variés. Beaucoup traitaient de substances naturelles (huiles essentielles, autres extraits de plantes) et leurs effets contre les ravageurs.
Pour ce qui est des posters étudiants, la moitié environ concernait des espèces invasives en tête desquelles on trouvait la mineuse de la tomate Tuta absoluta, très représentée lors de cette 9e CIRA. L'autre moitié était très diversifiée. On peut noter, entre autres, plusieurs posters sur les microorganismes telluriques et la santé des plantes.
Un concours « Posters étudiants » était organisé. Les membres du jury avaient la difficile tâche de départager des candidats très différents : posters bibliographiques sur des ravageurs nouvellement introduits sur le territoire [étudiants en spécialisation Protection des plantes et environnement (PPE)], posters de synthèse de stage de fin d'étude (stagiaire ex-PPE ou autre) et posters bibliographiques sur divers sujets de protection des plantes [étudiants de l'ENSAT (école d'agronomie de Toulouse)].
Les prix ont été remis à deux posters sur le nouveau ravageur de la tomate Tuta absoluta et un sur le frelon asiatique. Les lauréats : Anaïs Vernillet pour « Lutte contre Tuta absoluta en culture de tomates sous serres : à la recherche d'un nouveau trichogramme », Coline Jaworski pour « Interactions indirectes entre deux ravageurs majeurs de la tomate, Tuta absoluta et Bemisia tabaci, via un prédateur généraliste Macrolophus pygmaeus » et Boris Lhie, Nicolas Muller et Grégoire Robert pour « le Frelon asiatique, une menace pour les écosystèmes français ». Ces trois prix ont été remis à des anciens ou actuels étudiants de la spécialité Protection des plantes et environnement.
Opportunité de rencontres professionnels-étudiants
Les présentations nous ont permis de découvrir de nouvelles structures avec leurs thématiques respectives, potentiellement intéressantes pour nous en tant qu'étudiants. La CIRA a été l'occasion de rencontrer des professionnels de la protection des plantes. Qu'ils travaillent en France ou à l'étranger dans la recherche publique ou privée, dans le commercial, des centres techniques, des chambres d'agriculture, etc., les participants ont partagé leurs expériences avec les étudiants.
Parler avec des professionnels de leur parcours ou de leur travail quotidien a pu nous orienter dans notre projet professionnel.
Ces discussions facilitent aussi la recherche d'un stage. En effet, la CIRA a été pour certains l'occasion d'une première prise de contact avec des structures pouvant les accueillir en stage. Les stands présents ont également permis le dialogue avec des représentants de différentes entreprises, surtout prestataires de services en agrochimie et donc pourvoyeuses de stages de fin d'études. Pour d'autres élèves, plus avancés dans leur recherche, la conférence a permis de rencontrer en personne le ou la maître de stage avec qui ils collaboreront pendant 6 mois durant leur stage de fin d'étude.
Finalement, ces trois jours ont été pour nous, étudiants de PPE, source d'enrichissement et d'échanges. Nous avons été confrontés aux problématiques récentes de la protection des cultures, informations complémentaires de notre formation. Nous avons aussi découvert qu'il y avait de nombreuses structures travaillant dans la lutte contre les ravageurs. Ainsi, les apports de ces journées ont été multiples et la diversité des interventions a permis à chaque étudiant d'y trouver son compte.
<p>* Elèves ingénieurs agronomes, spécialisation Protection des plantes et environnement.</p> <p>(1) Association française de protection des plantes.</p> <p>(2) Montpellier SupAgro. C'est le Centre international d'études supérieures en sciences agronomiques issu entre autres de l'ENSA-M (Ecole nationale supérieure agronomique de Montpellier, la très vénérable école d'agriculture de Montpellier).</p>